WORM RE-create

La démarche de réemploi d'Architects2012 appliquée à un centre culturel de Rotterdam

Basé à Rotterdam, le collectif d’architecture 2012Architects intègre le réemploi dans une démarche pragmatique d’économie où la proximité de la ressource détermine sa valeur d’usage.

Date de publication
30-05-2012
Revision
19-08-2015
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

Comme nous l’avions évoqué dans un article précédent portant sur un projet d’éoliennes recyclées en aires de jeux développé par l’agence néerlandaise 2012Architects (voir Tracés n°11, 2011), la réutilisation en architecture n’est pas une démarche nouvelle. Ancrée comme n’importe quelle activité professionnelle dans le système socio-économique, l’architecture occidentale du 20e siècle a presque totalement oublié la pratique du «bon sens». Toutefois, comme le souligne les auteurs du « livre manifeste » Superuse (van Hinte, Jongert, Peeren, 2007), le réemploi refait timidement surface en architecturale contemporaine. 
De l’organisation américaine Earthship Biotecture, pionnière dans ce domaine, née dans la mouvance hippie des années 1970 et dont l’histoire est retracée dans le documentaire Garbage Warrior, à la très contemporaine agence new-yorkaise LOT-EK (fondé à New-York, par deux architectes italiens, ce bureau utilise depuis les années 90 dans leur pratique architecturale contemporaine des objets industriels recyclés), en passant par l’architecte espagnol Santiago Cirugeda qui se joue des codes de l’urbanisme espagnol, les approches sont multiples. Si les démarches et les préoccupations esthétiques divergent, toutes sont nées d’une préoccupation environnementale et de la remise en question d’une certaine standardisation des méthodes de construction. 2012Architects s’inscrit dans cette vision. Les fondateurs de cette agence de Rotterdam, Jan Jongert et Césare Peeren, en ont même fait la pierre angulaire de leur démarche constructive. 

Un constat et une méthode

Au départ, un simple constat: les choses dont on a besoin se trouvent bien souvent juste à côté. Comme le souligne Jan Jongert : «Nous n’avons jamais vraiment consciemment adopté cette démarche. Nous avons remarqué que nous utilisions souvent des pièces usées pour réparer nos meubles, par exemple. C’est à ce moment qu’on a commencé à se questionner. Par exemple, pourquoi réaliser de nouvelles bornes urbaines alors que celles-ci peuvent être faites avec l’essieu arrière de vieux camions. Nous avons alors réflechi à un moyen d’appliquer ce système à une échelle plus grande» (van Hinte, Jongert, Peeren, 2007: p.15). Cette correspondance – «coïncidence» entre des objets qui semblent incompatibles – fascine les deux architectes qui vont développer une véritable méthode dépassant le simple recyclage. Basée sur le réemploi d’objets et de matériaux provenant de sources différentes, leur démarche veut agir sur la maîtrise des flux : ceux des déchets et des objets recyclés mais également ceux de leurs transports. 
Dans ce processus, afin que l’offre de déchets et de matériaux sortis du marché traditionnel et la demande produite par cette architecture se rencontrent, l’information est cruciale. En effet, comme le relève Césare Peeren interviewé à Rotterdam en mars dernier, cette rencontre est encore trop dépendante du hasard. De nombreux sites Internet existent ; les deux architectes ont leur propre plateforme virtuelle, www.recyclicity.org, dont le but est de créer des liens entre les différents flux urbains locaux (matériaux, énergie, eau, nourriture et même capitaux) pour un urbanisme et une architecture intégrée. De manière très concrète, cette approche théorique se matérialise dans un outil simple que les concepteurs ont appelé «harvest map». Cette carte dresse, dans un périmètre d’environ 50 km autour du projet architectural, l’inventaire des matériaux, des industries et de déchets qu’elles produisent et qui peuvent être réutilisés lors de la réalisation de ce dernier. Césare Peeren insiste sur le fait que cette «harvest map» ne représente pas la panacée pour tous les projets architecturaux :  «Elle illustre une façon de systématiser la recherche. L’utilisation de certains matériaux ne doivent pas être exclus de la construction simplement parce qu’ils ne se trouvent pas dans l’aire géographique délimitée. Elle doit servir de guide pour la recherche et de générateur d’idée. Elle fournit également des informations sur les besoins en transport. C’est un point important, car l’un des objectifs principaux dans cette démarche qui vise à raccourcir le flux des matériaux est de minimiser leur déplacement d’un point à un autre». 

