Ar­chi­tec­ture de jar­din

La Maison des Jardiniers à Thônex (GE) questionne la relation entre architectes et co-maîtrise d’ouvrage, ainsi que les étapes de conception pour la réalisation d’un projet aux allures de pavillon, qui abrite un programme multiple. Lien entre le territoire et les usagers, le projet compose avec l’existant et propose une nouvelle interprétation du site.

Date de publication
20-11-2023

La construction de la Maison des Jardiniers dans le nouveau quartier Belle-Terre1 a exigé du jeune bureau genevois Cabinet de se positionner comme interprète tout au long de sa réalisation. Lors du développement du plan localisé de quartier, aucun espace de maintenance destiné aux services de l’espace public de la Ville de Thônex n’avait été envisagé. C’est d’abord la Commune de Thônex qui évoque la possibilité de réaliser un pavillon; une idée bientôt soutenue également par les Services Industriels de Genève, le Département des Infrastructures de l’État de Genève et les Transports Publics de Genève, qui décident de se rassembler dans le but d’unir les différents programmes nécessaires sur la seule parcelle alors disponible: un lopin de terre en périphérie de la forêt de Belle-Idée. En raison de la diversité des besoins et des exigences techniques, l’ensemble des maîtres d’ouvrage décident alors de faire appel à Cabinet pour organiser le projet et évaluer le programme, qui consiste en un garage, un atelier, un réfectoire, une cour intérieure et leurs espaces servants. À l’issue de cette étude de faisabilité, les architectes participent à l’appel d’offres.

Histoire naturelle

La Maison des Jardiniers est conçue en dialogue avec la forêt de Belle-Idée, présente partiellement au nord du quartier. Le projet est autant architectural que paysager: une rangée d’arbres permet de créer une continuité visuelle avec la forêt et se transforme en clairière, articulant également les chemins qui longent le parcellaire qui relie la zone villas à l’ancienne forêt. Cette clairière, conçue en collaboration avec Oxalis architectes paysagistes, prolonge la présence de la forêt tout en mettant en valeur la flore du lieu. En effet, toutes les nouvelles essences plantées sur site ont été sélectionnées parmi les plantes indigènes les plus adaptées à la nouvelle réalité climatique. Elle offre un nouvel espace de loisirs ombragé ouvert aux résidents.

Des façades couleur ciel

Le volume du pavillon vient clore le cercle végétal par sa façade courbe, qui intègre une fontaine évoquant une nymphée2. À l’image des architectures de jardin d’Edwin Lutyens, qui bordent les parcs anglais, le projet de Cabinet retient ce caractère domestique et joue le rôle de point de repère dans le quartier. Cette fonction est renforcée par la présence d’une lanterne sur le toit, qui interpelle les passants et accentue le caractère figuratif du volume. L’échelle et la composition des façades suggèrent qu’il s’agit de la dernière maison de la zone bâtie. Comme une métaphore filée entre paysage et architecture, la façade en bois lasuré bleu prolonge le ciel et souligne l’ouverture de la clairière et la relation entre construction et éléments naturels3.

Un système de façade en accordéon, légèrement décollée du sol, donne la sensation de légèreté4. Ce revêtement d’apparence gracile contraste avec la minéralité et la volumétrie des logements collectifs du nouveau quartier. Les portes d’entrée sont différenciées simplement par l’utilisation d’un bleu plus intense, qui fait écho à la fontaine sur la façade courbe de la clairière. Cette tension géométrique entre différentes formes en façades se retrouve également dans les différentes ouvertures. Qu’ils s’agissent de fenêtres ou de portes latérales, celles-ci s’inscrivent dans un cadre blanc, effaçant les hiérarchies et la distinction des usages.

Cette volonté de détourner l’ordre de construction plus conventionnel se retrouve également dans le choix des matériaux à l’intérieur. La légère façade en bois habille en effet une série de robustes murs de brique en terre cuite. Une dalle de béton perforé repose sur un système de poutres en béton qui ressemble à une pergola et filtre la lumière zénithale qui éclaire tous les espaces. Le jeu des formes géométriques et des textures du volume s’allie à celui de la palette.

