Per­for­mance des struc­tures mo­du­laires en acier iso­lées aux séismes

L’isolation sismique est bien souvent jugée trop chère. Cependant, l’emploi d’appareils d’appuis isolants peut offrir, au-delà des critères normatifs, de multiples avantages en termes d’économie de matériaux, de temps de travail, ainsi qu’en termes de performance globale du bâtiment au cours de sa durée de service – avec des coûts et des temps de réparation nettement réduits.

Date de publication
31-08-2022
Elias Merhi
ingénieur civil EPF | collaborateur scientifique Laboratoire des structures en acier résilientes (RESSLab) EPFL

L’isolation sismique se place parmi ces technologies peu connues et coûteuses qui offrent une manière de faire atypique dans le domaine du génie civil. Elle représente une stratégie relativement nouvelle qui cherche à protéger les bâtiments et leurs contenus des effets dévastateurs d’un séisme. Un système d’isolation sismique est généralement constitué d’appuis cylindriques ou glissants installés à l’interface entre la structure et les fondations. Ces appareils, de faible rigidité latérale, rallongent la période fondamentale de la structure et réduisent ainsi fortement les forces retransmises à cette dernière.

Une large panoplie d’appareils d’appuis isolants existe, mais les plus employés sont les appareils cylindriques constitués d’élastomère en caoutchouc avec un ou plusieurs noyaux en plomb. Le grand avantage de ces appuis réside dans leur comportement bilinéaire.

En effet, lorsque des appuis isolants supportent un bâtiment, ils ne doivent être activés que lorsqu’une force latérale conséquente agit. Pour ce type d’appareil, le noyau de plomb opère tel un amortisseur qui permet la reprise d’efforts faibles (vent, séismes mineurs, etc.), alors que le caoutchouc est dimensionné pour se déformer et dissiper l’énergie provenant d’un séisme.

Ces propriétés très avantageuses permettent à ce type d’appuis de se démarquer et d’offrir aux ingénieur·es civil·es des perspectives nouvelles dans la conception et le dimensionnement parasismique.

Étude de cas: bâtiment de quatre étages en construction mixte à Sion (VS)

Afin d’évaluer la pertinence de l’emploi d’appuis isolants dans des bâtiments situés dans les zones à haut aléas sismique en Suisse, nous avons étudié un prototype dans le cadre d’un travail de Master réalisé au RESSLab de l’EPFL1. Le bâtiment en question est une construction mixte acier-béton de quatre étages, montée à Sion (VS). La structure porteuse est bi-symétrique et constituée de cadres rigides espacés tous les 8 m, disposés dans les deux directions. Ils sont composés de colonnes carrées creuses RRW en acier qui supportent des planchers mixtes où de fines dalles de 130 mm de béton armé reposent sur une grille de poutres IPE en acier.

Nous avons conçu, dimensionné et analysé deux variantes du même bâtiment pour différentes classes d’ouvrages, dans le but de comparer leurs performances respectives au cours de leur durée de service : la première encastrée au sol et la seconde posée sur des appuis isolants.

Le bâtiment a été d’abord dimensionné avec une base fixe. Les pieds des divers montants du 1er étage sont encastrés dans un radier en béton armé reposant sur une fondation constituée de pieux en béton. Cette configuration relève d’une stratégie traditionnellement employée dans le domaine du bâtiment. En effet, dimensionner une structure et la fixer au sol constitue une pratique couramment adoptée à travers le monde. Cependant, quand une construction se situe dans une zone où l’activité sismique est prépondérante, comme à Sion, diverses dispositions techniques et constructives doivent être considérées au cours de son élaboration. Lors du dimensionnement d’une structure conventionnelle en zone sismique, une méthode dite «en capacité» doit être respectée: les divers éléments porteurs du bâtiment sont calculés et déterminés sur la base d’une hiérarchie fixée délibérément par l’ingénieur·e. Cellui-ci introduit un maillon faible dans la structure (les poutres principales dans notre cas), dimensionné de manière à dissiper, en se déformant, l’énergie provenant d’un éventuel séisme.

L’emploi de cette approche relativement complexe pour la détermination des dimensions des divers éléments de la structure porteuse mène généralement à des sections plus grandes, notamment pour les colonnes, et donc à une plus grande quantité d’acier employée.

Pour s’éviter le fastidieux calcul de dimensionnement en capacité, une deuxième variante a été étudiée. Consistant à isoler totalement la structure du séisme, elle semble de prime abord plus coûteuse. La structure repose, dans ce cas, sur des appuis en caoutchouc à noyau en plomb placés sur des blocs de fondation sous les colonnes du 1er étage. Les propriétés bilinéaires et la déformabilité des appuis isolants assurent ici la dissipation de l’énergie provenant d’un séisme et évitent toute transmission de forces additionnelles aux éléments structuraux (poutres, piliers). Ainsi, le dimensionnement élastique classique de la superstructure du bâtiment isolé mène à des éléments aux dimensions inférieures à ceux obtenus pour le bâtiment conventionnellement encastré.

Dans le but d’appliquer les principes de la construction modulaire qui assurent une haute qualité d’exécution et des durées de chantiers minimales, nous avons utilisé dans cette étude de cas une méthode de construction traditionnellement employée au Japon. Des colonnes de plusieurs étages préfabriquées et soudées à des morceaux de poutres principales forment une sorte d’arbre. Ces arbres-colonnes sont transportés sur le chantier, et connectés aux pièces centrales des poutres IPE principales à l’aide de couvre-joints boulonnées aux ailes et âmes des profilés. La séquence de construction ainsi que les divers détails constructifs, présents dans les deux variantes du bâtiment, sont mis en relief dans la Fig. D.

