Les in­ter­faces du CEVA, le­vier pour le dé­ve­lop­pe­ment ur­bain mé­tro­po­li­tain

La construction du CEVA s’accompagne de toute une série de projets urbains qui vont modifier le territoire genevois. Petit tour d’horizon

Date de publication
19-11-2014
Revision
25-10-2015
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

Nous ne le répéterons jamais assez, Genève est en train de connaître une mutation profonde de son territoire. Si cette transformation ne repose pas sur une vision urbaine originale, forte et synthétique comme le proposait le plan directeur régional de Maurice Braillard en 1936 ou encore les plans Marais de 1945 à 1966, les grands projets qui la composent forment néanmoins un tout cohérent. Historiquement, ils s’inscrivent dans la continuité des grands thèmes ouverts par le plan directeur de 2001– extension sur la zone agricole, flexibilité dans l’affectation des zones et ouverture transfrontalière – couplés aux composantes de la doxa planificatrice actuelle – développement des infrastructures de mobilités collectives, densification urbaine et création de « centralités secondaires », mixités sociale et fonctionnelle, ou encore extension des réseaux de mobilité douce. 
Le grand projet d’infrastructure ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse (CEVA) peut être considéré comme le fer de lance de cette recomposition du territoire transfrontalier. Tout d’abord, il est la première réalisation concrète à usage quotidien d’un projet de développement territorial, géographique et économique qui a envahi depuis de nombreuses années la presse quotidienne et spécialisée : la région métropolitaine franco-valdo-genevoise. Si le plan d’agglomération de cet espace fonctionnel a le mérite d’exister et d’être porteur, il n’affecte en rien pour l’instant le quotidien de ses habitants. Même si selon les prévisions « plus de 80 % des utilisateurs du CEVA le seront sur des trajets dont l’origine et la destination sont situés en Suisse »1, à l’usage, il finira probablement par effacer la perception de la frontière institutionnelle qui sépare Genève d’Annemasse. 
Le CEVA n’a pas simplement été conçu comme un projet ferroviaire, mais aussi comme un outil de la fabrique urbaine. A l’instar de Zurich et de son réseau de RER tentaculaire, mais avec quelques années de retard, les autorités cantonales, municipales et les CFF profitent des opportunités foncières produites par ce projet pour structurer la croissance urbaine. L’objectif est bien évidemment de densifier autour des cinq stations qui rythment le trajet entre Cornavin et Annemasse. Ces interfaces font l’objet d’une série de projets de « revalorisation » qui peuvent aller d’un projet d’espaces publics à l’émergence d’une nouvelle polarité ou centralité. Ces différents programmes, qui ont tous fait l’objet de concours ou de mandats d’études parallèles, vont redessiner architecturalement et urbanistiquement Genève. 
Afin de mesurer l’ampleur des travaux engagés par les autorités publiques, nous passons en revue, de manière succincte mais exhaustive, les futurs développements des interfaces du CEVA. 

Lancy-Pont-Rouge


Porte d’entrée du projet Praille Acacias Vernets (PAV) (%%gallerylink:7928:image%%), le projet Lancy-Pont-Rouge doit répondre à des enjeux d’échelles différentes : celle de la gare à proprement parler, une échelle intermédiaire en créant du lien urbain entre Lancy et Carouge, et celle métropolitaine du PAV. Le projet pour le « plan localisé de quartier activités » proposé par le bureau Pont12, lauréat du concours organisé conjointement par les CFF et le Canton, répond parfaitement à ces exigences. Cinq bâtiments (lots B1 à B5) répartis de part et d’autre de la ligne CEVA (%%gallerylink:7930:image%%) et reliés par un réseau d’espaces publics diversifiés – la grande place de la Gare (%%gallerylink:7929:image%%), des parvis, des parcs, des placettes –, un jeu de matières et un concept paysager abouti devraient donner à ce site l’aspect d’un nouveau morceau de ville. C’est au total une surface brute de plancher d’environ 120 000 m2, de commerces et d’infrastructures complémentaires qui caractérisent l’entrée ouest du PAV. 
Pour le « plan localisé de quartier logements », deux concours pour environ 300 logements ont été lancés, l’un par la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat coopératif  (lots B et C) et l’autre par le Canton de Genève (lot A). Les résultats devraient être connus à la fin de l’année pour le lot A, et tout début 2015 pour les lots B et C

Carouge-Bachet


Autoroute, voies ferrées, tram, bus, piétons, route cantonale et successions d’espaces publics déconnectés les uns des autres structurent ce site qui deviendra – avec la nouvelle halte du CEVA – la porte d’entrée sud de l’agglomération genevoise (image). 
Donner du sens et une identité à ce nœud de mobilité furent les objectifs principaux du concours d’espaces publics lancé en 2011 par l’Etat de Genève et la Commune de Lancy. Le projet lauréat du bureau msv architectes urbanistes veut rendre lisible ce non-lieu et le lier étroitement aux quartiers voisins (image). Trois géométries – celle d'une place de la Gare surélevée, celle de la route des Jeunes et celle du tracés CEVA  –, organisent le site. 
Des plantations et des aménagements paysagers théâtralisent les infrastructures routières alors que le maillage des espaces publics favorise les possibilités d’échange. La place de la Gare et ses commerces de proximité (image) sont conçus pour évoluer en un nouveau pôle de centralité pour les quartiers voisins, notamment pour le secteur de la « Chapelle Gui », dont un plan localisé de quartier devrait permettre la réalisation de 600 nouveaux logements.

