Je veux une usine dans mon quar­tier (mais pas les ca­mions de li­vrai­son)

Editorial paru dans Tracés 11/2019

Après des décennies de relégation et des politiques urbaines obsédées par le logement et le «vivre ensemble», il est peut-être encore temps d’œuvrer pour que l’économie productive conserve une place dans la ville.

Date de publication
09-05-2019

Toutes les grandes villes européennes ont leur quartier branché créé sur la dépouille d’une ancienne friche industrielle, avec cette petite atmosphère nostalgique conférée par quelque relique (cheminée en brique, conteneur à gaz, etc.). Mais les ouvriers, puis les artisans, eux se sont envolés.

Pendant des décennies, les politiques ur­bai­nes, obsédées par le logement et le « vivre ensemble », ont produit des quartiers « mixtes et durables », alors qu’elles poursuivaient la relégation des activités de production dans des zones périphériques. Pas très mixte – ni très durable, sur les plans social et économique. Alors, depuis quelques temps, à Londres, Bruxelles, Rotterdam, partout on clame: «une bonne ville a de l’industrie »1. Après toutes ces années de mépris, l’artisanat et la petite industrie sont en vogue, car ils s’inscrivent dans le sillage des politiques de soutien à la production intérieure des économies européennes. Tant mieux si des plaidoyers en faveur des circuits courts, de l’économie circulaire ou locale viennent soutenir cette ambition. Or, entre-temps l’économie productive s’est tellement diversifiée qu’on ne sait plus très bien de quoi on parle : industrie lourde, R&D ou petite industrie spécialisée ? L’activité dont le retour est souhaité par les urbanicoles s’assimile plutôt à de la petite manufacture, pas très éloignée de celle de la classe dite «créative».

Le présent numéro de TRACÉS poursuit la réflexion entamée lors du forum Bâtir et Planifier 2018, qui s’est déroulé dans une ancienne usine de Renens. Les contributeurs établissaient tous le même constat : tant mieux si la petite industrie et l’artisanat sont en vogue; mais pour qu’ils soient plus qu’une esthétique, il faut partir en quête de solutions urbaines et architecturales appropriées, à chaque échelle (la ville, le quartier, l’îlot, l’immeuble), et surtout repenser des règlements et des zonages qui interdisent la mixité, là où ils devraient la favoriser.

Si l’économie de production repose bien évidemment sur des variables exogènes complexes, il n’est pas interdit d’espérer qu’une politique urbaine adaptée puisse contribuer au retour de quelques activités en ville, ou du moins à conserver ce qu’il en reste. De ces efforts pourrait naître une atmosphère urbaine bien plus riche et diversifiée que les cités-dortoirs et les cités-boutiques que nous créons au cœur des villes.

Notes

 

1. Voir l’exposition A good city has industry – Atelier Brussels montée en 2016-2017 à bozar (Bruxelles); l’appel lancé par le sociologue Dieter Läpple à Hambourg: «Produktion zurück in die Stadt. Ein Plädoyer», Bauwelt 1|2017; le rapport Cities of Making qui analyse les villes de Bruxelles, Londres et Rotterdam autour de cette thématique (citiesofmaking.com); enfin les concours Europan 14 (2017) et 15 (en cours) organisés sur la thématique des « villes productives».

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