Mar­seille réu­nit ur­ba­nisme, ar­chi­tec­ture et pay­sage sous un même toit

L’Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires à Marseille fait partie de ces projets qui, une fois livrés, portent les traces d'un travail collectif d’une grande intelligence et renvoie à son mode de production. L'institut regroupe trois établissements d’enseignement et de recherche existants. Il est le fruit de la collaboration de plusieurs équipes, dont NP2F (mandataires), Marion Bernard, Point Supreme et Jacques Lucan. Le résultat est tout simplement captivant.

Date de publication
29-08-2023

C'est en visitant la nouvelle cathédrale du sport à Bordeaux que j'ai réalisé à quel point la nouvelle école en cours de finalisation méritait le détour. L'objectif de ce projet ambitieux était de faire évoluer l'enseignement en fusionnant les écoles d'architecture, d'urbanisme et du paysage, une petite révolution polytechnique dans un contexte français dominé par la fragmentation et le cloisonnement des disciplines. Une équipe a été constituée pour répondre au concours. Le choix des mandataires de s'associer à Marion Bernard ainsi qu’aux athéniens de Point Supreme a parfaitement fonctionné. Ces derniers ont su apporter au néo-brutalisme de NP2F un sens du détail et une capacité à théâtraliser les espaces partagés. Jacques Lucan s'est chargé d'apporter une plus-value introspective à ce travail conjoint. Que signifie placer l'enseignement de l'architecture sous la bannière d'une institution qui pense à la fois l'urbain et le rural ? Le résultat bâti bénéficie de tous ces apports. S’il est très probable que les architectes rechignent à se voir attribuer des étiquettes et des rôles précis, leur interaction ayant été plus articulée et plus complexe, il est également important de souligner à quel point la qualité du projet réside dans la rencontre de savoir-faire et d’idiomes architecturaux distincts. En y regardant de plus près, on peut même s'amuser à deviner qui a été derrière tel ou tel choix.

Esprit d’ensemble…

L'école est poreuse et véritablement façonnée par l'interaction avec la partie de la ville où elle se situe, face à la Porte d'Aix, sur un terrain récupéré après le déplacement de 600 mètres de l'entrée autoroutière de la ville. L'espace laissé vacant a été transformé en une grande place publique. Les bâtiments anciens autour de la Porte d'Aix ont été progressivement restaurés. L'école complète cette tentative de reconquête du centre en déshérence. L'ensemble est composé de trois bâtiments disposés autour d'un vide en forme de Y sur un terrain en pente. Chaque espace extérieur correspond à l’hypsométrie différente des trois rues qui bordent l’ensemble. Les trois unités, qui diffèrent par leur fonction et leurs caractéristiques constructives, ont toutes un esprit d’ensemble. Elles sont reliées entre elles par un système de larges coursives et de placettes en gradins. La forme des bâtiments est bioclimatique avec des retraits de façade au sud et à l’ouest. L'objectif étant de se protéger du soleil et de se rafraîchir grâce à la géothermie des dalles actives, la circulation de l'air et à de gigantesques ventilateurs au plafond. La forme est à la fois rudimentaire et généreuse, avec une structure en béton quasi-industrielle qui est devenue la marque de fabrique de NPF2. Elle est composée de dalles alvéolaires qui vont de portique en portique et de cloisons intérieures en bois, forcément amovibles.

…et cohérence

À ce néo-brutalisme reconnaissable s'ajoute un sens du détail et de l'articulation spatiale qui porte la marque indélébile de Point Supreme. Du carrelage sombre de la cafétéria, qui crée un volume dans le volume, aux grilles d'acier et aux balustrades translucides de la cage d'escalier, plusieurs éléments semblent concourir pour produire de la différenciation et un esprit de cohérence.

