La réa­lité des mo­dèles

Editorial du 2016/03

Date de publication
28-01-2016
Revision
28-01-2016
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Le nombre et la diversité des modèles à disposition pour la pratique de l’ingénierie ne cessent de s’accroître. En combinant découvertes scientifiques et développements technologiques, ils offrent des résultats souvent attrayants pour des ingénieurs qui, en quête des certitudes requises par leurs professions, ne font malheureusement pas toujours preuve du sens critique qu’impose une modélisation. Pour donner un exemple en rapport avec notre dossier, l’exploitation des données issues des modèles numériques de terrain (MNT) devrait systématiquement inclure une confrontation avec la réalité du terrain, par l’intermédiaire de photos aériennes ou de visites in situ.
Si des erreurs d’interprétation d’un MNT dans le cadre de travaux routiers ne risquent a priori pas d’avoir des conséquences dramatiques, il n’en va pas de même dans de nombreuses autres situations où la confusion entre modèle et réalité engendre des dangers bien réels. Ce risque de confusion a certes existé de tout temps, mais la tendance contemporaine à accorder une place toujours plus grande au virtuel dans notre quotidien l’accroît incontestablement, en particulier pour les futures générations. Ainsi, la part sans cesse accrue du virtuel conduit à une abstraction quasi généralisée de notre environnement, qui a lieu au détriment de sa matérialité. Il n’est pas exagéré de voir dans cette idéalisation une mise à l’écart progressive de la réalité.
Pour les ingénieurs civils, cette dérive se traduit notamment par le fait que les matériaux sont systématiquement caractérisés par des lois de comportement et une quantification des propriétés qui leur sont associées, au détriment de toute réflexion qualitative sur la nature réelle de leur structure. Dans le cas par exemple du béton, on en vient ainsi à oublier que les lois et propriétés retenues dans les modèles dépendent intégralement de ses composants – des granulats et de la pâte de ciment – et de leur bonne mise en place ; que ce sont ces éléments – bien avant les hypothèses de calcul – qui conditionnent le bon fonctionnement et la durabilité d’une structure, tout particulièrement si on cherche à obtenir des performances élevées.
Le plus regrettable étant finalement que l’ingénieur en vient à perdre progressivement le contact avec l’essence même de sa profession: agir sur le réel.

 

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