A home is not a house: la mai­son de quar­tier est un foyer

Maison de quartier des Libellules, Vernier (GE)

Au carrefour des quartiers du Lignon, des Libellules et de Gordon-Bennett, la maison de quartier des Libellules à Vernier (GE), conçue par acau, refait surface. Après avoir été enfouie des années dans les locaux de l’usine Actaris, ancien occupant de ce site, elle émerge aujourd’hui au cœur d’un nouveau quartier mixte.

Date de publication
03-06-2025

L’intervention se situe à Vernier, près de l’emplacement des anciennes usines à gaz, qui ont aujourd’hui laissé place aux Services industriels de Genève (SIG). En 2018, un trio d’actrices s’allie pour transformer cette parcelle: la commune de Vernier, l’Association genevoise du Coin-de-Terre1, propriétaire du site, et la fondation Émile Dupont, soutien financier du projet. Ensemble, elles forment un groupement de maîtrise d’ouvrage et lancent un concours sur présélection afin de transformer l’ensemble du site industriel. Le programme comprend deux immeubles en construction bois, accueillant environ 150 logements, des aménagements extérieurs et enfin la maison de quartier. De l’usine, il ne reste que le nom: Actaris, choisi par ces trois actrices pour baptiser ce nouvel ensemble.

Quelques vestiges de ce passé demeurent dans ce paysage, imposants au point de rivaliser avec les monts du Jura que l’on aperçoit en arrière-plan. C’est une zone de plus en plus résidentielle, en mutation depuis quelques années, à l’image de l’opération conséquente des ensembles de Gordon-Bennett et des Libellules, au coude-à-coude avec les quelques villas pavillonnaires et les mastodontes industriels déjà enracinés à cet endroit. Quant à la parcelle qui accueille ce nouvel ensemble, elle abritait Actaris, fabricant de compteurs à gaz, mais aussi un tissu de jardins ouvriers et familiaux qui ne reverront pas le jour, dans cet endroit du moins. La maison de quartier des Libellules a donc un rôle crucial à jouer: celui de rassembler une population en pleine expansion, issue de ces nouveaux ensembles.

Le foyer tribal

Au stade du concours déjà, la maison de quartier imaginée par acau se distingue par une esthétique en rupture avec son environnement industriel. Elle est alors incarnée par l’image d’un foyer2: «un endroit qui fume, où l’on fait la fête, où l’on discute, chante et danse à la manière d’une tribu», selon les mots de Darius Golchan (acau). Ce foyer, protégé par un simple toit, est un lieu ouvert sur l’extérieur et qui ne pose aucune frontière infranchissable: les murs sont absents, la lumière jaillit de son centre, la foule circule sans encombre et les voix de la fête résonnent. Le point fort, apprécié du jury, était en réalité un dispositif spatial astucieux: le programme demandé tenait uniquement dans les pièces chauffées et construites, le foyer demeurant un espace extérieur.3 Les architectes voulaient aussi affirmer l’identité autonome de la maison de quartier: reconnaissable et distincte de son ancien hôte d’une part, dotée d’une esthétique plutôt neutre vis-à-vis de ses voisins de l’autre.

Du concours à la réalisation, le projet évolue afin de pouvoir accueillir toutes les activités de la maison de quartier, mais aussi de contrôler son climat. Initialement conçu comme un espace ouvert emblématique, ce foyer se transforme pour prendre l’apparence d’une serre agricole. Son essence demeure: un lieu de rassemblement où la cheminée remplace le feu primitif, permettant de cuisiner et de partager des moments conviviaux.

