Les ca­thé­drales vertes de de­main

Présentation de quelques projets phares en production d'énergie verte

De l’énergie solaire au Portugal et en Espagne, des éoliennes maritimes au Danemark et un important gisement de lithium en Bolivie : tour d’horizon de quelques nouvelles installations d’énergie verte de très grande envergure

Date de publication
03-01-2012
Revision
19-08-2015

Centrale solaire photovoltaïque de Moura au Portugal

Il faut la chercher un bon moment au fond de la région la plus isolée du pays, avant de la voir apparaître au milieu des champs pelés de l’Alentejo, au sud du Portugal. Terminée l’an dernier, cette centrale solaire a été construite par le groupe de BTP espagnol Acciona (www.acciona-energia.com/activity_areas/solar_photovoltaic.aspx), devenu en moins d’une décennie un champion de l’énergie solaire dans la région. Il faut dire que la matière première (le soleil) ne manque pas sur la péninsule ibérique. Dans cette région brûlée par le soleil (il brille 300 jours par an en moyenne), le projet a généré autant d’électricité que d’enthousiasme : il a créé des emplois et permis de garder sur place les rares jeunes diplômés qui n’avaient pas encore cédé aux sirènes de l’exode rural. Les cellules photovoltaïques sont fabriquées sur place – Acciona a ouvert une petite usine dans le village de Amareleja, à un jet de pierre de la frontière espagnole. Entamée en 2008, la construction de la centrale de Moura a été terminée deux ans plus tard. Coût des travaux : 250 millions d’euros pour 376 000 cellules photovoltaïques, sur une surface au sol de 260 hectares. La capacité de production est de 62 MW, de quoi assurer les besoins en électricité de 15 000 personnes. Cette installation s’inscrit dans l’ambitieux projet de développement des énergies vertes poursuivi par les différents gouvernements à Lisbonne depuis une décennie. A coups de subventions et d’exemptions fiscales, le pays a vu émerger un secteur vert (solaire et éolien) qui assure désormais près de 40 % de la couverture des besoins électriques du pays. Issue de l’ancien monopole énergétique d’Etat, la société EDP Renovaveis, l’un des acteurs clés de l’énergie renouvelable en Europe, est désormais active jusqu’aux Etats-Unis : le groupe portugais possède des parcs éoliens dans l’Iowa, aux Etats-Unis. Les énergies propres font l’objet d’un large consensus national au Portugal : parce que le droit de recours des citoyens contre la construction de nouvelles installations y est bien plus réduit qu’en Suisse, mais surtout en raison d’une vision à long terme de l’indépendance énergétique. Le Portugal n’a ni pétrole, ni gaz, ni charbon. Mais du soleil et du vent à revendre. 

Parc éolien de Horns Rev au Danemark

Il y a quelque chose de réussi au Royaume du Danemark : la maîtrise du vent. Disposant de ressources énergétiques limitées, le petit pays scandinave a réagi au lendemain des chocs pétroliers des années 1970 en étant le tout premier à miser sur les énergies renouvelables. La ressource ? Le vent, ce courant d’air permanent qui détale sur la péninsule du Jutland entre la Mer du Nord et la Baltique. En deux décennies, les terres agricoles se sont couvertes d’éoliennes géantes, et ont donné naissance à une véritable industrie éolienne nationale. La société Vestas est leader mondial du secteur qui assure désormais 3 % du PIB danois.
En parcourant la plaine danoise, le spectacle est saisissant : des milliers d’éoliennes géantes battent la cadence de l’énergie propre, véritable opéra mécanique en pales majeures. Le problème, c’est qu’il n’y a désormais plus de place au sol. Pourtant, Copenhague, qui entend devenir d’ici 2050 le premier pays au monde à se passer entièrement de pétrole et d’hydrocarbures, veut continuer sur sa lancée. Aussi faut-il désormais aller en mer. 
A trente kilomètres au large du port d’Esbjerg, deux parcs éoliens offshore géants (Horns Rev I et II) ont vu le jour en 2002 et 2009 (www.hornsrev.dk). Soit deux quadrilatères : le premier (5 x 3,8 km) compte 80 éoliennes de 2 MW chacune. Le second, de taille comparable, en compte 91, de 2,2 MW par unité. Au total, l’installation peut produire jusqu’à 360 MW de courant, soit, à titre de comparaison, la moitié de la puissance d’un réacteur nucléaire de taille moyenne.
En théorie, c’est une alternative séduisante à toutes les autres formes d’énergie, garantie zéro carbone. A deux bémols près : d’abord, le coût d’installation – plusieurs milliards de francs – est encore prohibitif, même s’il a tendance à diminuer avec la multiplication des parcs éoliens offshore en Europe (Royaume-Uni, France). Le second tient bien sûr à l’imprévisibilité des vents. Ce n’est pas forcément quand le réseau a besoin de davantage de courant que le vent souffle le plus fort. Mais la généralisation progressive des smart grids (réseau intelligents) va permettre de « lisser » ce différentiel entre les fluctuations de la demande et celles de la capacité de génération. Aujourd’hui, un tiers de l’électricité danoise provient du vent. 

