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La réalisation d’une villa urbaine par NB.ARCH au nord de Lau­sanne permet d’étudier les particularités architecturales de ce modèle, en même temps que son efficacité: une forme d’habitat qui continue d’interroger les relations entre privé et collectif et notre façon de gérer le territoire.

Date de publication
03-06-2023

La construction de trois nouveaux logements par le bureau lausannois NB.ARCH dans le quartier de Chailly, au nord de Lausanne, au sein d’une zone résidentielle à faible densité, pose la question de l’intégration de l’objet architectural dans un contexte préexistant très contraint en termes de gabarit et d’implantation. Certains types d’habitat, comme la maison individuelle ou le logement collectif, façonnent l’image de ces zones villas et interrogent depuis plusieurs décennies le rapport entre la ville et la nature, la planification urbaine et la gestion du territoire à bâtir. Le modèle de la villa urbaine, telle que décrite par Oswald Mathias Ungers dans les années 19701, apparaît comme une solution qui prend en considération les aspects économiques et sociaux de la construction et met en évidence l’aspect environnemental et qualitatif de cette typologie. Ce modèle urbain, plus compact que les exemples d’habitats précédemment cités, pose également la question fondamentale de la façon dont la densité se matérialise dans ces zones villas.

Empreinte et forme urbaine

Le projet propose de démolir une petite maison unifamiliale des années 1960 pour construire une villa urbaine de trois logements intergénérationnels: le premier étage et l’attique pour la famille propriétaire, le rez-de-chaussée pour des locataires. La villa adopte l’empreinte au sol de l’ancienne construction et reprend l’organisation initiale, conservant l’entrée principale au nord et la rampe d’accès au garage en sous-sol à l’ouest, accessibles depuis les deux rues adjacentes. À la demande du maître d’ouvrage, le jardin existant sur lequel s’ouvre le projet au sud est préservé en l’état: il devient alors un espace commun aux trois logements.

N’ayant pas reçu de traitement paysager particulier, le jardin déjoue l’archétype des quartiers résidentiels et ne définit pas les limites de la parcelle. Cet espace vert appartient visuellement au bâti et à la rue, et permet une respiration en même temps que le dégagement des façades. Voilà peut-être l’une des ambiguïtés d’une telle forme urbaine: comment peut-on trouver une réponse organisationnelle à cet espace collectif qui permette à la fois de répondre à certains critères de privacité et en même temps d’affirmer un caractère plus urbain, sans qu’il ne se transforme en un espace résiduel?

Monolithe, ornements et flexibilité

Le projet réagit à son contexte en s’imposant, au nord-est, comme un objet monolithique minéral et offrant, au sud, trois balcons superposés qui allègent le volume. La forme orthogonale biseautée permet de répondre de façon pragmatique aux restrictions d’implantation, tout en évitant les vis-à-vis avec les constructions environnantes. La façade en béton apparent s’inscrit dans la tonalité du voisinage et unit visuellement les trois étages. Il n’y a donc pas de système de hiérarchie dans les façades: les embrasures directement marquées dans le béton proposent un jeu de composition élégant qui met en avant le caractère artisanal de la construction. Les architectes sont intervenus sur la façade en utilisant les planches de banchage et, grâce à un système de décalage de trois unités, conservent les proportions des percées tout en jouant avec l’idée de la répétition comme processus créatif et singulier. Les embrasures de fenêtres sont des éléments purement esthétiques qui reprennent – en les actualisant – certaines caractéristiques ornementales de la villa urbaine lausannoise.

La villa comporte un appartement par étage: un escalier en façade et un ascenseur en retrait relient l’attique, l’étage, le rez et le garage. Les trois étages de vie ont d’abord été conçus de la même manière: le plan, a priori assez simple, est flexible et permet des configurations différentes qui s’adaptent au mode de vie des habitant·es. Le vestibule mène au noyau central, qui reçoit la cuisine et des rangements et agit comme un pivot articulant les espaces entre eux. Quelques règles régissent cependant les relations entre les espaces et favorisent la vue, ­l’­apport de lumière naturelle, et empêche les vis-à-vis: les espaces de nuit et d’eau sont organisés le long de la façade nord, tandis que le salon et la salle à manger, alignés sur la façade sud, s’ouvrent largement sur un balcon qui prolonge l’espace intérieur et duplique, lors des beaux jours, l’espace de vie. Cela permet également, en termes d’organisation, d’ajouter une cloison en continuité avec le noyau central et ainsi de transformer la salle à manger en bureau ou encore de rajouter une chambre. Chacun des trois étages possède les qualités d’une maison individuelle en termes de flexibilité, d’ouvertures et de privacité, tout en tenant compte du caractère plus familial de la construction avec les systèmes de circulation généreux et le jardin commun.

