Cons­truc­tion de ca­banes en haute al­ti­tude

Un résumé de l’histoire de l’architecture des cabanes dans les Alpes

Date de publication
22-07-2015
Revision
10-11-2015

Bien que remplissant une fonction a priori identique, ce qui s’appelle cabane de montagne en Suisse se nomme refuge en France. Pour quiconque s’y est déjà engouffré afin d’échapper à une tempête ou mettre terme à une errance nocturne, il est clair que le vocable français reflète mieux l’essence même de ces avant-postes du monde des hommes: un endroit où se réfugier.
Si elle échappe à l’alpiniste en perdition, la variété du vocabulaire reflète pourtant bien une diversité de lieux, d’enjeux, de représentation du monde alpin, d’usages, d’usagers et d’architectures. Construction de cabanes en haute altitude – Un résumé de l’histoire de l’architecture des cabanes dans les Alpes les passe en revue au travers de 190 cabanes de montagne de l’arc alpin de 1750 à nos jours.
Comme l’auteur, l’historien de l’architecture et de l’urbanisme Luca Gibello, l’indique dans le titre de son ouvrage, le livre revient évidemment sur l’histoire du tourisme et de l’alpinisme et des effets de l’évolution de leurs pratiques sur la construction de cabanes. Mais le texte dépasse cette vision pour inscrire les cabanes de montagne dans la grande histoire.


Objets identitaires


De Nice à Vienne, les Alpes forment une ligne de frontières majeures, autant étatiques que culturelles et linguistiques, qui fluctuent au gré des événements géopolitiques. Véritables têtes de pont dans ce no man’s land de roche et de glace que constitue la haute montagne, les cabanes permettent à un Etat de revendiquer une portion de territoire en y affirmant matériellement sa présence, en construisant un nouvel édifice ou en le renommant. C’est notamment le cas dans le Tyrol du Sud, dont les montagnes furent le théâtre de combats d’une violence inouïe. Les cabanes étaient alors des objectifs stratégiques. Nécessité faisant loi, on ne regardait pas à la dépense humaine pour les construire, ou les détruire.


Le mythe du chalet


Alors que le livre s’intéresse naturellement beaucoup aux Alpes italiennes, la Suisse n’est de loin pas laissée pour compte. On y apprend que sous l’influence de Patrimoine suisse, les cabanes de montagne helvétiques se sont construites selon un modèle «identifié, logiquement et presque inévitablement, dans les constructions rurales des alpages autochtones. C’est donc de là que vient la conviction persistante qui associe la construction alpine à l’idée de chalet même si, en réalité, les refuges ont occupé une partie de territoire qui était vierge jusqu’à ce moment-là». Figées dans ce modèle folklorique, les cabanes évolueront peu en regard des modifications radicales dans le domaine de la construction, faisant ainsi écho, selon l’auteur, aux « positions conservatrices élitistes de l’establishment alpin, fondamentalement réfractaire aux innovations qui pourraient élargir le rang des ‹élus›». Le livre revient sur le travail de l’architecte Jacob Eschenmoser, qui parviendra, lors de travaux d’agrandissement, de reconstruction ou de transformation à imposer sa marque sur des bâtiments respectant malgré tout les canons de Patrimoine suisse.


Du mimétisme au contraste


L’ouvrage est doté d’une riche iconographie privilégiant le noir et blanc. Ce choix permet d’éviter d’inscrire les refuges dans une période donnée, et on se surprend parfois à découvrir le véritable âge d’un projet. Mais, outre une certaine monotonie, il empêche, en supprimant une information, d’appréhender les bâtiments dans la pleine diversité de leurs matériaux. C’est particulièrement frappant pour la cabane de Moiry, dont l’agrandissement fait la part belle à un revêtement de cuivre dont seule la couleur permet de rendre compte de l’aspect. Les quelques clichés couleurs apparaissent d’ailleurs dans une contribution de l’architecte et chercheur Roberto Dini consacrée à l’architecture des refuges contemporains, qui ne sont plus conçus «comme un pièce fermée sur elle-même, mais comme un espace lumineux et ouvert aux montagnes environnantes». A l’image du bivouac Gervasutti (image), dans le val Ferret italien, ces derniers s’inscrivent plutôt dans le contraste que dans le mimétisme avec leur environnement, ce que la couleur rend plus évident encore.

 

Construction de cabanes en haute altitude

Luca Gibello, Editions du Club Alpin Suisse, Berne 2014 / CH 59

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