Champel-Hôpital


Sur ce site qui borde l’Arve et surplombe la plaine de Carouge, la halte de Champel-Hôpital du CEVA se construit sur un ancien parc. Pour compenser la perte de cet espace vert dans ce quartier à forte densité résidentielle et souligner la voie verte d’agglomération, la Ville de Genève a organisé en 2012 un concours de projet d’espaces publics remporté par Bureau A (Image). En référence à l’œuvre 7000 Oaks de Joseph Beuys à Kassel, les deux architectes genevois proposent la plantation d’une chênaie au cœur du Plateau de Champel. Cette proposition est simple et poétique. Les cheminements piétonniers sinueux qu’elle dessine contrastent avec la linéarité et la vitesse du flux du CEVA (Image). Elle propose également une multitude d’espaces de taille et de caractères multiples propices à l’appropriation et à la vie de quartier.

Gare des Eaux-Vives


Futur deuxième plus grand pôle ferroviaire du canton, la gare des Eaux-Vives représente le secteur emblématique du développement engagé par la liaison CEVA. Au niveau urbanistique, ce site va subir une profonde requalification. Lieu abandonné depuis le départ du dernier TER Rhône-Alpes pour Evian-les-Bains en 2011, il va se transformer en une polarité multifonctionnelle accueillant des logements, des commerces, des bureaux et des équipements publics métropolitains et de proximité. Il sera également le point de départ de la voie verte pour piétons et cyclistes. Imaginé pour répondre aux préoccupations écologiques et écomorphologiques de l’Office fédéral de l’environnement et de la Commission fédérale pour la protection de la nature et du paysage, cet espace public dédié à la mobilité douce et aux loisirs suivra le tracé de la tranchée couverte jusqu’à Annemasse. 
Le projet de la gare des Eaux-Vives met également en évidence la complexité du processus nécessaire à l’émergence d’une nouvelle centralité en milieu urbain. Il souligne la coordination étroite indispensable entre les différents acteurs institutionnels qui participent à la fabrique urbaine suisse.
Sur la base d’un projet paysager structurant, la Ville de Genève a lancé les deux premiers concours du site. Le premier, en 2009, concernait le lot A (image) et portait sur la réalisation de la Nouvelle Comédie. Il a été remporté par le bureau FRES architectes et le scénographe Changement à Vue, tous deux de Paris. Le deuxième concours, lancé en 2010, portait sur les espaces publics. Fidèle à sa lecture fine et historique des sites sur lesquels il travaille, le bureau genevois msv architectes urbanistes, lauréat du concours, propose un triptyque paysager longitudinal – issu de la logique ferroviaire – aux fonctions et aux ambiances diverses. L’avenue de la gare des Eaux-Vives se transforme en parc linéaire planté de poiriers de Chine et de marronniers. Ces Allées paysagères s’ouvrent sur la place de la gare traitée selon le motif des gares en béton coulé. Des jardins hauts, des jardins affleurants, un miroir d’eau et des jardins plantés viennent jouer avec les ondulations du projet de la Comédie. Enfin, troisième pièce de cet aménagement paysager, le parc rudéral, conçu avec le remblai de la gare, se propage dans les quartiers et transforme la rue Viollier en promenade (image). 
Les lots D et E ont fait l’objet d’un mandat d’études parallèles organisé par les CFF et remporté fin 2012 par le bureau Aeby Perneger & Associés SA. Nonante logements, des rez-de-chaussée actifs, un parking souterrain et des bureaux longeront l’avenue de la Gare des Eaux-Vives (image). Enfin, les derniers lots (B, B/C, C et F) ont été attribués sur concours aux Lausannois B+W architecture et Tekhne. Leur projet, récompensé en avril 2014, propose pour les lots B, B/C et C six barres perpendiculaires à l’esplanade dont les différentes hauteurs répondent au projet de la Nouvelle Comédie et intègrent des logements d’utilité publique, des équipements de proximité, des équipements sportifs d’importance régionale (une piscine, une salle omnisports et une salle pour la pratique de l’escalade), des surfaces commerciales, un dépot pour la voirie, une vélostation de 500 places et un parking. Le bâtiment F sera lui occupé par une fédération de trois coopératives, chacune dédiée à une catégorie spécifique de la population : étudiants, familles et seniors. Il sera divisé en trois zones de logements distinctes, pouvant être reliées entre elles par des locaux communs favorisant ainsi la mixité sociale et intergénérationnelle (image). 
En tout, environ 330 logements devraient voir le jour et d’autres requalifications urbaines sont en gestation, notamment dans les secteurs de Godefroy et Allières.

