«Il faut pro­fi­ter de cette crise pour faire évo­luer notre rap­port à l’ha­bi­tat»

Pour le bureau d'architecture genevois Bonhôte Zapata, l’un des lauréats de la dernière Distinction Romande d’Architecture –DRA4–, l’enjeu de cette crise est capital: il faut profiter de cette expérience imposée, pour observer comment notre rapport à l’habitat peut évoluer et en tirer un enseignement pour le futur.

Date de publication
15-04-2020

La culture du bâti face à l’urgence du Covid-19. La parole à Julia Zapata, Philippe Bonhôte et Mathieu Rouillon, associés du bureau d'architecture genevois Bonhôte Zapata.

espazium.ch: Quelles mesures avez-vous mises en place au sein de votre bureau pour poursuivre votre activité?
Chacun s’est installé au mieux, chez lui, ou pour certains au bureau, pour continuer l’activité sans risque sanitaire. Les chantiers étant fermés, les personnes en charge de ceux-ci se sont repliées sur d’autres tâches, utiles également à l’avancement général.

Certains d’entre nous doivent s’occuper de leurs enfants et le rythme de travail et des affaires est ralenti. Nous avons donc aussi dû mettre en place une réduction d’horaire (RHT) pour y faire face.

Quelles sont les conséquences de ce ralentissement pour vos mandats ou études en cours?
Il est encore difficile après quinze jours de se faire une idée précise des conséquences [entretien du 23.03.2020]. Les chantiers arrêtés ramènent les directeurs de travaux devant leurs ordinateurs où ils ont passablement de choses à faire aussi. L’Etat et les collectivités publiques ont arrêtés leurs chantiers mais n’ont pas demandé d’interrompre les études, ce qui me paraît une bonne chose.

Nous craignons surtout les conséquences à long terme, d’ici à 6 mois ou un an, lorsque nous mesurerons les effets de la crise économique qui s’annonce sur notre activité.

En lien:

Co­opé­rer en zone vil­las - Article de Nicolas Bassand du 7 mars 2019

Sur quels aspects du métier concentrez-vous le travail de votre bureau en ce moment?
En effet, ce contretemps sur l’avancement des chantiers et sur certains processus de décision encourage à se reporter sur d’autres tâches et permettent d’anticiper mieux certaines échéances. 

Est-ce que cette crise va/doit amener des changements dans l'organisation du métier?
Encore une fois, il faudrait se revoir dans un an pour répondre. Bien sûr, le développement du travail à distance et les moyens techniques déjà à disposition rendent le passage moins difficile dans un premier temps. Nous sommes tous habitués à travailler parfois chez nous ou en réseau. Nous allons dire que cela dépanne pour le moment. Par contre, la dimension humaine, sociale et artisanale de notre métier va en pâtir si la crise dure, ou surtout si elle généralise la pratique des téléconférences et autres travaux semi-automatisés ou exécutés à distance. L’échange au sein de vraies réunions, le rapport au terrain, au contexte, aux gens et le temps sont indispensables pour penser et réaliser un projet apte à répondre qualitativement et durablement aux besoins. Les clients qui cherchent qualité et durabilité le savent. Je reste néanmoins dans la crainte que tout soit assez vite oublié dès l’orage passé et que tout reparte comme en 14…

En lien:

Lo­ge­ments Che­min Ri­gaud 55, Chêne-Bou­ge­ries (Ge­nève) - DRA IIII

Comment la SIA et/ou les autorités publiques peuvent-elles vous aider? 
La SIA connaît le métier, ses contraintes, ses valeurs et peut/doit valablement nous représenter pour défendre la profession et donc la qualité de nos prestations. Comme dit plus haut, nous espérons que l’Etat et les collectivités aideront la société en général et l’économie en aidant à passer le moment de crise mais surtout en continuant et en initiant davantage de projets, plus qu’en arrosant chacun avec du cash comme on le voit arriver ailleurs.

Est-ce que les nouvelles technologies (BIM, etc.) rendent les choses plus faciles? 
Les technologies étaient là, les logiciels aussi. Cette crise pousse chacun à les utiliser davantage ou à simplement s’y former. Elle va accélérer une évolution vers un usage accru de ces techniques, ni plus ni moins que dans toutes les professions. Pour les architectes il s’agira de rester très vigilant pour ne pas subir un formatage ou une trop grande standardisation de notre production.

Pour le domaine de la culture du bâti, y-a-t-il des aspects positifs qui peuvent être tirés de cette décélération sociale et humaine? Est-ce que cette adaptation vous amène à repenser la notion d'espace et d’habitat?
C’est la question principale et c’est la société qui va apporter les réponses. Nous sommes en train de vivre une expérience de «laboratoire» phénoménale et unique: une grande majorité de la population expérimente en ce moment un mode de vie où travail, séjour, éducation, loisirs, sport et repos se font dans le même environnement. Les déplacements physiques sont réduits à un périmètre proche. De véritables communautés de voisinage sont en train de naître partout. Ceci va faire évoluer la perception qu’on a de nos logements, de notre environnement immédiat et du rôle qu’on leur attribue. Les écoles d’architecture et certains maîtres d’ouvrages innovants travaillent déjà dans cette perspective depuis quelques temps. Il faudrait vraiment profiter de cette expérience imposée pour observer et comprendre comment notre rapport à notre habitat peut évoluer dans ce contexte et en tirer des enseignements. L’habitat va devenir plus que jamais le programme architectural clef de ces prochaines années, non plus quantitativement, mais qualitativement. Ceci va probablement orienter les réflexions sur la société et la ville en général et nos démarches de projet en particulier.

À propos

 

Bonhôte Zapata architectes a été fondé à Genève en 2003. Il est dirigé aujourd’hui par Julia Zapata, Philippe Bonhôte, associés fondateurs, et Mathieu Rouillon, associé depuis 2014.

Principaux mandats en cours : transformation et rénovation de l’Hôtel de Ville et nouvelle salle du Grand Conseil à Genève et construction de 4 immeubles de logements à Epalinges.

Principales réalisations : logements collectifs ou en coopératives dont Victor Ruffy (Lausanne), La Chapelle (Lancy-GE), Rigaud 55 (Chêne-Bougeries-GE), Les Vergers immeuble A15 (Meyrin-GE).

Nombre d’employés (avril 2020) : 12

 

Dossier COVID-19 - Liste des témoignages:

 

 

La culture du bâti face à l’urgence du Covid-19 - La parole aux professionnels

 

La crise sanitaire et économique que nous traversons actuellement frappe l'ensemble des secteurs professionnels et notamment celui du bâti. Pour évaluer l'impact de cette urgence dans le domaine de l'architecture, Espazium donne la parole aux professionnels du domaine afin qu’ils témoignent de manière personnelle de leur nouvelle organisation, de leur difficulté et – puisque toute crise révèle les forces mais également les failles des systèmes – qu’ils nous fassent part de leurs réflexions sur leur métier. Pour ne pas oublier, et dans l’espoir que ces témoignages aideront à mener une véritable réflexion de fond afin que tout ne redevienne pas comme avant une fois que le virus aura été vaincu.

Retrouvez tous les articles en lien : Dossier COVID-19

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