Des conteneurs, des avions, des compactus, des bobines

Cette approche radicale influence bien évidemment le projet architectural qui trouve sa forme définitive dans un processus itératif entre le programme et les matériaux réutilisables dénichés. Pour ceux qui douteraient que cette démarche puisse faire naître une architecture aboutie et soignée, la visite du centre culturel avant-gardiste Worm réussira à convaincre les plus sceptiques. Situé en plein cœur de l’axe culturel Witte de Withstraat de Rotterdam, ce bâtiment historique de 1874 qui accueillait jusqu’en 2007 le Musée néerlandais le la photographie est, selon Césare Peeren, l’aboutissement de 15 ans de recherche et d’expérimentation pour réaliser une architecture intégrée. Aujourd’hui, ce haut lieu de la musique expérimentale partage l’ancienne bâtisse avec une série d’institutions culturelles. Près de 70 % de la transformation des 2 000 m2 ayant été faite en récupération, chaque pièce du mobilier et chaque aménagement porte une histoire. L’entrée se fait par une petite rue perpendiculaire à l’avenue principale Witte de Withstraat : « Nous ne voulions pas utiliser l’entrée principale du bâtiment. Trop magistrale, elle repousse les gens au lieu de les inviter. De plus, nous voulions un accès particulier pour Worm. » Afin d’éviter que cette nouvelle adresse passe inaperçue, les architectes ont simplement découpé une partie de la façade qu’ils ont avancé de quelques mètres, créant ainsi un acte fort sans changer l’aspect visuel de ce bâtiment historique et classé. 
A l’intérieur, le thème qui régit toute l’organisation du lieu est la transparence. Le hall s’ouvre sur une cage d’escalier, pièce maîtresse du dispositif, qui lie physiquement et visuellement les espaces publics de WORM. Au sous-sol, le foyer, le bar, les toilettes, des studios de photographie, des bureaux et la boutique de WORM; au premier étage, le fumoir, la salle de concert et de projection, des bureaux et un studio d’enregistrement. 
L’identité visuelle principale se fait par le revêtement utilisé pour le sol et une partie des parois. Pour ce lieu nocturne, les architectes cherchaient un matériau résistant et d’entretien facile. Ils l’ont trouvé à quelques kilomètres seulement, dans une piscine publique appelée à être désaffectée. Ces panneaux, composés d’une sorte de résine compressée et utilisés pour les casiers et les vestiaires, ont été sablés pour éviter d’être glissants. Pour compléter le stock trop faible pour couvrir la surface désirée, des anciens bureaux composés de la même matière ont été achetés dans un outlet d’Amsterdam : c’est la forme de ces derniers qui a inspiré le motif géométrique du revêtement. 
Les tables et les bancs du bar, dont la largeur a été dictée par la taille de planches récupérées sur les bobines pour câbles, se meuvent sur les rails des anciens compactus des archives du Musée de la photographie. Cette idée ingénieuse permet une flexibilité dans l’aménagement de l’espace du sous-sol et crée les conditions pour de nombreuses interactions sociales. Les compactus ont également été réutilisés pour la boutique. Toujours au sous-sol, six conteneurs pour liquide, en plastique et fer, ont été transformés en toilette. Au premier étage, l’acoustique de la salle de concert et de projection est assurée par des éléments intérieurs de la carlingue d’un Airbus de la compagnie Indonesian Airlines, débusquée à Dresde et les fauteuils – également des déchets de l’industrie aéronautique – proviennent de Haarlem à 62 km de Rotterdam. Enfin, toute la partie réservée aux bureaux est l’œuvre de l’Atelier van Lieshout (voir encadré). Composé de lourdes plaques d’acier, rouillées et soudées, et de pans de verre, cet espace visible par les visiteurs évoque une forteresse où l’on peut regarder en toute sécurité la prochaine crise à venir, tout en réfléchissant à la manière d’améliorer la société dans laquelle on vit. 
Cet inventaire non exhaustif des matériaux récupérés pour la réalisation de WORM démontre autant la cohérence de la démarche et le pragmatisme des bâtisseurs que le soin apporté aux détails et à la tectonique de l’ensemble. Loin d’être enfermé dans un dogme de la récupération locale, Césare Peeren, Jan Jongert et leurs collaborateurs savent faire exception lorsque la commande, le programme ou encore la qualité architecturale l’exigent. 
Le travail de l’agence 2012Architects fournit des réponses concrètes et immédiates aux problèmes environnementaux. Elle questionne enfin et surtout, l’approche de la durabilité dans le champ de la construction généralement basée sur une série de normes, de lois, de directives et de labels qui poussent à la consommation et, trop souvent, à la production de nouveaux déchets.

 

Atelier Van Lieshout

 

Tant par sa structure que par sa production, l’Atelier Van Lieshout (AVL), fondé en 1995 par Joep van Lieshout à Rotterdam, est atypique. La fascination de ce néerlandais de 49 ans pour les notions de frontière et de système s’exprime jusqu’à l’organisation même de son atelier. Architectes, menuisiers, designers, historiens de l’art, soudeurs mais aussi économistes et financiers œuvrent au sein de grands entrepôts de la zone portuaire formant un système autonome qui brouille les démarcations entre l’artiste, l’architecte, le designer et le promoteur : les œuvres sont en vente directement auprès de l’atelier et les bénéfices très souvent réinvestis dans de nouveaux projets. 
Cette ambivalence et ce besoin d’indépendance se sont concrétisés dans deux projets majeurs de l’artiste : AVL-Ville et SlaveCity. Le premier, version positive d’une certaine utopie, a vu la création pendant une année d’un Etat sans règles ni lois, alors que le second développe, dans une vision cynique de notre société, un camp de concentration écologique, dont les habitants-volontaires travaillent 14 heures par jour, dégageant ainsi une rentabilité de 7,8 milliards d’euro par an. 
Faisant souvent fi des limites disciplinaires, de sécurité, du bon goût ou de la rectitude politique, le travail d’AVL relève à la fois de l’art contemporain, de l’architecture et des stratégies urbaines.
CVDP

Étiquettes

Sur ce sujet