Don’t Look Down!

Les experts estiment le potentiel de dégâts d’un tremblement de terre majeur en Suisse à plus de cent milliards de francs. Pourtant, ce risque est nettement sous-estimé par la population et le monde politique. Explications.

Date de publication
10-02-2022

Le film Don’t Look Up!, réalisé par Adam McKay et sorti en 2021, a été évoqué à plusieurs reprises lors des entretiens menés en vue de la réalisation du dossier sur la gestion du risque dans les infrastructures. Mettant en scène les déboires d’un duo d’astronomes cherchant à alerter les autorités face à l’imminence de la chute d’une comète sur la Terre, il est une métaphore du déni et de l’inaction face au changement climatique. Si le risque d’une catastrophe d’origine cosmique figure bien dans le rapport CaSUS 2020, il est jugé par ses auteurs bien plus faible que celui d’un très terrestre séisme majeur. Les experts de la Confédération estiment en effet le potentiel de dégâts d’un tel tremblement de terre à plus de cent milliards de francs. Pourtant, ce risque est nettement sous-estimé par la population et le monde politique.

En effet, ce genre de phénomène est statistiquement rare. Les dix séismes les plus forts répertoriés en Suisse à ce jour ont eu lieu entre 1295 et 1946. Trois d’entre eux ont dépassé la magnitude 6 [Bâle (BS), 1356, mag. 6.6; Churwalden (GR), 1295, mag. 6.2; Stalden-Visp (VS), 1855, mag. 6.2). Cinq de ces dix séismes ont eu lieu en Valais (1524, 1584, 1755, 1855 et 1946) avec des magnitudes comprises entre 5.7 et 6.2].

S’il ne fit que quatre victimes, le tremblement de terre de Sierre en 1946 (mag. 5.8) endommagea plus de 3500 bâtiments. Malgré le fait qu’il fut ressenti dans toute la Suisse, cet événement n’a pas durablement marqué la mémoire collective, au contraire des avalanches de l’hiver 1950-1951. La mauvaise connaissance du phénomène et de ses origines, qui en faisait davantage une calamité qu’une catastrophe, pourrait-elle l’expliquer? La tectonique de plaques ne révolutionnera en effet les sciences de la Terre qu’une vingtaine d’années plus tard.

Un risque plus élevé

À l’image de la Suisse, le fond de la vallée du Rhône s’est densément peuplé et a accueilli de nombreuses industries. Facteur aggravant, le sous-sol y est défavorable à cause des effets de site : l’amplitude des ondes sismiques peut en effet être multipliée par dix dans les sédiments non consolidés en raison d’un piégeage des ondes, avec comme corolaire des dégâts plus lourds aux bâtiments. En raison de la densité plus importante des constructions, dont la plupart n’ont pas été dimensionnés au moyen de normes prenant en compte cette situation de projet, les conséquences d’un tremblement de terre similaire à celui de 1946 à Sierre, dont la période de retour est estimée entre 50 et 100 ans, seraient aujourd’hui bien plus importantes, d’où un risque plus élevé.

Déficit d’assurance

À des degrés divers, le risque sismique concerne toute la Suisse. Alors qu’il est obligatoire d’assurer un bâtiment contre les dangers naturels, comment expliquer que ce ne soit pas le cas pour les tremblements de terre? «Historiquement, les établissements cantonaux d’assurance (ECA) se sont focalisés sur la protection incendie, fait valoir Marco Schwab, responsable de la prévention à l’établissement cantonal d’assurance des bâtiments (ECAB) de Fribourg. Puis ils se sont intéressés aux dangers naturels durant la dernière partie du 20e siècle. Mais si l’ECAB ne couvre pas le risque sismique, il joue, de par son mandat de centre de compétence en génie parasismique, un important rôle de prévention. Cela passe notamment par l’examen des permis de construire pour les classes d’ouvrages II et III (soit les constructions à l’intérieur desquelles des rassemblements importants de personnes sont possibles et les constructions avec fonction d’infrastructure vitale, n.d.l.r.) et par des campagnes de communication et de sensibilisation auprès des propriétaires.»

Pour Marc Choffet, responsable du centre de compétences prévention incendie et éléments naturels à l’ECA Vaud, un autre problème tient au fait que «l’on connaît très mal l’état du porte­feuille relatif au risque sismique. Nous avons lancé des projets pilotes dans quelques communes pour l’estimer car on ne sait quasiment rien sur ce qui a été construit avant 1990. Sans cette connaissance, difficile de calculer une prime.» La grande majorité des bâtiments existants présentent une sécurité insuffisante contre les tremblements de terre. En cause, l’absence de directives à l’époque de leur construction. Depuis 2004, les exigences de construction parasismique sont indiquées dans les normes SIA 260 à 269.

«Ces normes visent à préserver la vie humaine. Le dimensionnement plastique contre le séisme va affecter la valeur des bâtiments même s’ils ne s’effondrent pas. Dès lors, penser qu’un bâtiment répondant aux normes sismiques actuelles va conserver sa valeur après un séisme important est une fausse croyance largement répandue. Les normes protègent la valeur humaine exposée au risque sismique. Seule une réponse assurantielle est capable de préserver la valeur financière et économique de nos infrastructures face au Big One. À ce jour, un tel instrument n’existe pas», rappelle l’ingénieur cantonal valaisan Vincent Pellissier.

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