Mé­ta­mor­pHouse: den­si­fier en dou­ceur

Quatre communes vaudoises ont testé une méthode de densification douce qui implique directement les propriétaires de maisons individuelles. En les incitant à transformer leur maison, les communes espèrent ainsi activer des réserves à bâtir. Demi-mesure ou piste à suivre? 

Date de publication
07-03-2019
Revision
07-03-2019

TRACÉS: Comment fonctionne la stratégie MétamorpHouse? 
Mariette Beyeler: C’est une approche participative, une stratégie de densification bottom up. Cette démarche est portée par la commune, mais elle se focalise sur le propriétaire privé, sa maison, sa parcelle et le potentiel de densification concret. Elle part de l’hypothèse que la sensibilisation aux avantages de la densification et la motivation des propriétaires sont indispensables: on peut augmenter les indices, créer des réserves supplémentaires, mais tant que le propriétaire ne devient pas acteur, les mesures ne portent pas. L’idée est de reconsidérer la maison individuelle non pas comme un objet fini, auquel il faut s’adapter, mais comme une «matière première», que l’on peut faire évoluer au cours d’une vie et en fonction des besoins.

Où en est le projet MétamorpHouse?
Afin de développer la stratégie, un projet pilote a été mené entre 2015 et 2018 dans les trois communes de Villars-sur-Glâne (FR), Courroux (JU) et Wohlen (BE), avec le soutien de l’Office fédéral du logement et de fondations privées. En 2019 aboutira le projet pilote mis en œuvre par le Service du développement territorial (SDT) dans quatre communes vaudoises: Crassier, Cugy, Echallens et Pompaples. Il s’agissait cette fois d’évaluer comment l’outil est accueilli et quels résultats il peut livrer pour le canton, comment les communes peuvent se l’approprier, alors qu’elles sont en train de réviser leur plan général d’aménagement. 

L’outil peut donc contribuer à modifier des règle­ ments communaux?
Dans le cadre de la mise en œuvre de la révision de la loi sur l’aménagement du territoire (RLAT), les communes ont l’obligation d’adapter leurs règlements au plan directeur cantonal. Ce processus est en cours. MétamorpHouse leur livre des indications précieuses sur ce qui freine et ce qui favorise la densification dans leur règlement en relevant les réserves à bâtir parmi un échantillon de propriétaires qui se sont annoncés pour participer au projet. En analysant le potentiel d’utilisation des réserves relevées et en le mettant en lien avec les scénarios d’habitation des propriétaires, on gagne une vision précise des éléments qui favorisent ou qui freinent la valorisation des réserves, ainsi qu’un aperçu des projets en devenir. 

Par exemple?
Parmi les quatre communes qui déploient la stratégie, l’une d’elles autorise trois logements par bâtiment. Il faut savoir que certaines communes vaudoises n’en n’autorisent qu’un seul, ce qui rend impossible tout effort de densification sociale (qui augmente le volume pour augmenter le nombre de ménages et/ou d’habitants)... Les autres communes n’autorisent que deux logements par immeubles. Elles se sont alors aperçues qu’en modifiant ce point de leur règlement, elles faciliteraient l’utilisation des réserves par les propriétaires qui en disposent parfois de plusieurs centaines de m2.

Cette stratégie «douce» ressemble à une demi­ mesure. Peut­-elle vraiment augmenter sensiblement le nombre d’habitants?
La plupart des villas ont été construites dans les années 1970-1990 pour des familles de quatre à cinq membres. Aujourd’hui, la moitié d’entre elles est habitée par un petit ménage d’une ou deux personnes. En aménageant un deuxième appartement pour un ménage de deux à trois personnes, on revient en quelque sorte à la situation d’origine mais en la rendant plus constante. En augmentant le nombre de ménages et en diversifiant la taille des habitations dans les quartiers de maisons individuelles, on peut ainsi éviter une évolution du nombre d’habitants en dents de scie. Actuellement, dans le canton de Vaud, on compte 50 m2 pour accueillir un habitant supplémentaire. Or, à Villars-sur-Glâne (FR), nous avons observé que des propriétaires ayant de très petites réserves (env. 30 m2) pouvaient réaménager leur maison individuelle, la subdiviser et accueillir une famille. 

