PLQ Aca­cias 1: le dé­but de l’his­toire

Le 18 juin 2023, les habitants de la ville de Genève ont largement dit «Oui» au PLQ Acacias 1, l’un des secteurs du mégaprojet de transformation de la zone industrielle du PAV en quartiers mixtes. Le débat démocratique autour des modèles de production de la ville en est-il sorti gagnant?

Date de publication
14-08-2023

Situé au nord du PAV, le projet de PLQ Acacias 1 s’inscrit dans un triangle délimité par la route des Acacias, la route des Jeunes et la rue François Dussaud1. Ces 16 ha appartenant à 87 % à l’État, le reste à la Caisse de pension de l’État de Genève (CPEG), sont entièrement occupés par des entrepôts, ateliers, bureaux, garages, concessionnaires, toujours en activité. Ce secteur du grand projet de transformation du PAV, qui verra ce morceau de ville industrielle se transformer en une extension du centre-ville2, deviendra un quartier dense et mixte, sans voitures (ratio: une voiture pour quatre logements). Il accueillera à terme 2230 nouveaux logements majoritairement à vocation sociale3 et 1500 nouveaux emplois – bureaux, artisanat, commerces implantés dans les socles des bâtiments – tout en maintenant certaines activités. Autour de la Drize remise à ciel ouvert se déploiera un espace public linéaire.

Acacias 1, la ville continue

Le projet a déjà fait l’objet de deux PLQ. La première version (Fischer Montavon architectes-urbanistes, 2015-2021) n’a pas convaincu la Ville de Genève lors de l’enquête publique: manque d’espaces publics, effet canyon des nouveaux bâtiments autour de la Drize découverte, trop de tours, trop de stationnements pour les voitures, pas assez pour les vélos, des gabarits de 30 m appliqués de façon trop générique.

Sur la base d’un programme sensiblement identique mais moins dense (environ 9 % de m2 de SBP en moins), une seconde version a été élaborée par l’atelier Bonnet4, qui propose une vision plus précise et plus sensible, celle de la «ville de la continuité». Elle s’inscrit dans les tracés, les mesures et la densité de la ville classique – la même que celle du quartier de Plainpalais qui jouxte Acacias 1 – et puise ses références dans des ensembles et objets genevois connus, qu’elle réinterprète. Ainsi le projet de PLQ s’organise-t-il en îlots entrouverts de formes et gabarits variables, un cœur de quartier où les bâtiments s’échelonnent sur 3 à 6 étages, autour d’une place centrale de surface équivalente à la partie piétonne de la place des Alpes aux Pâquis. Sur la route des Jeunes, un front bâti protège l’intérieur du quartier (contrainte OPAM) et accueille un parking et des activités. Plusieurs immeubles de grande hauteur (trois tours de 50 m, une de 90 m et une de 64 m) hébergent des logements sur un socle d’activités. L’espace public autour de la Drize est élargi5.

Le projet est également conçu par pièces urbaines, périmètres opérationnels indépendants les uns des autres, calés sur la structure foncière actuelle pour rendre possibles les cohabitations entre nouveaux projets et activités existantes pendant la durée de la mutation qui s’étendra sur plusieurs dizaines d’années.

Si le PLQ est un outil comptable qui répartit et localise des droits à bâtir, celui d’Acacias 1 n’est pas qu’une simple mise en forme du programme surfacique posé par la loi PAV et des contraintes urbanistiques. C’est un projet urbain qui développe un esprit, celui de la ville de la continuité, et tente de régler avec finesse la densité. L’évolution du projet entre sa première et sa deuxième version – moins de tours, une plus grande place publique, une emprise élargie autour de la Drize entre autres –, si elle a été accueillie favorablement par la Ville de Genève, n’a toutefois pas suffi à convaincre les opposants, qui n’y voient pas une ville «à taille humaine».

De quoi la densité est-elle le non(m)?

