Le sens du ser­vice

Editorial paru dans Tracés n°03/2013

Date de publication
08-02-2013
Revision
10-11-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

 «Le cancer». C’est ce titre pour le moins inquiétant que le rédacteur en chef du quotidien Le Temps  a choisi pour son édito du 28 janvier, consacré à la véritable gangrène que constitue selon lui « la paperasse administrative ». Dénonçant l’accroissement constant des directives, normes et labellisations, il finit par se demander si l’adage qui dit que «les empires s’effondrent toujours en raison de leur bureaucratie» ne va pas avoir raison de la vitalité du capitalisme. Cette violente mise en garde vis-àvis des dangers sous-jacents d’une normalisation excessive de notre société mérite d’être étendue à un autre phénomène émergeant qui affecte négativement l’économie moderne: l’accroissement de l’importance des services internes. A l’instar de ce qui est observé en matière de règlements dans l’édito susmentionné, le poids du secteur tertiaire est en constante hausse dans les pays paradoxalement dits industrialisés. En Suisse, selon les chiffres annoncés par l’Office fédéral de la statistique1, au printemps 2011, «74.0 % des actifs occupés travaillaient dans le tertiaire, contre 22.4 % dans le secteur secondaire et 3.7 % dans le primaire». Si cette évolution n’est pas dramatique en soi, le fait que, suivant une logique fractale, cet accroissement global de l’importance des services tend à se répéter au niveau des sociétés privées ou des administrations qui animent notre tissu économique, a de quoi inquiéter. Il est évidemment légitime et nécessaire que toute structure d’une certaine importance – qu’il s’agisse d’une entité privée ou administrative – mette en place des services internes (informatique, juridique, financier, personnel, etc.) assurant sa productivité. Il est en revanche très préoccupant de voir de quelle façon lesdits services finissent par influer et modifier eux-mêmes le fonctionnement qu’ils sont en fait chargés de soutenir. Pour aboutir à la situation paradoxale (et souvent insupportable) à laquelle chacun de nous a déjà été confronté: obsédés par leur propre logique ou par la justification de leur existence, des services censés favoriser la réalisation d’un processus l’affectent à tel point qu’ils finissent par inutilement compliquer l’atteinte de l’objectif essentiel dudit processus. Une évolution qui, à l’instar de celle dénoncée par l’éditorialiste du Temps , pénalise durement la productivité. Et pose urgemment la question de savoir qui doit être au service de qui.

 

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Note
1 Indicateurs du marché du travail 2012, Actualités OFS, Neuchâtel, juillet 2012.

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