Microclimat

La maison de quartier qui s’ouvre aujourd’hui est constituée de trois modules désarticulés en structure bois habillés de tôle métallique grise. L’élément central est une grande serre. Si, depuis la rue, l’objet transparent ne se remarque pas immédiatement, une fois sous son toit, il offre une certaine privacité vis-à-vis de la rue: le jour, la serre est dissimulée derrière un rideau de tôle métallique, alors que la nuit, son éclairage la rend très visible et accueillante. Malgré l’évolution du projet, la symbolique du foyer est donc encore présente et le hall qui l’abrite permet d’articuler les usages: c’est par lui que l’on rentre pour accéder, d’un côté à la salle polyvalente et de l’autre à la salle de jeux, située sur la mezzanine. Mais cette serre n’est pas qu’une zone de distribution. Provenant directement du secteur agricole, elle est aussi utilisée pour sa fonction de double peau: elle entoure une «boîte» en bois en son centre, elle-même abritant la cuisine et les bureaux; c’est le foyer, l’élément clé du concours: là où la cheminée offre le seul point direct de contact avec l’extérieur en perçant la couche de verre de la serre. À l’image d’un grand meuble dans lequel on peut entrer et sortir, ce lieu offre une protection pour les plus jeunes, qui peuvent courir autour de ce foyer et jouer sans craindre la route à proximité.

La couche de verre crée aussi un microclimat: tant par son caractère de transition pour les usagers que par sa capacité à atténuer les nuisances sonores. On s’y trouve à l’abri du bruit extérieur, mais on est aussi à la source des clameurs de la maison de quartier. La serre limite ainsi son impact sur le voisinage. Adaptable aux saisons, elle s’ouvre l’été et se ferme en hiver. Un puits canadien complète le dispositif de ventilation naturelle, ce qui fait de la serre un outil modulaire pour réguler le climat de l’espace intérieur. Enfin, la chaufferie en sous-sol, située sous la cuisine et la cheminée, alimente en énergie tous les bâtiments de l’intervention. Une métaphore bâtie qui réaffirme l’idée du foyer comme objet central du projet.

Casser les seuils

«Casser les seuils», voilà l’une des ambitions architecturales d’acau. Selon eux, le pas de la porte d’une maison de quartier est souvent dur à franchir. Malgré la bonne volonté des équipes sociales et animatrices, il limite les venues aux personnes déjà initiées. Le but des architectes était donc de créer un espace ambigu, intrigant, qui définit un nouveau seuil entre l’espace public et sa fonction de lieu d’activité. En d’autres termes, il incite à franchir le pas! Voilà peut-être aussi ce qui justifie son emplacement à l’extrémité de la parcelle et en bordure de route. On peut dire que la maison de quartier joue un rôle de trait d’union entre les nouveaux bâtiments de logement en bois du projet Actaris et les vestiges en structures lourdes béton-métal érigées de l’autre côté de la route. Elle assure une transition marquée entre ces deux époques et contextes: notamment par l’équilibre entre son expression matérielle plutôt froide et métallique (avec notamment cette entrée surprenante et miroitante) et sa taille relativement accessible, de plain-pied, définie par sa géométrie simple à deux pans. Ce qu’il faut retenir de cette intervention? C’est qu’une maison de quartier, ce doit être une maison4. On doit vouloir y entrer sans s’y sentir étranger. Une maison publique, un foyer ouvert à tous.

 

Notes

1. Association qui a pour but de proposer des logements hors marchés spéculatifs.

2. Reyner Banham, A home is not a house, Art in America, septembre 1965, vol. 2. Ce titre reprend la formule célèbre de Banham, critique et historien britannique, qui distingue l’espace construit par les murs de celui construit par le climat: le foyer comme l’opposé de la maison américaine «moderne» et de ses dérives technologiques.

3. À la manière de l’école d’architecture de Nantes, par Lacaton&Vassal

4. Voir dans la série Bâtisseurs suisses, Maison Vaudagne à Meyrin, 2023

 

Maison de quartier des Libellules, Vernier (GE)

 

Maître d’ouvrage: Fondation HBM Emile Dupont, Association genevoise Coin-de-Terre, Ville de Vernier

 

Architectes et direction travaux: acau architecture sa

 

Ingénieur bois: Chabloz & Partenaires SA

 

Ingénieur civil: T-Ingénierie SA

 

Ingénieur thermique-acousticien: Prona SA

 

Ingénieur CVCS+R: Ponzio SA

 

Ingénieur électricien: LC Dessin Sàrl

 

Paysagiste: Maren Kühn

 

Ingénieur sécurité: Adexia SA

 

Géomètre: HKD Géomatique SA

 

Surface: 622 m²

 

Coûts TTC: 7 mio CHF

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