En mai 2022, après avoir déposé au Service des votations les signatures ouvrant la voie au référendum contre ce projet de PLQ, les membres du Collectif des associations d’habitant·e·s et de quartiers (CAHQ)6 posaient devant les photographes sous l’étendard «Droit au logement, droit à la ville». Ces opposants de la première heure, déjà mobilisés contre le projet de la caserne des Vernets avec le slogan «Pour un projet à taille humaine», dénoncent un urbanisme au profit des promoteurs, une surdensification, pas assez de logements, trop de bureaux, de surfaces commerciales chères et de démolitions, pas de parc de quartier, des équipements publics insuffisants et, enfin, un déficit de débat public7.

Leurs griefs portent entre autres sur les formes et les mesures du projet, à l’origine d’un urbanisme perçu comme trop dense: rues trop étroites, bâtiments trop hauts, cours étriquées. La critique de la densité, récurrente depuis que le terme a fait son apparition dans le champ lexical de l’aménagement urbain, traduit la difficulté à appréhender une réalité spatiale à travers les outils de représentation traditionnels: plans, axonométries, renders. Dans le cas d’Acacias 1, pour tenter de donner à voir ou à comprendre ce que serait la densité de ce quartier, le document sec du PLQ a été enrichi de planches comparatives mettant en regard îlots, rues, places et tours projetés avec des espaces genevois existants de surfaces / hauteurs / largeurs similaires.

Quelle ville veut-on?

À l’appui de ses arguments, le CAHQ a produit en mai 2022 plusieurs documents graphiques8: simulations d’ombres et d’ensoleillement sur le projet à différentes périodes et heures de l’année (il y aurait trop d’ombres portées), coupe sur la Drize (l’effet canyon serait toujours là) et proposition d’aménagement alternative. Cette dernière entend démontrer la possibilité de créer le même nombre de logements avec plus de surfaces dédiées aux équipements publics, un parc, des bâtiments moins hauts et moins de bureaux. Contre les îlots du projet de PLQ, elle dessine des barres de gabarits identiques (24 m + attique), à bonne distance les unes des autres, au milieu d’espaces ouverts.

Posture risquée, cette proposition, maladroite sur la forme comme sur le fond (le compte de logements n’y est pas puisqu’une partie sont construits le long de la route des Jeunes, ce qui est interdit aujourd’hui par la contrainte OPAM), sera sévèrement taclée en retour par l’État et les milieux professionnels, FAI et FAS en tête, qui intenteront aux opposants un procès en crédibilité: «Projet alternatif bricolé sur un coin de table en un mois», «retour en arrière, à la périphérie, à la table rase», «vision datée de l’urbanisme», «cité dortoir»9.

De fait, la contreproposition témoigne d’une vision assez nostalgique de la modernité, plus résidentielle, plus périphérique, braillardienne (les opposants citent en référence les îlots ouverts de Montchoisy aux Eaux-Vives, Braillard et Vial, 1927) – une certaine idée de la ville, peu raccord avec l’intensité métropolitaine voulue par les artisans du PAV. Elle se révèle surtout moins riche spatialement que le projet de PLQ, qui, avec ses rues et ses îlots, déploie de multiples situations urbaines (places, cours, passages, activités en rez-de-chaussée, gabarits divers, perspectives). Le bras de fer entre artisans et opposants illustre aussi deux visions antagonistes de l’écologie: l’une, inspirée des années 1960, qui survalorise la nature aux dépens de la ville, et l’autre, plus froidement rationnelle, des années 2000, qui mise sur la densification dans l’existant pour stopper le mitage et la destruction des paysages.
Derrière l’argumentaire et ses maladresses, les opposants, qui pour la plupart ne sont pas contre la transformation du PAV mais interrogent la manière de le faire, expriment des craintes légitimes, que certains projets récents viennent alimenter.

Les monolithes tertiaires de Lancy-Pont Rouge (CFF immobilier) et du Campus Pictet de Rochemont (Banque Pictet, en construction) ou le projet Quai Vernets (Canton) qui fait table rase de l’ancienne caserne pour construire 1500 logements avec un indice d’utilisation du sol élevé (2.96), soulèvent en effet des questions aussi bien sur la densité que sur les hauteurs, les îlots de chaleur, la proportion de bureaux aux dépens de l’habitat ou les démolitions. Les récents projets de loi portés par la nouvelle majorité parlementaire de droite pour doubler le nombre d’appartements en PPE dans le PAV (24 % contre 12 % actuellement)10 montrent également que la vocation sociale affirmée par la loi PAV de 2018 ne tient qu’à un fil...

