«Form fol­lows avai­la­bi­lity»

Au sein du Structural Xploration Lab de l’EPFL, Jan Brütting a développé des méthodes numériques pour concevoir des structures intégrant des éléments de réemploi ou du neuf et examiner l’impact des diverses variantes.

Date de publication
11-06-2021

TEC21 : Monsieur Brütting, qu’entendez-vous par changement de paradigme pour une forme découlant de la disponibilité dans l’étude de projets ?

Jan Brütting : Aujourd’hui, on construit toujours plus et on démolit avant d’avoir exploité toute la valeur d’un ouvrage. Dans ce contexte, le réemploi offre un fort potentiel de réduction des impacts environnementaux gris1 imputables aux structures porteuses, car il réduit la consommation d’énergie ainsi que les rejets et les déchets par rapport à des matériaux neufs. Le principe n’est pas nouveau, mais il présuppose un changement d’optique dans la construction. Au sein d’un institut axé sur la conception de structures, il était logique que nous l’abordions aussi sous l’angle de l’économie circulaire – en investiguant les critères du réemploi et leur influence sur le processus d’étude, dans le but de minimiser les retombées environnementales. Si, au lieu de recycler de l’acier, par exemple, on réutilise des éléments entiers, cela peut amener des gains écologiques et économiques. Le projet de structure doit prendre en compte les dimensions et les propriétés mécaniques des éléments disponibles. Dans ce sens, on change effectivement de paradigme et on peut parler de « form follows availability ».

Quelles sont les questions préliminaires ayant motivé ce projet de recherche ?

Nos méthodes de calcul fournissent une assistance pour l’élaboration de structures. Elles montrent par exemple si la structure envisagée est réalisable avec des éléments de réemploi. Le logiciel calcule comment ceux qui sont disponibles doivent être façonnés pour obtenir la géométrie désirée – tout en veillant à leur utilisation efficiente, notamment en minimisant le découpage. Il indique aussi si les efforts en jeu peuvent être repris par ces éléments. Le développement d’interfaces avec des banques de données listant les éléments de construction est également prévu. De telles méthodes n’existaient pas auparavant.

Vous cherchez la solution optimale à partir des variables données par la géométrie, la topologie, la découpe et la quantité d’éléments disponibles ?

Exactement. Si les charges que doit reprendre une nouvelle structure sont connues et que les éléments d’une déconstruction sont répertoriés, le logiciel va calculer les meilleures options en fonction de divers paramètres. On peut par exemple poser l’exigence d’un réemploi exclusif et optimiser la découpe, ou combiner du neuf avec des pièces usagées et minimiser le volume de la structure.

Vous pouvez en savoir plus sur l'économie circulaire dans notre e-dossier.

De plus, la géométrie de celle-ci peut être adaptée aux dimensions des éléments disponibles. Une analyse intégrée du cycle de vie de l’ouvrage permet de réduire son impact environnemental. Cela implique une déclaration sur l’énergie grise et les rejets de CO2, qui englobe les retombées de la déconstruction et du transport, ainsi que celles de la fabrication de nouveaux éléments nécessaires. Elle impute les impacts de la déconstruction sélective à l’élément réemployé, tandis que ceux de la démolition et de la fonte de ferraille sont portés au compte de l’élément neuf.

À quels types de structures et de matériaux s’applique le logiciel ?

Actuellement, il est possible de calculer des structures en barres, soit des charpentes et des cadres, et nous avons principalement travaillé avec de l’acier. Mais le logiciel peut aussi être appliqué à la construction en bois. Pour le béton, c’est plus compliqué, vu que les composants y sont souvent liés de façon monolithique ou qu’on a affaire à des éléments de surface. Béton et éléments plans représentent donc encore de futurs objets de recherche.

Le bois n’étant pas homogène, ses caractéristiques affichent des variations ponctuelles. Peut-on dès lors faire le lien avec l’acier ?

Pour la méthode de calcul, cela ne fait pas de grande différence. L’essentiel est de vérifier la qualité du matériau au préalable. Pour l’acier, il faut en connaître les propriétés mécaniques et le grade. Avec le bois, il s’agit d’être plus prudent, en menant éventuellement quelques tests destructifs ou en le classifiant selon les catégories définies pour ce matériau. Cela soulève aussi la question de qui endosse la responsabilité du projet. On peut toutefois pallier au problème en adoptant des paramètres de sécurité plus élevés.

Cela impliquerait des dimensionnements augmentés, donc un besoin accru de matériaux ?

La réponse dépend du projet. Les réalisations en acier que nous avons étudiées ont montré que la disponibilité limitée d’éléments peut se traduire par un surdimensionnement. Si l’offre d’éléments de petit calibre n’est pas suffisante, la structure nécessitera donc plus de matériaux en comparaison de ce qu’on aurait fait à neuf. Mais nous avons aussi examiné le ratio entre le volume et les impacts environnementaux. Or, pour une structure entièrement ou partiellement constituée d’éléments usagés, mais par exemple de 20 % plus volumineuse qu’un bâti neuf, les impacts restent encore de 40 à 60 % inférieurs. Le réemploi se distingue en effet par une réduction significative de l’énergie grise et des rejets de CO2. En outre, dans des structures porteuses en acier, même surdimensionnées, le poids propre est faible en regard des charges externes. Des éléments de support et de fondation adjacents ne devront donc pas nécessairement être plus grands.

À quels ouvrages ces méthodes peuvent-elles s’appliquer ?

Nous avons calculé quelques cas théoriques à partir d’inventaires d’éléments réels, dont les porteurs acier que Baubüro in situ a employés pour la halle 118. Nous avons aussi répertorié les dimensions et les profils des porteurs de pylônes électriques avec lesquels nous avons conçu un hall de gare. En combinaison avec des profilés neufs, nous avons développé et calculé diverses variantes : le logiciel interactif indique graphiquement et mathématiquement qu’à des endroits précis, de nouveaux éléments sont nécessaires, soit parce que ceux de l’inventaire sont trop courts ou pas assez performants. Cela peut signifier qu’un réemploi à 100 % est impossible ou qu’il faut adapter le projet. Pour assurer un impact environnemental minimal, la meilleure solution est souvent un mix de vieux et de neuf – par exemple lorsque la récupération d’éléments de structures existantes s’annonce coûteuse. En revanche, les distances de transport n’influent que marginalement le bilan environnemental.

Le logiciel est-il déjà utilisable dans la pratique ?

Il s’agit d’un plugin pour le logiciel de paramétrage CAD Rhino/Grasshopper, qui sera complété dans les mois à venir pour être proposé en libre accès.

Note
1 Les impacts environnementaux sont des retombées matérielles et structurelles, dues à l’activité humaine, qui influencent les personnes ou leur milieu. Les rejets de processus de combustion ou la modification de sols résultant de l’extraction en sont des exemples.

Bibliographie complémentaire

Commandés par l'Office fédéral de l'environnement, les numéros spéciaux suivants sur l'économie circulaire ont été publiés par Espazium - Les éditions pour la culture du bâti :

 

No. 1/2021 «Architecture circulaire : Bâtiments, concepts et stratégies d’avenir»

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