Mais pourquoi faudrait-­il limiter le nombre de ménages par immeubles?
Les règlements actuels datent d’une époque où on n’avait pas besoin de densifier. L’idéal était d’habiter seul dans sa maison individuelle au milieu de son jardin, loin de tous voisins. Les règlements des zones à faible densité servaient alors à protéger cet idéal. Aujourd’hui, nous marchons sur un chemin de crête: il faut inciter les habitants à densifier leur parcelle, mais en même temps il faut veiller à ce que la densification soit à la fois quantitative et qualitative. C’est-à-dire qu’on augmente le nombre de ménages sans perdre la qualité de l’habitation individuelle.

Et aujourd’hui, faut-­il selon vous continuer d’interdire les opérations de densification trop importantes en zone villas?
L’idée de MétamorpHouse est de promouvoir une forme de densification douce qui cherche la flexibilité et la diversité des formes de ménages. Avec une opération de promoteurs, on aboutit souvent à des propriétés par étages standardisées en forme de «timbre-poste», dont le rapport à la rue se résume à une entrée de garage souterrain. Ce type de projet n’augmente ni la diversité des ménages ou des groupes d’âges, ni la qualité du quartier et de la rue.

Ne croyez­-vous pas que cette stratégie douce peut empêcher une véritable densification?
Il n’y a pas de solution unique! En zone urbaine, la question du sens de la densification douce peut être posée. En effet, avec une stratégie «douce», on risque effectivement de bloquer le développement de projets de grande envergure. Mais en même temps, à force de privilégier partout et à tout prix la densification forte, tout se bloque. Les propriétaires ont toujours le dernier mot. C’est pour cette raison que notre stratégie commence par eux, les incite à activer les réserves et cela idéalement avec leurs voisins.

La méthode MétamorpHouse pourrait­-elle s’appliquer également en milieu urbain?
La densification douce ne fait pas sens partout. Mais dans les zones de faible densité, comme il y en a des milliers en Suisse, elle permet d’accueillir un nombre important d’habitants supplémentaires tout en préservant les qualités des quartiers. En milieu urbain, il y a d’autres stratégies à développer. Je ne suis pas en train de défendre à tout prix la densification douce. Je dis simplement qu’à chaque situation doit correspondre une solution adaptée, mais que le propriétaire est toujours l’acteur central. Mais je ne crois pas que le «bon projet» soit forcément le «gros projet», celui qui réunit plusieurs parcelles, ni que le petit projet d’un propriétaire d’une maison individuelle n’ait aucun impact.

Quel intérêt un propriétaire a­-t-­il à densifier sa parcelle? La commune peut­-elle exercer une pression sur lui?
Aucun propriétaire de villas n’acceptera de densifier son bien sous la pression de la commune ou pour répondre à une question d’intérêt général. C’est pour cette raison que la stratégie MétamorpHouse met les préoccupations des propriétaires (par exemple les questions de succession) au centre pour en faire un moteur de la densification. Souvent, aucun des enfants adultes d’un couple de propriétaires n’aura les moyens financiers pour reprendre la maison après le décès des parents et racheter la part de ses frères et sœurs. L’activation des réserves pour construire un second logement permet parfois de préparer la succession tout en profitant de son vivant. De plus, la densification peut également représenter une plus-value intéressante et produire un rendement intéressant.
Et il y a aussi la question de la qualité d’habitation. Quand les enfants adultes partent, la villa peut représenter une charge. En transformant la maison et le jardin pour y aménager deux habitations, dont une se prête idéalement à bien vieillir chez soi, les propriétaires investissent dans un projet qui peut garantir le maintien de leur cadre de vie à long terme.

Il n’y a pas si longtemps encore, plusieurs géné­rations pouvaient se partager une ferme. Peut-­on favoriser des cohabitations intergénérationnelles, imaginer la création d’espaces partagés?
Si deux ménages distincts parviennent à se partager une maison individuelle, c’est déjà un grand pas! Parfois la buanderie et une partie du jardin sont utilisées en commun. Mais il me paraît très important, de bien séparer les habitations, les accès au logement et les espaces extérieurs privatifs. Mais il y a des exceptions. Je connais le cas d’une grande maison individuelle qui a été transformée en cohabitation pour trois couples âgés, dans laquelle une chambre d’amis ainsi qu’un atelier de bricolage et de couture étaient partagés.