Tout reste à faire

Le PLQ est un passage obligé et une pierre angulaire du projet, qui définit la forme du quartier et un montage financier rassurant pour les investisseurs. Mais tout reste à faire pour mettre en œuvre cette vision. C’est la Fondation PAV (FPAV)11, fondation cantonale de droit public chargée du développement du projet, qui sera garante pour une large part de sa qualité et de sa réussite. L’exigence de ses cahiers des charges, la qualité de ses procédures, le choix des investisseurs et des équipes de mandataires seront déterminants pour la suite. Dans le cadre figé du PLQ, elle devra aussi avancer avec la souplesse nécessaire pour accueillir les aléas liés aux négociations avec les acteurs en place, aux revirements politiques ou à la prochaine crise sanitaire ou économique.

Sur le choix et le type d’investisseurs, «tout est ouvert et les réflexions sont en cours», nous dit Vinh Dao, directeur général de la FPAV, mais la fondation privilégiera une logique de projets à une logique de quotas. Elle lancera ainsi des appels à projets, sans a priori sur le statut des investisseurs. Que le meilleur gagne. La fondation se dit cependant consciente de l’importance de donner une place à deux acteurs majeurs à Genève: les coopératives d’habitation et les fondations de droit public.

La fondation PAV a aujourd’hui à disposition une ressource considérable: les retours d’expérience sur les nouveaux quartiers genevois déjà réalisés (la Jonction, Adret Pont-Rouge, l’Étang, La Chapelle-les Sciers, les Vergers à Meyrin, Belle-Terre, etc.). L’analyse rétrospective et comparative de ces projets, le bilan qu’en tirent leurs acteurs – maîtres d’ouvrage, investisseurs, architectes, entreprises et désormais habitants – constituent une somme dans laquelle puiser les bons exemples et discerner les écueils à éviter.

Les terrains d’Acacias 1 sont majoritairement en mains publiques: c’est une chance rare à Genève, que la fondation doit exploiter pour imposer ses ambitions – sociales, spatiales, constructives et environnementales – aux investisseurs qu’elle choisira, comme à ceux qui sont déjà dans la place12.

À quoi aura servi la votation?

Les débats qui ont précédé la votation, emprunts de la mauvaise foi et de la démagogie inhérentes à ce moment particulier de la vie démocratique suisse, ont tourné en boucle autour d’une opposition caricaturale: un quartier «vert, durable, pour tous» du côté des artisans du projet, «trop dense, trop bétonné, pour les riches» du côté des référendaires, chacun se renvoyant la balle, méchants capitalistes contre gauchistes irresponsables.

Au vu des résultats sans ambiguïté (même si le taux de participation était faible: 34.69%), on peut se demander si ce référendum a apporté, comme il aurait pu le faire, sa contribution au débat démocratique sur les modèles de développement de la ville ou s’il n’a été qu’une perte de temps, une entrave à une politique de densification déjà validée dans les urnes... La réponse tristement binaire (oui/non) exigée par la votation laisse peu de place à des postures plus nuancées qui ouvriraient plus largement, et sereinement, la discussion sur l’outil PLQ, les modes de financement et leurs impacts sur le projet, la densité et sa résolution spatiale, la place des bâtiments et activités déjà présentes, etc. L’histoire ne fait que commencer et d’autres débats suivront. Réjouissons-nous en attendant de voir cet espace minéral, pollué et monofonctionnel se transformer. Et souhaitons que les craintes émises par les opposants soient entendues et servent à maintenir une pression suffisamment forte pour que le secteur Acacias 1 devienne vraiment un quartier de centre-ville vivant et populaire.

Cet article est une version remaniée de l’article «Au PAV, pour ou contre le projet Acacias 1?» paru sur espazium.ch le 13 juin 2023, avant la votation.

