Do­co­mo­mo. Mu­ta­ti­ons d'u­ne or­ga­ni­sa­ti­on glo­ba­le

Depuis sa création en 1988, la stratégie et les objectifs de Docomomo, véritable think tank sur le patrimoine bâti du 20e siècle, se sont progressivement élargis. Le transfert du siège de Docomomo suisse au laboratoire TSAM l’automne dernier est l’occasion de revenir sur ses actions. Parole à trois membres du comité exécutif de Docomomo International.

Publikationsdatum
10-03-2016
Revision
11-03-2016

Docomomo (pour groupe de travail pour la DOcumentation et la COnservation des bâtiments du MOuvement MOderne, de leur site et de leur ensemble urbain) est une organisation à but non lucratif fondée en 1988 aux Pays-Bas et qui a évolué d’un petit groupe de spécialistes de la sauvegarde de quelques objets iconiques à une véritable organisation globale. Depuis la restauration du Sanatorium Zonnestraal de Jan Duiker qui fut à l’origine de la création de l’association1, son action s’est considérablement étendue. Docomomo, qui compte désormais plus de 70 groupes de travail nationaux, est tournée aujourd’hui vers un patrimoine plus vaste, qui inclut enfin la production du second après-guerre – y compris dans les continents asiatique et africain – et vise à promouvoir la réutilisation comme stratégie durable et porteuse d’innovation2. Les mutations théoriques qui sous-tendent les actions de Docomomo International ont été abordées dans le séminaire «Réhabilitation et réutilisation de l’architecture mouvement moderne» à Lisbonne en 2015.

La définition même de mouvement moderne – qui est bien plus qu’un langage architectural universel souvent identifié avec un style international – a été ajustée au fur et à mesure de l’ouverture du débat à d’autres pays. Nous sommes désormais conscients que le mouvement fut motivé par un désir d’améliorer la qualité de vie de la population et d’imaginer un avenir idéal, combinant innovation architecturale et technologique. Repenser radicalement les méthodes établies d’organisation de l’espace et celles du projet d’architecture signifiait avant tout répondre aux paradigmes d’une société en pleine mutation.

Ainsi, au lieu de vérifier l’universalité d’un vocabulaire et d’une pensée rationnels, Docomomo International a concentré ses recherches sur l’adaptation des idées du mouvement moderne à différentes cultures et climats. Comme en témoignent les contributions de la conférence internationale «Autres modernismes» qui s’est tenue en Turquie en 20063, le paradigme du mouvement moderne a changé, intégrant l’ensemble des expressions plastiques très hétérogènes que ce mouvement a adoptées.

Depuis 2011, seize nouveaux groupes de travail ont rejoint Docomomo International, provenant de Chine, d’Angola, du Koweït ou d’Israël, chacun avec ses particularités et ouvrant des champs d’action très divers. En Chine, par exemple, le développement économique et commercial vertigineux a conduit à une expansion des centres urbains qui est à la fois un facteur de développement et une menace sur le patrimoine bâti par la dimension spéculative de certaines opérations4. Dans les pays du Moyen-Orient, où l’on observe une polarisation entre la culture islamique et la culture occidentale, les bâtiments modernes sont souvent considérés comme des symboles de l’Occident, vus non pas comme des témoins du passé, mais comme des traces à effacer. Enfin, dans des pays tels que l’Angola et le Mozambique5, où le mouvement moderne a eu un développement particulièrement créatif, les bâtiments qui ont été principalement utilisés par une minorité blanche sont identifiés à une histoire coloniale problématique. Dans ces contextes, sensibiliser à l’importance de ce patrimoine par sa valeur artistique et sociale, dans le respect des spécificités culturelles, constitue l’un des objectifs de Docomomo.

