Res­ter cri­tique

Éditorial Tracés 10/2025

La critique a-t-elle encore voix au chapitre? Le tour judiciaire que prend en France la querelle entre l'agence d'architecture ChartierDalix et l'enseignant-chercheur Mathias Rollot pourrait nous laisser penser que non... 

Date de publication
14-10-2025

C’est l’affaire qui a récemment mis en émoi le petit milieu de l’architecture française. Le 26 août 2025, le journal Le Monde1 révélait que Mathias Rollot, maître de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble, auteur notamment de Qu’est-ce qu’une biorégion (avec Marin Schaffner, Wildproject, 2021) et Comment décoloniser l’architecture (Le passager clandestin, 2024), était mis en examen pour diffamation publique à l’encontre de l’agence d’architecture ChartierDalix. Le premier avait étrillé la seconde dans un article publié en juin 2023 dans le journal en ligne lundimatin: «Architecture et greenwashing, ou comment biodiversifier le béton»2.

Dans cet article, Rollot a choisi ChartierDalix comme «exemple paradigmatique» du greenwashing auquel se livrent certaines agences, l’accusant simultanément d’insincérité dans l’engagement environnemental qu’elle affiche et d’usage abusif de subventions publiques au profit d’expérimentations que Rollot juge discutables, à l’image de la recherche sur une «vêture béton biodiversitaire»3.

L’article vaut ce qu’il vaut. Il a sûrement eu le mérite d’éclairer les lecteurs de lundimatin sur les pratiques de certaines agences. Après, dénoncer le greenwashing dans le milieu de l’architecture n’est pas vraiment une nouveauté et ne cibler qu’un seul bureau, quand d’autres – architectes, promoteurs, majors du BTP – font bien pire, relève d’un acharnement maladroit. Mais c’est de bonne guerre.

Que ChartierDalix l’ait mal pris, on peut le comprendre. Mais qu’ils attaquent l’auteur en justice semble totalement hors de propos, d’autant que l’impact objectif de cet article sur leur réputation et leur volume de commandes est sans doute proche de zéro. Pourquoi choisir la voie judiciaire et la diffamation plutôt que de se fendre, par exemple, d’un droit de réponse cinglant dans un journal à grand tirage? Par cette action en justice, les architectes refusent l’obstacle du débat public, alors même que, par l’exposition médiatique qu’ils recherchent, ils s’exposent, forcément, à la critique, quelle que soit sa qualité. 

Chez TRACÉS, nous croyons que la critique fait partie de la culture du bâti, qu’elle enrichit les réflexions et nourrit la pratique. Mais avons-nous toujours les moyens de nos ambitions? La mainmise des communicants sur la parole des acteurs publics et privés, les enjeux économiques générant de possibles conflits d’intérêts ou encore la complexification extrême des normes et processus qui réserve le débat aux spécialistes, rendent l’exercice de plus en plus délicat et pas exempt de contradictions. Lorsque nous discutons des résultats de concours par exemple – le choix du jury, la procédure, la qualité des projets non lauréats –, nous sommes régulièrement accusés de décrédibiliser cette formidable institution… Alors, peut-on encore dire ce qu’on pense? Ou faudra-t-il consulter un avocat chaque fois que nous prenons le clavier? Si nous ne sommes pas d’accord, parlons-en et ouvrons des discussions salutaires pour la profession!

 

Notes

 

1. Isabelle Regnier, «L’agence d’architecture ChartierDalix assigne en justice un chercheur pour diffamation», Le Monde, 26.08.2025

 

2. En accès libre ici. Depuis lors, une pétition en ligne circule: «Ne laissons pas censurer la critique architecturale». 

 

3. À lire ici

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