Le des­sin au corps

Une conversation avec Elizabeth Hatz

Avec la numérisation croissante, une prise de conscience grandissante rappelle combien la production – qu’elle soit matérielle ou culturelle – est encore et toujours une affaire de corps. Elizabeth Hatz, professeure et architecte qui s’est distinguée notamment pour son exposition Light, Line, Locus à la Biennale de Venise de 2018, nous en parle.

Date de publication
17-06-2022

«Je ne suis pas permanente. Je bouge, j’aime, je vis et je mourrai. Je veux faire quelque chose de différent de moi, et de plus grand, quelque chose de durable. Tous les caprices et les vanités fugaces, les moments délicieux de délices périssables ont besoin de se répercuter contre quelque chose de solide. Le mouvement d’une porte. Le vent dans la poussière sur un immense sol pavé. Aldo Rossi parle de la brume qui pénètre dans l’immense cathédrale de Milan et dit que l’architecture n’est que cela: la capacité de rendre ce moment visible et présent.»1

En 2017, l’architecte Elizabeth Hatz écrit ce passage dans un texte intitulé «Permanence» pour Drawing Matter. La fondation anglaise explore le rôle du dessin – dans la pensée et la pratique architecturale – et possède une impressionnante collection qui s’étend du 16e siècle à nos jours. Pour Hatz, qui enseigne entre Stockholm (Suède) et Limerick (Irlande), cette collection est d’une importance cruciale. Elle a d’ailleurs collaboré avec l’organisation pour mettre sur pied son exposition Light, Line, Locus à la Biennale de Venise de 2018. Dans son essai, elle abordait la notion de permanence que l’architecture doit incarner: un cadre tangible dans lequel s’inscrit notre vécu. Les choses doivent lui résister, l’aider à trouver un appui, pour que nous puissions vraiment habiter la Terre. Aussi, quelle ironie de rencontrer Hatz par le biais d’une visioconférence.

Son studio de Stockholm est une ancienne cuisine reconvertie en atelier. Dans la lumière du soleil suédois, on aperçoit une grande peinture sombre aux reflets mouvants, des sculptures de bronze réalisées en résidence à la Sitterwerk de Saint-Gall et, surtout, des dessins : des croquis de Tony Fretton, une esquisse de Peter Märkli, des dessins à la mine de plomb, des aquarelles de Francesca Torzo, et tant d’autres encore, vers lesquels Hatz tend la caméra au cours de sa déambulation.

Au fil de la discussion, je comprends ce que l’architecte veut dire lorsqu’elle explique que le dessin «mobilise une pratique du corps inscrite dans le temps et l’espace»; qu’il est, en somme, une manière d’observer le monde et de le retranscrire.

Note

 

1 Elizabeth Hatz, «Permanence», Drawing Matter, 2017

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