Centrales solaires thermiques de Sanlúcar La Mayor en Espagne

Dès qu’un nuage passe, la machine s’arrête. Heureusement, il en passe rarement en Andalousie. A une vingtaine de kilomètres de Séville, le groupe espagnol Abengoa Solar a construit deux centrales solaires thermiques spectaculaires, les PS-10 et PS-20 (www.abengoasolar.com/corp/web/en/our_projects/solucar/ps10). Des installations gigantesques, qui sont les plus puissantes de leur genre au monde, et surtout les seules à être exploitées commercialement. Comment ça marche ? La Planta Solar 20 produit de l’électricité avec 1255 miroirs héliostatiques, disposés en hémicycle. Ce qui signifie qu’ils sont statiques face au soleil, mais seulement face à lui. Autrement dit : ils « suivent » (en bougeant) l’astre dans son parcours dans le ciel du matin au soir. La radiation solaire est reflétée par les miroirs sur un collecteur de chaleur situé en haut d’une tour en béton de 160 mètres de hauteur. A l’intérieur, de l’eau sous pression à 50 bars est stockée à 285 degrés. Elle produit de la vapeur, qui fait tourner une turbine générant le courant électrique. 
Aux 30 MW de puissance assurés par les deux centrales solaires thermiques, Abengoa Solar a ajouté sur le même site différentes autres installations solaires à concentration (miroirs paraboliques, par exemple), avec pour objectif, d’ici à 2013, une production de courant équivalent à 300 MW, de quoi couvrir les besoins énergétiques de 180 000 foyers (environ 700 000 personnes) – la totalité de l’agglomération de Séville, troisième ville espagnole. Aucun autre site solaire au monde ne dispose à ce jour d’une telle capacité de génération. Ce programme fait partie de l’ambitieux projet de développement des énergies renouvelables initié par l’Espagne il y a une dizaine d’années. Comme au Portugal, comme en Allemagne, cette percée verte n’a été rendue possible que par une politique industrielle d’Etat volontariste (subventions, achat du courant à prix coûtant) visant à attirer les industriels dans le secteur en leur assurant des retours sur investissements à moyen terme. L’idée étant d’atteindre au plus vite la grid parity, c’est-à-dire un coût de production pour l’électron vert identique à celui obtenu par la combustion des énergies fossiles. Ce qui mettrait un terme définitif à l’argument principal des opposants aux énergies propres : elles sont trop chères.  

Lac salé de Uyuni en Bolivie

Ce n’est pas à proprement parler une installation, mais une réserve d’énergie pour demain. Situé entre deux cordillères des Andes, au fond de l’altiplano bolivien à 3 750 mètres d’altitude, le Salar de Uyuni recèle dans sa saumure les plus importantes réserves de lithium sur terre. Ce désert de sel d’une blancheur immaculée a la taille de la Suisse romande et alimente les rêves de grandeur de la Bolivie, le plus pauvre des pays d’Amérique latine, qui s’imagine volontiers en « Arabie Saoudite » potentielle de l’énergie propre. Métal ultra-léger, le lithium a des propriétés multiples – on l’utilise notamment dans certains antidépresseurs. Mais ce qui excite la convoitise des groupes multinationaux qui ne cessent d’envoyer des émissaires à La Paz relève d’un tout autre registre : le stockage d’énergie.
L’intermittence de la production éolienne et solaire est en effet le principal talon d’Achille des énergies alternatives. Un handicap que ne manquent jamais de souligner les partisans de l’atome ou du gaz. La solution passe peut-être par le stockage du courant, impossible en l’état sauf pour de petites quantités. Or à ce jour, on n’a rien trouvé de mieux que les batteries lithium-ion, celles qui équipent ordinateurs portables, téléphones mobiles et autres gadgets électroniques. Mais le grand marché de demain, nous promet-on, ce seront les batteries des voitures électriques. Or si l’on a besoin de quelques grammes de lithium seulement pour une batterie de téléphone, il en faut jusqu’à 25 kilos pour celles qui équiperaient les véhicules électriques. Le calcul est vite fait, en tout cas par le président bolivien altermondialiste Evo Morales : la Bolivie est assise sur une mine d’or. Seulement voilà, le pays est enclavé, les marchés mondiaux lointains et la technologie d’extraction, ou plutôt d’évaporation – c’est ainsi que l’on collecte le lithium – encore inaccessible aux Boliviens. Qui ont pourtant décidé de se passer, nationalisme oblige, de toute assistance extérieure pour construire leur première usine expérimentale. Le lithium bolivien n’est pas encore dans nos moteurs.

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