Est­-ce que la stratégie favorise des projets sur plusieurs parcelles?
Les projets en commun avec les voisins ne sont pas monnaie courante. La haie de thuya reste une limite bien respectée! De plus, le voisin représente un ennemi potentiel: c’est celui qui fera peut-être opposition au projet de densification. Même si les propriétaires savent que la meilleure réserve à bâtir (la différence entre le potentiel constructible selon le règlement et ce qui a réellement été construit) peut se situer entre deux maisons individuelles, ils ne vont pas forcément solliciter leurs voisins. C’est son projet individuel qui lui tient à cœur. Mais MétamorpHouse prévoit également des événements publics, pendant lesquels les propriétaires se rencontrent et réalisent que leurs voisins s’intéressent également à la densification.

Quel est l’intérêt du côté des communes pour la densification?
Les communes n’ont plus la possibilité de définir de nouvelles zones villas à l’infini, alors que la demande pour ce type d’habitat est toujours grande. MétamorpHouse montre qu’on peut accueillir de nombreux ménages dans les quartiers déjà bâtis. En plus des réserves à bâtir, la démarche montre l’intérêt et l’importance des réserves «cachées», par exemple les chambres à coucher inoccupées à l’étage d’une maison familiale après le départ des enfants. Ces réserves «à habiter» augmentent considérablement le potentiel de densification douce.
Il s’agit donc de travailler à la fois sur les réserves à bâtir et les réserves cachées, ces surfaces déjà construites qui pourraient être affectées à une nouvelle habitation.

Ont­-elles également un intérêt économique?
L’intérêt des communes est parfois aussi de rester attractives pour les ménages qui rêvent d’une maison individuelle. Un quartier avec une diversité et une mixité de tailles, d’âges et de formes de ménages est plus attractif qu’un quartier en perte d’habitants. Les communes ont donc tout intérêt à augmenter le nombre d’habitants dans ces quartiers souvent vieillissants, à favoriser une certaine mixité pour stabiliser le nombre d’habitants à long terme, ne serait-ce que pour financer des infrastructures ou des équipements.
Quand une commune crée un nouveau quartier avec une école, celle-ci risque d’être délaissée quelques années plus tard, quand les enfants seront grands. Conserver un nombre d’habitant constant dans ces quartiers permet d’éviter une utilisation en dents de scie des équipements.

L’outil peut­-il favoriser une mixité sur le plan des usages, en encourageant d’autres programmes?
La plupart des règlements autorisent déjà des activités compatibles avec l’habitation. En revanche, ils n’autorisent pas forcément la création de cafés ou de commerces avec une vitrine en bord de parcelle. Les quartiers de maisons individuelles sont monostructurés et l’implantation d’activités et de services doit absolument être encouragée.
Un autre aspect très important est l’espace de la rue, c’est-à-dire l’espace entre les maisons et la rue. La densification douce et l’implantation de nouvelles activités doit aussi permettre de requalifier la rue comme un espace collectif.

Dr Mariette Beyeler est architecte et responsable du projet MétamorpHouse. 

 

 

MÉTAMORPHOUSE: la démarche menée par le Canton de Vaud

Le projet pilote MétamorpHouse a été initié en mai 2018 par le Service du développement territorial dans le but de sensibiliser communes et propriétaires au potentiel de développement des quartiers d’habitation de faible densité, et d’inciter ces derniers à activer les droits à bâtir disponibles sur leur bien-fonds.
Il y a eu une forte demande pour les entretiens individuels menés par Mariette Beyeler lors de la première phase du projet. Durant ce mois de mars 2019, quatre séances d’information publiques auront lieu dans les communes impliquées. Elles réuniront des experts dans les domaines fiscal, notarial, bancaire et énergétique et permettront aux participants de trouver des réponses aux questions qui se posent dans le cadre d’un projet de transformation d’un bien immobilier.

Dates et horaires des séances:
– Échallens, mercredi 13 mars 2019, 19h, Grande Salle du Château
–  Cugy, jeudi 14 mars 2019, 20h, Maison villageoise
–  Crassier, mercredi 20 mars 2019, 20h, salle communale
–  Pompaples, jeudi 21 mars 2019, 19h, salle de la Biolle Pour en savoir plus: vd.ch/MétamorpHouse 

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