Archives en péril
Les Acm dans le collimateur
Fusionner Archizoom et les Acm ? Pourquoi pas… si ce n'était pas uniquement dans le but de faire des économies. Dans ces conditions, le centre d'archives de l'ENAC-EPFL, créé en 1988, est en voie d'extinction.
Alors que le patrimoine est à l’honneur avec un nouveau prix à Genève et une exposition manifeste à Bâle, nous observons en réalité une série d’agressions contre la conservation: après l’ISOS cet été ou la CMNS genevoise cet automne, tous deux attaqués par les milieux immobiliers, il faut ajouter un autre acronyme parmi les cibles des technocrates : les Acm.
Les Archives de la construction moderne ont été créées en 1988. Le passé était alors à la mode et la mémoire collective considérée comme une source de réflexion cruciale pour les architectes et les ingénieurs. Aujourd’hui, ce sont plutôt les fusions qui sont à la mode.
En 2015, TRACÉS avait lancé une série d'articles écrits par Pierre Frey à partir des Archives de la construction moderne (ACM).
Sommée de faire des économies, la faculté ENAC de l’EPFL va réunir les Acm et Archizoom sur le plan administratif. Les précieuse archives gagneraient ainsi en visibiité. Voilà qui ne serait pas complètement insensé si, au passage, l’un des deux postes fixes (en l’occurrence, celui du directeur) n’était pas purement et simplement supprimé! Avec un seul poste pour assurer toutes les missions liées à la conservation, la gestion, l’acquisition, la mise à disposition, etc., l’institution ne pourra pas fonctionner longtemps. Et, comme les immeubles classés mais mal entretenus, on pourra la démolir sans trop de scrupules dans quelques années.
Les Acm jouent un rôle important: comme l’histoire se répète (on le ressent bien en ce moment), ses archives nous renseignent sur les solutions trouvées à des problèmes anciens, comme la domestication de l’énergie solaire (à voir actuellement à Archizoom) ou la doctrine contemporaine du «bon matériau au bon endroit», déjà théorisée avec une extrême cohérence par les Rationalistes (dans la dernière exposition montée par son directeur, Salvatore Aprea).
Mais les Acm assument avant tout une responsabilité vis-à-vis de la société: elles remplissent une mission scientifique de conservation d’un patrimoine composé de pièces à valeur artistique, d’information, de connaissance. Pour cette raison, le centre est inscrit à l’inventaire suisse des biens culturels d’im-portance nationale et régionale (PBC) et fait partie des objets à protéger en cas de conflit. Pourquoi, alors, lui faire la guerre ?
«Pas d’archives sans archivistes», réagit Irina Davidovici, qui dirige les archives du gta à l’ETH Zurich. Elle-même Senior Scientist, elle répète volontiers combien son activité théo- rique est intimement liée aux connaissances techniques, juri- diques, scientifiques, d’archivistes spécialisés qui l’entourent. Contrairement au milieu académique, où les postes changent rapidement, il faut des années pour apprendre à naviguer dans les milliers de références d’un centre d’archives.
Comme le reste de l’ETH Zurich, les archives du gta ont été touchées par d’importantes coupes budgétaires, mais leur raison d’être n’a jamais été remise en question. Outre l’acqui- sition, l’archivage et la mise à disposition de leurs collections, elles jouent également un rôle actif dans l’enseignement et la recherche. Les archives sont visibles et actives dans la vie du département d’architecture et de la profession. La vision de l’Institut gta (fondé en 1967), qui consiste à jeter un pont entre le passé et le présent, entre la théorie et la pratique, place l’his- toire au cœur des fondements de l’architecture. «Certains pré- fèrent se tourner vers l’avenir et ignorer le passé. Mais nous avons besoin de cette mémoire collective », conclut Davidovici.