De nombreux éléments ajustés viennent enrichir et complexifier le principe constructif générique qui caractérise la structure. Il s'agit notamment du 1% culturel qui prend la forme de micro-jardins sur le toit et d’un paon hyperréaliste sur la corniche. Il y a aussi les inserts en pierre dans la dalle ou encore les brise-soleils inamovibles de la bibliothèque, en béton et pesant chacun deux tonnes. Le bâtiment se visite comme une image d’Épinal, à la recherche des nombreux détails qui en font toute la richesse. Le béton blanc, portant les traces des planches de coffrage, alterne avec des panneaux de bois peints en blanc. L'illusion est complète, et le résultat recherché, à savoir l'isolation de certains murs par l'extérieur, est largement atteint. Les serres des paysagistes sur le toit avec vue imprenable sur le port complètent le tableau d'un lieu de recherche et d'enseignement qui ne renonce pas pour autant à une certaine dimension hédoniste.

Communauté d’apprentissage

L'école est située en hauteur, juste en dessous de la gare, et profite du panorama urbain. Les terrasses sont conçues comme des espaces de vie pour les étudiantes et les étudiants, avec des vues plus ou moins dégagées en fonction du niveau où elles se trouvent. L'espace intérieur entre les trois bâtiments est structuré par de larges coursives à l’abri du soleil qui offrent d’innombrables espaces de travail en extérieur. Leur abondance et leur articulation fonctionnelle avec les ateliers reflètent la volonté d'offrir un dispositif d'enseignement ouvert sur l'extérieur. Aux 10 305 mètres carrés de surface utile, correspondent environ 8 000 mètres carrés d’espaces extérieurs praticables. Au-delà de cette abondance, un travail important a été réalisé sur la conception des perspectives et des circulations. Les architectes de Point Supreme soulignent à quel point le modèle de l’agora a été déterminant pour concevoir des espaces partagés capables de signifier leur fonction politique. C’est dans ces espaces que se constitue le sentiment de faire partie d’une communauté d’apprentissage.

Pédagogie et persuasion avant tout

Avant même son ouverture initialement prévue à la rentrée 2023, l'école respire l’esprit d’ensemble et la polysémie qui caractérisent certains lieux emblématiques d’une époque architecturale. La nôtre d’époque est placée sous le signe de la défense des communs et d’un basculement environnemental devenu vital. L’école est une leçon d’architecture orientée dans ce sens. Peu avant de pouvoir m'y rendre, j'avais été choqué d'apprendre que certains partenaires institutionnels du projet avaient exigé que les parties les plus exposées des 5000 m2 de surfaces vitrées soient équipées de vitres pare-balles. Cela m’était apparu comme une surenchère sécuritaire qui portait la marque de la méfiance.

La veille de la visite, une centaine d'émeutiers y avait pénétré pour y mettre le feu. Heureusement, ce soir-là, les architectes fêtaient l'achèvement du chantier. Et comme ils étaient nombreux, ils ont pu s’interposer et convaincre les émeutiers de laisser l'école intacte. L'école n'a pas été incendiée ce jour-là. Au cours des trois jours suivants, des centaines de bâtiments, d'écoles, de mairies, de commissariats de police et de magasins sont partis en fumée dans toute la France. La persuasion et la pédagogie l'emporteront toujours sur la dissuasion.

Maîtrise d’ouvrage

Ministère de la Culture / Direction générale des patrimoines

 

Réalisation

NP2F, mandataire, avec François Chas, Nicolas Guérin, Fabrice Long & Paul Maitre Devallon, architectes, lauréats des Albums des jeunes architectes & paysagistes en 2010

Marion Bernard architecte, avec Manon Gaillet & Sylvain Bérard, architectes

Point suprême, avec Konstantinos Pantazis & Marianna Rentzou, architectes

Atelier Roberta, avec Céline Aubernias, Alice Mahin & Chloé Sanson, paysagistes, lauréates des Albums des jeunes architectes et paysagistes en 2012

Jacques Lucan, architecte, historien, professeur des écoles d’architecture

 

Coût

27 millions d’euros, (48 millions avec le terrain)

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