La conception et le dimensionnement complet des bâtiments à base fixe et à base isolée ont été réalisés pour différentes classes d’importances sur la base des normes SIA en vigueur. L’importance d’un bâtiment croît selon le nombre de personnes qui l’occupe et selon sa fonction sociétale (par exemple: hôpital, école, etc.).

Les résultats illustrés sur la Fig. E indiquent clairement que le choix d’un système structurel à base isolée n’est pas évident dans le cas de constructions «standards» de classes COI et COII. En effet, une solution utilisant des appuis isolants extrêmement coûteux, ne peut être justifiée en phase préliminaire, que si des critères de performances sont requis. En contrepartie, pour des structures d’importance cruciale à la communauté, de classe COIII, éviter le dimensionnement par capacité permet de réaliser des économies pouvant atteindre 20 % en termes de matériaux de construction. Ces économies, couplées avec la simplification du processus du dimensionnement, encouragent à explorer, au stade de la conception de certains ouvrages, des alternatives employant les technologies d’isolation sismiques, souvent jugée trop chères et complexes par les ingénieurs.

En plus des économies plus ou moins conséquentes pouvant être réalisées au niveau des matériaux de construction, il s’avère que les structures équipées d’appuis isolants se révèlent plus performantes lors d’un séisme. En effet, ces dernières restent opérationnelles et affichent des dégâts et des endommagements post-sismique minimes.

Analyses dynamiques non linéaires

Dans le but de comparer des paramètres déterminants affectant la performance globale de la structure lors d’un séisme, nous avons conduit des analyses dynamiques non linéaires au moyen du logiciel OpenSees pour les deux variantes du bâtiment analysé. Deux séries de 40 séismes représentatifs d’événements pouvant se présenter à Sion, fréquemment avec une probabilité de dépassement de 10 % sur 50 ans (période de retour TR de 475 ans), et rarement avec une probabilité de dépassement de 2 % sur 50 ans (période de retour TR de 2475 ans), sont utilisés lors des simulations.

Les résultats obtenus montrent clairement que la structure supportée par des appuis isolants subit moins de demandes en termes de déformations et d’accélérations dues aux séismes. En effet, le bâtiment encastré traditionnellement subit des déplacements et des accélérations conséquents qui, même sans menacer la stabilité globale de l’ouvrage, dépassent certaines limites caractéristiques indiquant la présence d’endommagements dans la structure. L’excellente performance du bâtiment isolé, symbolisée par des demandes structurelles minimes, peut se traduire sur le long terme par des dégâts et des coûts de réparation limités. Ceci renforce l’idée que la solution isolée, initialement coûteuse, peut également être amortie, par une meilleure performance et des coûts de maintenance et de réparation réduits au cours de son cycle de vie.

Analyses des pertes liées aux risques sismiques

Les différents paramètres caractérisant la réponse de la structure, obtenus grâce aux simulations numériques, peuvent être utilisés et transformés en coûts de réparation à l’aide d’une analyse de pertes. En effet, en introduisant les données du bâtiment (système statique, éléments structuraux et non structuraux), population, emplacement, etc.) ainsi que les endommagements attendus (déformations, accélérations), une analyse numérique permet d’aboutir à un chiffrage représentatif des pertes sur le long terme.

Le logiciel EaRL, développé à l’EPFL, est utilisé afin de réaliser des analyses de pertes et ainsi comparer les coûts de réparation attendus pour chacune des deux variantes du bâtiment. Les résultats obtenus mettent en avant la pertinence de l’emploi d’appuis isolants pour des structures construites en zone sismique en Suisse. En effet, même si les deux variantes étudiées ne présentent pas de risques d’effondrement ou de démolition, le bâtiment isolé au séisme affiche des pertes nettement atténuées et qui se concentrent uniquement au niveau des éléments non-structuraux (façade, fournitures, etc.) du premier étage. En contrepartie, la structure conventionnellement fixée au sol fait face, au cours d’un évènement, à des dommages répartis le long du bâtiment et qui touchent les éléments non structuraux et structuraux (connexions, poutres, colonnes, etc.). Les coûts de réparation de ces multiples dégâts peuvent s’avérer assez conséquents et atteindre jusqu’à environ 25 % à 30 % du coût initial de la structure, soit dix fois la valeur obtenue pour le même bâtiment isolé au séisme.

Les analyses de pertes effectuées montrent l’importance du choix du système de résistance parasismique par l’ingénieur·e. Effectivement, une solution coûteuse, telle que celle employant les technologies d’isolation sismique, difficilement soutenable en phases préliminaires, peut s’avérer finalement justifiable grâce à son éventuel amortissement lié à la meilleure performance globale du bâtiment sur le long terme.

L’isolation sismique peut donc représenter, dans certains cas, une alternative innovante et intéressante aux pratiques traditionnelles employées dans le domaine de la construction. De nos jours, les nombreux systèmes de résistance latérale conventionnels présents sur le marché (cadres rigides, contreventements, refends, etc.) permettent de satisfaire les dispositions fixées par les normes, empêchant ainsi l’émergence de nouvelles solutions. Ces dernières, souvent jugées comme trop coûteuses et/ou complexes par les ingénieur·es, telles les isolations sismiques, ne sont que très peu utilisées en Suisse. Cependant, les analyses montrent que l’emploi d’appareils isolants peut offrir, au-delà des critères normatifs, de multiples avantages en termes d’économie de matériaux, de temps de travail, ainsi qu’en terme de performance globale du bâtiment au cours de sa durée de service avec des coûts et des temps de réparation nettement réduits.

Note

 

1 Elias Merhi, «Seismic performance of modular steel structures incorporating seismic isolation with lead-rubber bearings», projet de Master en Génie civil, dirigé par le Pr Dr Dimitrios Lignos, Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC), EPFL, 2022.

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