Faut-il taxer le bé­ton?

Date de publication
05-11-2023

Au mois de juin, un postulat a été déposé au Grand Conseil vaudois Pour reconnaître le coût environnemental et climatique du béton1. Il propose d’imposer sa production dès l’extraction des matières premières. Cette taxe pourrait alimenter un fonds de soutien aux matériaux bio- et géosourcés dont l’impact, pour l’environnement et la société, est bien plus vertueux.

«Intention louable», estime Philippe Thalmann, qui questionne toutefois la manière de le faire. La production de ciment est déjà concernée par loi sur le CO2, explique le professeur EPFL d’économie de l’environnement. Avec le régime spécial pour les grands émetteurs, les cimentiers doivent participer au marché des droits d’émission. Le cumul des taxes a peu de chance d’être accepté. De plus, tout le ciment produit à Eclépens (VD) n’est pas utilisé dans le canton de Vaud, et inversement. Dès lors, Thalmann préconiserait plutôt une taxe d’incitation sur l’emploi du béton dans les chantiers du canton, qui pourrait être modulée selon le type utilisé. Cela aurait l’avantage d’éviter que les chantiers vaudois n’utilisent du ciment et des granulats venant d’un canton voisin. Les chantiers, eux, ne peuvent pas changer de canton!» Pour Thalmann, une taxe incitative pour subventionner les matériaux biosourcés formerait une sorte de système bonus-malus plus à même d’être accepté par les constructeurs.

Le postulat déposé est «une fausse bonne idée», estime Silvia Bernardi, qui propose de discuter de l’usage qui est fait du béton dans la construction. Cette architecte spécialisée dans l’établissement de bilans carbone (maneco) pencherait plutôt pour l’établissement de seuils, une sorte de «budget CO2» à respecter dans chaque projet, en prenant en compte son affectation: hôpital, logement, restaurant… Ceci reviendrait à favoriser les matériaux géo- et biosourcés, à condition de créer un cadre législatif permettant d’absorber les surépaisseurs qu’ils induisent fatalement. Elle rappelle que c’est exactement dans cet esprit qu’a été forgée la «loi carbone» genevoise2.

Que ce soit sous forme de seuil ou de taxe, ces deux positions se rejoignent: il revient aux architectes et aux ingénieurs de donner au maître d’ouvrage une réponse par le projet. Car ils peuvent se positionner non seulement sur les matériaux, mais aussi sur les contraintes du terrain, les contraintes normatives, la compacité du volume, etc. Et prendre très en amont des options qui auront un impact décisif sur le gros œuvre (30 à 40 % des énergies grises): éviter de démolir, réemployer les structures existantes, construire compact et éviter les fouilles importantes. Ces mesures sont préconisées dans le cahier technique SIA 2032, tandis que le cahier 2040 distingue les seuils selon l’affectation, mais aussi s’il s’agit d’un ouvrage neuf ou d’une transformation. Ces deux cahiers pourraient servir de base au règlement d’application de la loi genevoise (d’ici 4-5 ans).

Les écobilans requièrent une méthodologie complexe, explique Silvia Bernardi : il faut mettre évidence et quantifier chaque composant du bâtiment. Une analyse multicritère est indispensable avant de proposer une variante de matériau (matérialité, coût, aspects normatifs, disponibilité…). En résumé, nos élu·es ne pourront pas établir quel matériau est «gentil» et lequel est «méchant» en se basant sur leur ressenti personnel. L’objectif, au fond, n’est pas de taper sur les bétonneurs, mais bien de diminuer rapidement l’empreinte carbone dans l’ensemble du secteur de la construction. On ne peut pas cibler un producteur en particulier, il faut une loi pour tout le monde3. Les Genevois ont ouvert une voie, pourquoi ne pas la suivre?

Notes

 

1 Postulat – 23_POS_56 – Mathilde Marendaz et consorts – Pour reconnaître le coût environnemental et climatique du béton

 

2 La révision des articles 117 et 118 de la LCI

 

3 À la même question, Sarah Nichols (THEMA – EPFL) nous répondait «Oui. Mais […]» Lire l’entretien dans TRACÉS 12/2021.

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