De part et d’autre du vide
Editorial paru dans Tracés n°09/2015
Selon le Petit Robert, le mot « pont » tire ses origines « d’une famille indo-européenne de mots exprimant la notion de franchissement », comme le grec pontos qui signifie « mer ». Le pont est ainsi consubstantiel de l’obstacle qu’il permet de franchir. Il relie ce qui est séparé naturellement (gorge, rivière ou détroit) ou de manière artificielle (route, voie de chemin de fer), affranchissant l’homme des contraintes topographiques qui entravent ses déplacements et ses échanges.
Depuis le début des années 2000, la Suisse fait montre d’un véritable engouement pour les passerelles suspendues de type tibétain. Nécessité faisant loi, elles sont une réponse élégante à l’impact du changement climatique sur le payasage alpin. Elles permettent de franchir aisément les nouveaux obstacles que créent le retrait des glaciers, la fonte du pergélisol ou l’apparition de lacs.
Certaines d’entre elles, comme la passerelle du Trift dans la région du col du Susten, sont devenues un but d’excursion en soi. Là où un randonneur venait contempler un glacier aujourd’hui disparu, il vient maintenant admirer une passerelle et s’offrir une dose de frisson en cheminant à près de cent mètres du sol.
Conscients de ce succès, les acteurs touristiques multiplient les projets. Une partie de ces passerelles s’intègrent dans un itinéraire pédestre et le valorisent. Elles servent d’argument de promotion, mais respectent l’idée du passage. D’autres, comme au Titlis ou aux Diablerets, n’ont pour fonction que l’attraction touristique. Elles sont certes spectaculaires la plus haute, la plus longue, la plus vertigineuse, etc. , mais ne mènent nulle part. Quant à l’économie de moyens propre à leur modèle himalayen, que dire de la passerelle highline 179 (Reutte, Tyrol autrichien) construite non pas au plus court, mais au plus long, afin de figurer, évidemment de manière provisoire, au Livre Guinness des records ? Une architecture vide de sens ?