En­thou­siasme au cœur de l’Eu­rope

Editorial paru dans Tracés n°05-06/2014

Date de publication
12-03-2014
Revision
10-11-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Alors qu’une faible majorité de la population suisse vient indirectement de manifester une seconde fois sa volonté de demeurer à l’écart de l’Europe politique, aborder la réalisation des nouvelles lignes ferroviaires à travers les Alpes (NLFA) met en évidence les paradoxes qu’engendre parfois notre système de démocratie directe : en plein cœur de l’Europe, nous construisons, principalement pour nos voisins, le plus long tunnel ferroviaire du monde afin de faciliter la liaison entre le Nord et le Sud d’un continent auquel nous refusons d’appartenir politiquement. Soumis à des règles commerciales dont certains espèrent pouvoir se tenir à l’écart, les travaux de « notre » chantier du siècle sont souvent réalisés par des entreprises situées hors de nos frontières... Ainsi, au lendemain du dimanche de votation qui vit également mes compatriotes renouveler leur soutien aux transports ferroviaires, ce n’est pas sans sourire que j’observe que ma nouvelle visite du chantier du tunnel de base du Gothard est dirigée par un sympathique Allemand accompagné d’un jeune collègue autrichien, fraîchement débarqué en Suisse primitive.

Ces ridicules questions de nationalité s’estompent cependant rapidement devant l’enthousiasme que suscite la construction des NLFA auprès de ceux à qui elle a été confiée. En effet, à l’instar de ce qu’il m’avait déjà été donné d’observer au cours du percement des tunnels, l’ampleur de cette tâche – résultat d’une autre décision populaire vieille de vingt ans – oblige les acteurs impliqués dans sa réalisation à mettre en oeuvre la créativité qui devrait systématiquement caractériser la profession d’ingénieur. Alors que les contraintes administratives et juridiques polluent toujours plus nos activités, ils ont ici le privilège – probablement sans échapper pour autant aux polluants évoqués plus haut – d’avoir à résoudre des problèmes auxquels ils doivent apporter des solutions inédites. D’un point de vue organisationnel, ils ont eu à séquencer la livraison et la pose des divers composants de la voie, afin d’assurer sa mise en place régulière et précise. Ils sont parvenus à respecter ce séquençage – impératif pour respecter les délais – en automatisant autant que possible les processus et en recourant à des outils prototypes adaptés aux spécificités de la pose de quelque 150 km de voies sans ballast dans un tunnel. Ils ont ainsi développé des moyens qui garantissent l’acheminement efficace des rails et des blochets dans le tunnel. Une fois ces éléments livrés, une autre machine permet la suspension quasi automatique des blochets aux rails, avant que ceux-là soient noyés dans du béton de remplissage. Pour le coulage de ce dernier dans le tunnel, ils ont conçu et construit un train – véritable centrale à béton sur rail – ainsi que deux modules sur pneus pour le transport et la mise en place dudit béton.

Que de choses enthousiasmantes au cœur de l’Europe...

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