Chêne-Bourg


La gare de Chêne-Bourg, dernière gare en territoire helvétique, sert aussi de levier à une restructuration urbaine. Le concours d'espaces publics, mené par le Canton et la Commune de Chêne-Bourg, couronne le projet EMA Architectes, ILEX SAS et INGPHI SA qui propose sur un socle commun piétonnier des programmes et usages hiérarchisés (image). Le projet renforce la voie verte du CEVA par une noue paysagère qui récolte les eaux pluviales. La place minérale de la gare s’ouvre à l’ouest sur deux bâtiments accueillant environ 145 logements et commerces (A1 et A2, image) séparés par une césure qui offre une porosité nord-sud. Un troisième bâtiment (B, image) d’une vingtaine d’étages au programme mixte (commerce, activité et logement) délimitera les Jardins de la tour, espace public de quartier. 
Le PLQ a été adopté par le Conseil d’Etat en juin 2013 et deux concours d'architecture lancés, l’un pour les bâtiments A1 et A2, l’autre pour le bâtiment B. Les résultats devraient être connus entre la fin de l’année et début 2015.

Annemasse


Le projet d’espaces publics choisi en 2012 pour accompagner la nouvelle gare se veut très fonctionnel pour ce site d’échanges multimodal (image). Le parvis sud répond à l’échelle métropolitaine et organise de manière claire les différents modes de transport présents. Le parvis nord fait office de porte urbaine en créant des connexions et des continuités avec le quartier existant. Cohérence architecturale et urbaine et organisation efficace du concept intermodal sont les principaux atouts du projet proposé par Gautier + Conquet. Cette réalisation rendra possible le développement mixte du futur quartier Etoile Annemasse-Genève qui devrait couvrir les communes d’Ambilly, Annemasse et Ville-la-Grand. 

 

Projets des interfaces CEVA

Lancy-Pont-Rouge
Programme activité : espaces publics, bureaux, commerces
Maître d’ouvrage : CFF Immobilier
Mandataires : Pont12, raderschallpartner, la Touche Verte, EDMS, l'observatoir international
Calendrier : 2015-2021 Lot A : 
Programme :  logement intergénérationnel et LUP
Maître d'ouvrage : Fondation pour les personnes âgées de Lancy et Fondation communale Immobilière de Lancy
Mandataire : en cours de désignation
Calendrier : 2016-2019 Lot B et C 
Programme : logements locatifs et PPE
Maître d'ouvrage : FPLC, Association Nicolas Bogueret et coopérative d'habitation Rhône-Arve
Mandataire : en cours de désignation
Calendrier : 2017-2020

Carouge-Bachet
Programme : espaces publics
Maître d’ouvrage : Etat de Genève et commune de Lancy
Mandataires : msv architectes urbanistes, Perreten & Milleret SA

Champel-Hôpital
Programme : espaces publics
Maître d’ouvrage : Ville de Genève
Mandataires : Bureau A et Thomas Jundt ingénieurs civils SA
Calendrier : juin 2017-décembre 2018

Gare des Eaux-Vives
Lot A :
Programme : la Nouvelle Comédie
Maître d’ouvrage : Ville de Genève
Mandataires : FRES architectes et Changement à Vue Espaces publics :
Programme : espaces publics
Maître d’ouvrage : Ville de Genève
Mandataires : msv architectes urbanistes et François Gschwind (lumière)
Lots D et E :
Programme : mixte, logements et bureaux
Maître d’ouvrage : CFF Immobilier
Mandataires : Aeby Perneger & associés, Ingeni ingénieurs civils
Calendrier : 2013-2019 Lots B, C et F :
Programme : mixte, logements, équipements publics et sportifs et activités
Maître d’ouvrage : Ville de Genève et coopérative Fédération des Eaux-Vives
Mandataires : B+W architectes, Tekhné SA

Chêne-Bourg
Programme : espaces publics
Maître d’ouvrage : Etat de Genève et commune de Chêne-Bourg
Mandataires : EMA architectes, ILEX SAS et INGPHI SA
Calendrier : 2017-2019 Bâtiment A1, A2 et B :
Maître d'ouvrage : groupement ANB-Vie (lot A1 et A2) et CFF Immobilier (lot B)
Programme : mixte, logements, activités commerciales et bureaux
Madataire : en cours de désignation

Annemasse
Programme : espaces publics et conception d’échange multimodal
Maître d’ouvrage : Conseil général de Haute-Savoie
communes d’Ambilly, d’Annemasse, de Ville-La-Grand et Annemasse Agglo
Mandataires : Gauthier + Conquet

 

Note

1. FAI, « CEVA », Interface 16, 2012, Genève, p. 6

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