The Na­ture of Hope, à Rot­ter­dam

La Biennale d'architecture de Rotterdam vient d'inaugurer sa 11e édition. L'occasion de revenir sur l'évolution de cet événement majeur, en quête de sens dans un contexte où celui-ci est de moins en moins évident.

Date de publication
05-07-2024

Renoncement néerlandais

La nature de l'espoir sonne comme un acte de foi renouvelé face au désastre de notre incapacité à répondre aux enjeux du dérèglement climatique. C'est le titre de cette biennale compacte, riche en projets qui cherchent à articuler une pensée complexe sur l'évolution de l'urbanisme et de l’architecture. Parmi ces projets, on trouve des initiatives théoriques d'envergure locale, comme la charte Fix Housing! qui vise à établir un agenda pour la généralisation de stratégies de réparation et de réutilisation des bâtiments existants. L'initiative liste des principes évidents sur l’indispensable préservation de l’existant, l’utilisation de matériaux biosourcés ou encore la lutte contre l’artificialisation de terres cultivables. La charte n'est pas la seule à prôner le renoncement aux constructions neuves au profit d'une adaptabilité qui appelle à faire avec ce qui existe déjà. Un autre projet théorique va jusqu'à appeler cet esprit de rétractation «la pierre angulaire de la non-construction».

Woodwashing parisien

Nous sommes moins convaincus par le choix de présenter une cinquantaine de projets d'habitat collectif du Grand Paris utilisant le bois. Si la présence du bois dans chacun de ces projets est incontestable, aucune réflexion n'est menée sur l'impact environnemental réel du projet du Grand Paris, ni sur la nature de l'utilisation du bois dans ce chantier titanesque. Plus simplement, en regroupant 50 projets exemplaires en bois pour autant de nouveaux quartiers dominés par le béton, la biennale constitue sans le vouloir une liste du «woodwashing» qui caractérise les chantiers du Grand Paris.

Toxicité américaine

La Biennale n'en serait pas une sans la contribution toujours pertinente de Forensic Architecture sur la toxicité avérée, idéologique et environnementale, de l’exposition de nombreuses communes de Louisiane aux rejets d’industries hautement polluantes qui bordent le Mississippi. On y apprend que la cartographie de cette alternance entre communautés pauvres et racisées et industrie pétrochimique est basée sur le tracé cadastral des fermes de l'époque esclavagiste, et que les seuls remparts contre l'expansion des usines sont souvent les cimetières d'esclaves abandonnés.

Coopératives uruguayennes

Un des projets les plus surprenants relate le dynamisme et les spécificités du mouvement coopératif en Uruguay. À Montevideo, plusieurs centaines de coopératives d’habitants forment l’un des plus puissants mouvements d’auto-construction au monde. Le coopérativisme uruguayen intègre une part importante de travaux à réaliser par l’habitant. Souvent reléguées à la périphérie des villes fautes d’accès aux prix du foncier des centres, ces coopératives sont souvent de l’habitat individuel groupé d'un ou deux étages. La présentation se concentre sur COVIVEMA 5, une coopérative de centre-ville, rendue possible par l’augmentation du nombre de familles qui la composent, ainsi que des étages de l’immeuble. La charte coopérative uruguayenne reposant sur l’auto-construction, les futurs habitant·e·s ont dû s’initier aux rudiments de la construction, assumant pleinement des tâches complexes telles que le coffrage, le ferrage ou le coulage de la dalle. Le récit d’une des habitantes de sa frayeur de devoir se hisser au 10e étage est rapidement compensé par la fierté d’avoir littéralement construit son immeuble collectif.

Monuments végétaux

La Biennale fait la part belle au végétal, avec de nombreux projets questionnant leur rôle dans le tissu urbain. L'une des seules occasions de sortir de l'espace d'exposition est de visiter des « monuments botaniques », comme sont appelés les 24 espaces de biodiversité urbaine sélectionnés et présentés dans un parcours cohérent. Cela va du jardin partagé à la petite forêt urbaine aux caractéristiques exceptionnelles.

L’IABR, à quelle fin?

21 ans après son lancement, à quoi sert encore la Biennale, compte tenu de l’écosystème urbain qui la rend possible? En 2003, Rotterdam était une ville sociologiquement mixte, populaire comprenant de nombreuses friches portuaires et plusieurs dizaines de projets légaux d’habitat autogéré. Le Berlage était à son sommet, et les jeunes architectes du monde entier rêvaient de faire un stage, le plus souvent non rémunéré, à l'OMA. En 2023, la plupart des espaces d’habitation autogérés n'existent plus. Ils ont été convertis, démolis ou vendus à leurs occupant·e·s, qui en sont désormais propriétaires. La multitude de lieux d’habitation alternatifs (sur ce sujet lire: WORM RE-create. La démarche de réemploi d'Architects2012 appliquée à un centre culturel de Rotterdam), qui faisaient le dynamisme culturel de Rotterdam a été remplacée par des dizaines de tours d'habitation, créant un paysage urbain surprenant d'une ville apaisée, partiellement débarrassée de la voiture, mais aussi reconquise par une classe aisée peu sensible aux valeurs progressistes qui ont fait sa renommée. Les quartiers de logements sociaux semblent moins déshérités qu'il y a vingt ans, et le niveau de vie semble s'être globalement amélioré. Rotterdam, comme la plupart des villes néerlandaises, est fortement impliquée dans des projets de pacification de la voirie et d'introduction de biodiversité en ville. On a souvent l'impression que le choix de la mobilité douce aux Pays-Bas n'est pas du tout politique. Le vélo n'est ni de droite ni de gauche, dit-on. C'est simplement le moyen le plus efficace et le plus économique de se déplacer en ville.

C'est le paradoxe qui résume la situation: La Biennale reste fidèle à une approche politique progressiste dans une ville qui l'est de moins en moins. Elle poursuit fidèlement son travail de pédagogie, financée en partie par le mécanisme même qu'elle dénonce : l'économie immobilière florissante qui remplit les caisses de la ville. On pourrait imaginer qu'un jour la biennale cesse d'exister, passant pour un fauteur de troubles. Au lieu de cela, elle continue inchangée, dans un écosystème immobilier qu'elle ne perturbe en rien. La Biennale, avec ses appels à la décroissance, payée par une ville libérale qui ne jure que par la croissance, semble être devenue un élément patrimonial de l‘offre culturelle. Une subversion tolérée dans une ville en pleine effervescence constructive. Un faire-valoir pour une économie qui n'a jamais sérieusement envisagé ne serait-ce que les prémices d'un ralentissement de sa croissance.

Dans nos archives:

 

Rotterdam, ville ouverte

 

Nor­ma­tiv old «next eco­nomy»: L’économie informelle à la Biennale d’architecture de Rotterdam

 

MVRDV Transgressions constructives

 

Ci­ne­ma­tic Rot­ter­dam: The Times and Tides of a Mo­dern City

 

 

 

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