Nor­ma­tiv old «next eco­nomy»

L’économie informelle à la Biennale d’architecture de Rotterdam

Date de publication
24-05-2016
Revision
24-05-2016
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

Depuis un petit mois, s’est ouverte la Biennale d’architecture de Rotterdam (IABR). Jusqu’au 10 juillet, les visiteurs sont invités à découvrir des projets socio-économiques, d’urbanisme ou encore d’ingénierie environnementale qui dessineraient les contours de la «next economy». 

Située dans un entrepôt maritime construit après la Seconde Guerre mondiale dans le quartier de Katendrecht, la septième édition de l’IABR s’inscrit pleinement dans la généalogie des précédentes. Au niveau du contenant, l’IABR investit un lieu en transition de Rotterdam. Alors que des grues s’appliquent à transformer l’entrepôt voisin «Fenixflood 1» en appartements et lofts confortables, Fenixflood 2 – lieu de la Biennale – accueille aujourd’hui un petit marché de produits locaux, des ateliers d’artistes et d’expositions et résiste tant bien que mal à la pression immobilière. Tout comme pour les éditions précédentes, la biennale devient un révélateur des transformations constantes que connaît la ville portuaire. 

Au niveau du contenu, la thématique prolonge la réflexion menée lors de l’édition de 2012 «Making City» qui avait abordé la recherche d’une économie urbaine plus équilibrée entre consommation et production, temps du travail et temps libre, utilisation du sol et conservation de la nature. Par le titre « Next Economy », le curateur Maarten Hajer – professeur à l’Université d’Utrecht et spécialiste des relations entre les politiques publiques, le développement urbain et les questions environnementales – énonce un changement, sans pour autant le définir. 

La « next economy » repose tout d’abord sur un substrat malade : le système capitaliste et sa résultante urbaine, la ville fonctionnaliste. Le constat sur leurs conséquences néfastes est aujourd’hui largement partagé – augmentation des inégalités, surconsommation des terres arables, mitage du territoire, exclusions sociales, augmentation des bidons-villes, etc. – et provoque des résistances et des alternatives qui esquisseraient les pourtours d’un nouveau système économique. Plutôt qu’une tentative vaine d’en donner une définition, l’équipe curatoriale préfère présenter un certain nombre de projets qui font émerger les grandes lignes directrices de cet hypothétique futur. Cela souligne l’incertitude radicale dans laquelle on vit. Certains sont connus et font partie de la doxa du développement durable; d’autres plus surprenants tissent des liens forts entre la fabrique urbaine et l’éducation ou renversent la vision urbanocentrée du rapport entre agriculture et ville. Au total, c’est une soixantaine de projets qui s’exposent assez simplement dans ce bel espace. Deux projets suisses y sont présentés. L’un, issu du laboratoire Future Cities Laboratory de Kees Christiaanse de l’EPFZ, se penche sur le rôle de l’économie informelle des petites unités de voisinage dans la fabrique de certaines villes asiatiques. Le deuxième présente la mise en œuvre de la plus grande coopérative bernoise WARMBÄCHLIWEG par les architectes BHSF Architekten + Christian Salewski & Simon Kretz Architekten.

A quelques centaines de mètres de l’IABR, la galerie TENT a inauguré le même week-end une exposition: «Utopian Dreams». Développée sans lien avec la biennale, elle expose onze « fantaisies urbaines », comme aime les appeler le curateur Reyn van der Lugt. Six projets historiques – certains réalisés, d’autres restés à l’état d’utopie – se confrontent à cinq réalisations de commandes artistiques contemporaines. Au-delà de l’intérêt intrinsèque de l’exposition, elle confère à «NEXT ECONOMY» une épaisseur historique inattendue. L’artiste Wim Glijzen proposait en 1969 de transformer l’un des espaces publics majeurs de Rotterdam en pâturage urbain pour vaches laitières qui aurait aussi joué un rôle important dans le système d’irrigation de la ville. En 1980, un collectif d’artistes et d’architectes – Hans Oldewarris, Peter de Winter, Chiel van der Stelt et Victor Mani – développa, à la demande des autorités portuaires, un espace public flottant. Le temps d’un été, les habitants de Rotterdam eurent l’occasion de suivre un spectacle de danse ou de théâtre et de boire un verre au rythme des flots de la rivière Mass. En 2001, l’Atelier Van Lieshout créait AVL-Ville, une communauté auto-suffisante, recyclant ses déchets, cultivant ses propres légumes et proposant une nouvelle démocratie participative. Ces trois projets auraient sans aucun doute trouvé leur place au sein de la biennale, soulignant ainsi que la «NEXT ECONOMY» a déjà une relativement longue histoire…

Pour Maarten Hajer, l’objectif premier de la biennale est de généraliser ces pratiques encore alternatives à l’ensemble des démarches urbaines; d’étendre ces «best practices», encore limitées à des petits projets (small is beautiful), à des opérations urbaines de grande échelle. Si cette volonté normative est louable, elle est aussi risquée. L’anthropologie urbaine, qui se penche depuis ses débuts sur l’économie informelle, a montré que le potentiel social de cette dernière ne peut se déployer qu’en dehors du système. Les tentatives de normalisation des économies informelles ont souvent offert aux acteurs du système néo-libéral un point d’arrimage pour les récupérer et les pervertir. La fameuse «uberisation» de la société en est l’exemple le plus flagrant. A la base participative et partagée, cette économie se transforme en plaidoyer pour la libre entreprise individuelle et la déréglementation. 

THE NEXT ECONOMY    
IABR
Jusqu’au 10.07.2016, www.iabr.nl 

UTOPIAN DREAMS    
TENT
Jusqu’au 10.07.2016, www.tentrotterdam.nl

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