Abstraction figurative du plan

La relation entre le figuratif et l’abstrait, très présente dans la pratique de Cabinet, se retrouve également dans le plan en croix qui divise très simplement le volume en quatre espaces distincts. Chacun de ces espaces est pourvu d’un accès indépendant depuis l’extérieur. Ils sont également distribués par un hall central accessible uniquement depuis le réfectoire. Les espaces sont séparés par des bandes servantes qui reçoivent les sanitaires, locaux techniques, rangements et un bureau. Enfin, la Maison des Jardiniers accueille un réseau de distribution électrique de moyenne tension en sous-sol. On y accède depuis la façade nord-ouest, adjacente à l’allée de Belle-Terre. À l’intérieur de la croix, l’espace servant reçoit la lumière de la lanterne, seul élément vertical du bâtiment. L’originalité du plan réside dans la volonté d’offrir à chacun des maîtres d’ouvrage des espaces indépendants, aux qualités spatiales similaires, et qui répondent aux exigences de chacun.

Les architectes ont également donné un soin tout particulier aux finitions et aux détails. À l’intérieur du pavillon, les joints blancs des briques en terre cuite produisent un contraste. Cette recherche de dématérialisation et de légèreté se retrouve aussi dans le choix de peindre en rouge les intervalles entre les poutres, donnant l’illusion que le plafond serait comme une pergola posée sur des murs de clôture d’un jardin.

Interpréter un programme

Un bâtiment ne commence et ne s’arrête pas à ses murs. C’est un nœud, un champ complexe de relations sociales, de systèmes écologiques, de normes culturelles et d’histoires locales. Si l’on parle de rassembler, interpréter, dépasser et inverser pour décrire ce projet, c’est qu’il détourne un programme complexe en un objet plastique, une forme joyeuse et chaleureuse. Tout le monde est engagé dans ce projet, depuis la commune de Thônex jusqu’aux maîtres d’ouvrage, pour la conception d’un espace de travail agréable. Le projet dépasse également sa fonction utilitaire et propose un nouvel espace public pour le quartier. La Maison des Jardiniers n’est ici plus simplement vue comme la résolution d’un programme pratique, mais comme un tout. Les architectes y parviennent en proposant une architecture parlante, dont le langage, simple, s’offre aux interprétations de chacun.

Notes

 

1 Échelonné en trois phases, le projet du quartier Belle-Terre prévoit la construction de près de 2500 logements, des équipements publics, des surfaces d’activité et des nouvelles voies d’accès. La Maison des Jardiniers s’intègre dans la première phase mais prend en compte dans son organisation la réalisation de logements sur la parcelle adjacente prévue pour 2030. Voir aussi sur ce sujet Bâtisseurs suisses – Projets: Belle-Terre, espazium – Les éditions pour la culture du bâti, 2022

 

2 Un nymphée est un bassin recevant une source considérée comme sacrée et qui accompagne les parcours d’eau dans les grands jardins. Les architectes font référence à la Villa Barbaro (1550) de A. Palladio.

 

3 Les architectes font allusion à la célèbre phrase de Yves Klein: le bleu qui «rappelle la mer et le ciel, ce qu’il y a de plus abstrait dans la nature tangible et visible».

 

4 Cabinet fait référence ici également au travail de l’architecte danois Kay Fisker et ses projets fonctionnels dont la matérialité contraste avec cet aspect pragmatique de la résolution du projet. C’est aussi une architecture qui réagit avec son contexte de manière à ajouter de la légèreté.

Maison des Jardiniers, Allée Belle-Terre, Thônex (GE)

 

Maîtres de l’ouvrage
Commune de Thônex / Services Industriels de Genève (SIG) / état de Genève – Département des Infrastructures / Transports Publics de Genève (TPG)

 

Assistance à maîtrise d’ouvrage
Comptoir Immobilier

 

Architectes
Cabinet

 

Ingénieurs civils
ZS Ingénieurs civils

 

Ingénieurs CVSE
Amstein + Walthert Genève

 

Ingénieurs Thermique
Perreten et Milleret

 

Géomètre
Haller Wasser + Partner

 

Expert AEAI
Zanetti Ingénieurs Conseils

 

Architectes paysagistes
Oxalis architectes paysagistes

 

Réalisation
2019-2023

 

Surface de plancher
150 m2 hors sol / 145 m2 sous-sol

 

Coûts
CHF 2.1 mio

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