J’ai voulu voir Vier­zon

L’historien de l’architecture Pierre Frey estime que la Biennale du FRAC-Centre-Val-de Loire, à Vierzon, sème avec tact et finesse des germes d’inflexion, de dissidence et d’alternatives. Une réponse à la vision que le critique Christophe Catsaros a eue de cette manifestation.

Date de publication
27-09-2022

Vierzon, ville située dans le département du Cher en région Centre-Val de Loire, s’honore d’un monument aux morts exceptionnel, dont l’iconographie est radicalement antimilitariste. Les bas-reliefs, de part et d’autre du motif central, reprennent le thème cher aux frères Lorenzetti. Sur sa célèbre fresque du Palazzo Pubblico de Sienne, Ambrogio Lorenzetti avait ainsi peint les effets du bon et du mauvais gouvernement. Ces bas-reliefs encadrent donc deux colosses qui s’emploient, depuis 1933, à séquestrer dans le caveau, les attributs de la guerre. Cette ville, dont la superficie couvre l’équivalent de 80% de celle de Paris, s’étend de part et d’autre de ce qui est devenu une énorme friche ferroviaire; la SNCF ayant choisi de privilégier la route et la Grande vitesse au détriment des lignes régionales.

En 1940, le nœud ferroviaire de Vierzon se trouve pratiquement sur la ligne de démarcation et nombre de ses cheminots s’engagent dans la «bataille du rail» au point que les sabotages se firent quasi quotidiens sur la ligne en direction de Tours. Le critique d’Espazium qui rend compte de la Biennale du FRAC-Centre-Val-de-Loire qui a ouvert le 16 septembre dernier (lire: La théo­rie du ruis­sel­le­mentsait bien sûr tout cela et bien davantage, il aurait pu lire cette ville comme un immense et riche palimpseste que met en évidence la fine couche de révélateur dont le commissaire Abdelkader Damani l’asperge cet automne avec talent et malice. Feignant ignorer comment «la cathédrale quitte le lieu où elle a été construite pour trouver accueil dans le studio d’un amateur d’art» (W. Benjamin), Christophe Catsaros convoque une supposée hiérarchie des centres de l’art et du pouvoir et nous présente la déshérence des villes pauvres comme une fatalité pour ainsi dire sans issue.

Or, la Biennale opère précisément à contre-courant en ce qu’elle dispose avec tact et finesse des germes d’inflexion, de dissidence et d’alternatives qu’elle demande à des femmes de créer, d’installer et d’exposer sur ce terrain en friche. Il en résulte un véritable affichage amoureux de potentiels et de possibles, soit exactement ce que les espaces restés dans l’angle mort des observateurs et observatrices sont susceptibles de développer à l’écart de l’agitation causée par la crise généralisée des ressources et des valeurs. A l’inverse des lieux culturels centraux auto-proclamés à coup d’extravagances architecturales indexées sur les flux générés par la spéculation financière, la Biennale de Vierzon pourrait se reconnaître dans la célèbre vignette de Larousse, «Je sème à tous vents».

L’affaire n’est cependant pas sans inconvénients, elle compte quelques reprises. Dans le champ de l’architecture proprement dite, elle présente quelques lacunes flagrantes. Enfin, les liens resserrés entre le Centre Pompidou, le FRAC-Centre-Val-de-Loire qui ensemble se placent en tête des collections d’architecture dans le monde et la Cité de l’Architecture ont sans doute imposé des choix, élégants et pertinents, mais qui infléchissent le propos en direction de certaines recherches formelles, là où il faudrait sans délai, «bâtir pour l’exemple».

Infinie liberté, un monde pour une démocratie féministe

Biennale d'architecture Frac Centre-Val de Loire

Jusqu'au 1er janvier 2023

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