Notes

 

1 À l’exception de la pointe de l’Étoile et du pavillon Sicli, des terrains Rolex et du quartier d’habitation Ternier (qui fait l’objet d’une étude parallèle par l’atelier Bonnet)

 

2 Sur la longue histoire du PAV, voir par exemple «Genève 2020», Francesco della Casa, Tracés 20/2005; «Genève, 2020, Co-habitations, concours international d’architecture et d’urbanisme, densification du secteur Praille-Acacias-Vernets à Genève», FAS, section Genève, Infolio; «Au PAV, l’industrie est-elle soluble dans le projet urbain?», Stéphanie Sonnette, Tracés 10/2019

 

3 La loi PAV de 2018 affirme la vocation mixte et sociale de ces nouveaux quartiers et la volonté de répondre aux besoins en logements, en instaurant un ratio de deux nouveaux logements pour un nouvel emploi et des règles strictes sur l’affectation des logements sur les terrains en mains publiques (62 % de LUP [24 % HBM, 38 % autres], 26 % de locatifs libres et 12 % de PPE en droits de superficie). Tous les logements seront par ailleurs contrôlés par l’État, y compris ceux construits sur du foncier privé.

 

4 Avec Lin Robbe Seiler architectes (projet de plan localisé de quartier), AMT Atelier Marion Talagrand (paysage), CITEC Ingénieurs Conseils (mobilité), 3E Ingénieurs (énergie), BIOL conseils (environnement), SD plus ingénierie (gestion des eaux)

 

5 Pour une description précise du projet, voir le rapport explicatif du PLQ sur le site du Canton: ge.ch

 

6 Depuis, le CAHQ a rallié d’autres associations. Liste des référendaires: Collectif des Associations d’habitant·e·s et de quartiers, Association des Habitants des Acacias, Association des Habitant·e·s de la Jonction, SURVAP-Association des Habitant·e·s des Pâquis, Association des Habitant·e·s Cluse-Roseraie, Association des Habitants du Petit-Saconnex Genève, Locataires BAT43-Acacias, Action Patrimoine Vivant, SOS Patrimoine CEG, Association Biodiversité-Culture-Patrimoine, Association Vernets Vivables et Écologiques, SSP-Syndicat des Services Publics, SIT-Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs, Extinction Rébellion GE, Ensemble à gauche du Conseil municipal, Union Populaire, Parti du Travail, solidaritéS.

 

7    Voir le détail de l’argumentaire sur le site acacias1-non.ch

 

8 L’un des membres actifs du collectif, Marc Brunn, est architecte-urbaniste, membre d’Ensemble à Gauche, ancien membre de la Commission cantonale d’urbanisme. À travers cette contre-proposition dessinée, on devine aussi une querelle professionnelle et générationnelle.

 

9 Extraits des rapports de majorité et de minorité de la commission de l’aménagement et de l’environnement chargée d’examiner la proposition du Conseil administratif du 27 avril 2022, sur demande du Département du territoire (DT), en vue de l’adoption du projet de PLQ Acacias 1, septembre 2022.

 

10 «À Genève, le parlement modifie les règles d’aménagement du PAV», Le Temps, 12 mai 2023. L’ASLOCA a prévu d’attaquer en référendum la décision du Grand Conseil.

 

11 Créée en 2019 pour 40 ans, La Fondation PAV a pour mission de libérer les terrains du périmètre PAV dont elle est propriétaire notamment en rachetant les droits de superficie distincts et permanents (DDP) aux ­superficiaires-industriels actuels. Elle valorise ses terrains en octroyant des nouveaux contrats de DDP aux investisseurs privés et publics en conformité avec les programmes de logements et d’activités prévus par les plans localisés de quartier. Elle contribue à la réalisation des infrastructures, équipements collectifs et espaces publics nécessaires à la qualité de vie dans les quartiers. (Extrait du rapport d’activité 2022 de la FPAV)

 

12 Ceux qui ont démarché directement les superficiaires et racheté leurs DDP, avec l’aval de la fondation PAV qui devient leur cocontractant.

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