Ex­cep­tion ma­so­chiste?

Editorial paru dans Tracés n°19/2013

Date de publication
01-10-2013
Revision
01-09-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

« Les ingénieurs ont peu de peine à trouver de l’embauche » : tel était le titre figurant en première page du complément Emploi de 24 heures du jeudi 19 septembre dernier. La légende de l’image illustrant cette page précisait encore que « le manque d’ingénieurs se fait particulièrement sentir dans le domaine de la construction ». Selon ces assertions, confirmées par les ingénieurs civils avec lesquels il m’a été donné d’en parler, la conjoncture actuelle est favorable à notre profession. Une tendance qui trouve un écho du côté des mandants qui reconnaissent se méfier de la disponibilité réelle de leurs mandataires, ceux-ci étant souvent accaparés par de trop nombreux mandats pour y consacrer l’attention requise. Le constat est donc clair : le marché de l’ingénierie civile est dominé par la demande.

A priori réjouissant pour notre profession, ce contexte ne nous apporte pourtant aucun bénéfice économique : au vu des tarifs encore pratiqués par certains bureaux dans les marchés publics, notre situation « privilégiée » ne se traduit en effet que trop rarement par une digne rémunération de notre travail. Se pose dès lors la question de savoir à qui incombe la responsabilité de ce regrettable paradoxe.

Si les ingénieurs se plaignent depuis longtemps de l’importance du prix dans l’attribution des marchés publics, ce seul facteur ne suffit plus, dans le contexte actuel, à expliquer le niveau indigent des tarifs appliqués. De l’aveu même de nombreux collègues, nous savons parfaitement que c’est d’abord nous-mêmes qui, en galvaudant le prix de nos prestations, sommes responsables du paradoxe relevé plus haut. Nous sommes néanmoins incapables de cerner les raisons qui nous poussent à adopter une attitude qui nous nuit. Et qui est d’autant plus difficilement explicable quand on sait que les exigences liées à nos tâches ne cessent de s’accroître et de se complexifier.

Au regard de ce qui se pratique dans des professions exigeant une formation de niveau similaire, notre attitude constitue ainsi une déplorable exception qui dévalorise, au sens propre et au sens figuré, notre métier. C’est nous qui fournissons stupidement le bâton avec lequel nous nous plaignons ensuite d’être maltraités.

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