En toute dé­con­trac­tion

Editorial paru dans Tracés n°05-06/2013

Date de publication
19-03-2013
Revision
10-11-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Compte tenu du rôle que l’eau joue dans le développement de la vie, la question de sa disponibilité a de tout temps été un enjeu essentiel pour l’homme : à l’origine pour sa survivance, de nos jours pour son développement. L’augmentation fulgurante de la population mondiale accroît naturellement les enjeux et les tensions liés à son accessibilité et à son partage. C’est sur cette base que nous avions abordé l’exploitation des eaux du Mékong et les problèmes d’irrigation en Inde, il y a une année (voir TRACÉS n° 5/6 2012). Prenant prétexte de ces deux cas, nous avions alors émis des réserves sur la capacité de la technique – généralement importée des pays occidentaux – d’apporter des solutions efficaces aux pays dits émergents. En complément à ces réflexions, nous vous proposons aujourd’hui un aperçu de la façon dont les eaux du Colorado sont exploitées depuis près d’un siècle.
Le choix du Colorado tient à un constat absolument stupéfiant : victime d’une surexploitation de ses eaux, le fleuve auquel se rattache la conquête de l’ouest américain est littéralement asséché par les innombrables déviations qui jalonnent son cours sur le territoire nord-américain. Ses eaux n’atteignent plus que sporadiquement son embouchure dans le golfe de Californie ! Une situation qui va à l’inverse de la logique naturelle voulant que le volume d’un cours d’eau s’accroisse systématiquement entre sa source et son embouchure. Voisin longtemps totalement ignoré, le Mexique voit aujourd’hui moins de 10 % du débit théorique disponible atteindre son territoire.
En plus de la difficile répartition entre Etats, les eaux sont l’enjeu de luttes internes : agriculteurs, producteurs d’énergie et populations riveraines (notamment les minorités amérindiennes) se disputent le droit de disposer d’une ressource longtemps considérée comme un bien commun. Des luttes menées dans un contexte où le pouvoir de l’argent et l’action des puissants lobbys économiques jouent un rôle central auquel vient s’ajouter l’influence – péniblement admise aux USA – des changements climatiques.
Pourtant, rien n’y fait. Alors que la demande en eau dépasse les capacités du fleuve depuis le début des années 2000 et que les réservoirs artificiels affichent des niveaux historiquement bas, les Américains restent aveuglés par l’appât du gain et le rêve d’une abondance sans limite : sises au milieu du désert, Las Vegas et Phoenix continuent de consommer l’eau du Colorado sans modération pour garantir la verdeur de leurs golfs. Assurant à leurs promoteurs des revenus considérables, au détriment de toute considération pour les générations futures. Business is business.

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