Le béton, un choix esthétique et économique

Bien que réalisé en 2022, le projet a été conçu dès 2016. Le choix du béton comme matériau principal et visible en façade s’explique aussi par cette temporalité. Les architectes reviennent sur ce sujet, car même si la construction en bois ou autres matériaux à faible répercussion environnementale aurait été envisageable, le béton se serait toutefois imposé ici au moment du projet pour des raisons économique et esthétique. «D’autre part, il serait certain qu’on l’envisagerait différemment aujourd’hui», affirment-ils.

Le sol des logements est une chape poncée claire qui relie toutes les pièces et rend fluide la lecture des espaces. La teinte est reprise pour les dalles en béton qui recouvrent les balcons. Elle génère un contraste entre la neutralité de la façade et les matériaux plus subtils choisis pour les surfaces horizontales. Ce soin s’exprime aussi dans le choix des matériaux des espaces de circulation, qui reprennent les carreaux de grès cérame gris et rose, variante contemporaine des halls d’immeubles lausannois et les menuiseries en aluminium éloxé bronze. Une attention qui se retrouve aussi sur les garde-corps des balcons, ­dessinés également par les architectes, et dans le choix des stores à descente verticale en tissu rayé vert et blanc qui ferment intégralement les espaces extérieurs pour le rez-de-­chaussée et le premier étage. Pour donner à chaque habitant·e des conditions similaires, et pour le gabarit autorisé, avec un retrait imposé, le dernier étage, doté d’une terrasse plus spacieuse, accueille un espace végétalisé dont l’accès est réservé à l’habitante du dernier étage. La toiture plate poursuit la logique des dalles d’étages superposées. Elle est recouverte d’une installation de panneaux solaires thermiques et photovoltaïques.

Urbaniser la zone villa

Si on se fie à la littérature actuelle au sujet de la villa urbaine2, on retrouve de nombreuses réflexions sur les raisons d’être d’une telle continuité typologique et de son implantation dans les zones villas. Bien que celle-ci s’adapte aux évolutions technologiques et techniques et aux exigences normatives, elle s’inscrit aussi dans ce désir d’indépendance et d’expression de la personnalité de l’objet architectural. Cette continuité offre également l’opportunité aux architectes, tel que NB.ARCH, d’explorer des réponses non génériques. Cette recherche peut être axée sur le traitement des relations entre espaces privés et publics, les aspects fonctionnels et programmatiques et donne la possibilité aux maîtres d’ouvrage de décider de leur propre environnement et organisation domestique.

Cette typologie permet en termes d’implantation d’augmenter la densité tout en valorisant les qualités archétypiques de la maison individuelle. De nombreux bureaux d’architecture s’y attellent, en proposant des projets innovants qui reprennent cette forme urbaine, compacte et efficace qui répond, entre autres, aux problématiques d’exploitation des terrains constructibles.

Maison de trois logements à Lausanne (VD)

 

Maître de l’ouvrage
Privé

 

Architectes
NB.ARCH, projet en collaboration avec Marco de Francesco

 

Génie civil
Nicolas Fehlmann Ingénieurs Conseils

 

Ingénierie chauffage et ventilation
Chammartin & Spicher

 

Ingénierie sanitaire
Schumacher & CHIngS Ingénieurs

 

Ingénierie électricité
Perrin & Spaeth ingénieurs conseils

 

Procédure
Mandat direct

 

Réalisation
2021-2022

 

Surface de plancher
618 m2

Notes

 

1 Oswald Mathias Ungers explique que la ville «doit survivre en tant qu’entité sociale, politique, [...] économique» et que, pour se faire, la ville doit offrir des conditions environnementales proches de celle du «milieu naturel». L’augmentation du nombre de maisons individuelles qui participent également de l’étalement urbain s’expliquerait, dans les années 1970, par l’accroissement de la richesse sociale et la recherche d’une meilleure qualité de vie associée au désir d’indépendance. Mathias Ungers, Oswald. «La villa urbaine: un prototype pour les résidences du centre-ville — The Urban Villa: A Prototype for Inner City Residences», republié dans Jacques, Pinto, Villa urbaine/Urban Villa: L’exemple lausannois/The Lausanne Example edited by Benoît Jacques and Rui Filipe Pinto, 3-10. Berlin, Boston: Birkhäuser, 2022, pp. 143-148

 

2 Villa urbaine: immeuble d’habitation respectant l’ordre non contigu, haut de trois à cinq étages, comportant un ou plusieurs logements et liés par une cage d’escalier collective. Jacques, Benoît. «Prologue: Villa urbaine, l’exemple lausannois/ Prolog: Urban Villa, the Lausanne Example», in op. cit.

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