Cet élargissement géographique – et donc culturel – correspond aussi à une extension des critères d’appréciation des œuvres modernes. Depuis le début du 21e siècle, l’ambition de Docomomo est en effet non seulement de protéger les exemples les plus remarquables, mais de se référer aussi aux enjeux de l’architecture contemporaine, qui reconnaît à juste titre le thème de la réutilisation comme une priorité. Le recensement des bâtiments et des sites modernes de valeur exceptionnelle qui a été l’une des priorités de l’association dès sa fondation va donc s’étendre à une production à caractère plus ordinaire, susceptible d’être réutilisée. Cette volonté relève aussi d’un constat général : de manière très pragmatique, dans un contexte de crise économique, préserver le bâti existant signifie aussi une économie des ressources matérielles – y compris en relation avec la question du recyclage des déchets de démolition. Elle convoque de multiples thématiques qui sont au centre des réflexions actuelles, de l’adaptation à un nouveau programme à la remise à niveau des exigences de confort, de l’amélioration de l’efficacité énergétique au renforcement sismique dans des zones particulièrement sensibles. Parmi les axes porteurs de l’organisation, le thème de la réutilisation a d’ailleurs été approfondi dans un numéro monographique récent du Docomomo Journal6 et sera à l’honneur de la prochaine conférence internationale qui se tiendra à Lisbonne en septembre7.

La sauvegarde du patrimoine ne consiste pas à créer une entropie et à entraver le développement de la ville contemporaine, mais à tirer profit des leçons du passé, intégrant une architecture aux qualités intemporelles dans les changements inévitables du mode de vie actuel. Autrement dit, faire un usage rationnel des ressources disponibles passe aussi par la préservation et la réutilisation du patrimoine bâti. Cette approche, amplement partagée au sein de l’organisation, a donné l’impulsion à la création d’un nouveau comité scientifique international ad hoc, le ISC/Sustainability8.

La sauvegarde du patrimoine moderne n’est pas une science établie mais intègre au contraire les mutations culturelles d’un monde en perpétuelle évolution. Depuis la création de Docomomo il y a vingt-huit ans, des réflexions approfondies et un travail d’envergure conjuguant pratique et recherche ont engendré des résultats remarquables. A l’heure du renouveau de l’organisation, il est aussi question de partager le travail accompli. La diffusion en ligne des archives établies au fil des ans par les sections nationales répond à cet objectif. La Docomomo virtual exhibition© – MoMove9, se veut une interface virtuelle en libre accès qui rassemble les informations sur les bâtiments (dates, architectes, conditions actuelles, coordonnées GPS), enrichie par de nombreux fichiers multimédia. Ce projet innovant qui regroupe la documentation collectée dans de nombreux pays vise à donner un aperçu de la richesse et de la diversité du patrimoine du 20e siècle, une production vaste et diversifiée qui mérite une attention particulière dans l’univers de la pratique du projet d’architecture.

 

1. Dennis Sharp, Catherine Cooke (dir.), The Modern Movement in Architecture. Selections from the Docomomo Registers, Rotterdam, 010 Publishers, 2000.

2. «Join the Plea for Sustainable Modernity», in Ana Tostões (dir.), Docomomo Journal, n° 52, monographique Reuse, Renovation and Restoration, Lisbonne, Docomomo International, 2015.

3. Yildiz Salman, Theodore Prudon, Katherine Malishewsky (dir.), Other Modernisms, Proceedings of the 9th International Docomomo Conference, Istanbul and Ankara, docomomo Turkey, 2006.

4. Ana Tostões, Jong Soung Kimm, Tae-woo Kim (dir.), Expansion & Conflict, Proceedings of the 13th Docomomo International Conference, Seoul, Docomomo Korea, 2014.

5. Ana Tostões, Modern Architecture in Africa : Angola and Mozambique, Lisboa, Caleidoscopio, 2014.

6. Docomomo Journal, n° 52, 2015, op. cit.

7. 14th International Docomomo Conference website: www.docomomo2016.com

8. Docomomo Journal, n° 44 – Modern and Sustainable, Lisboa, Docomomo International, 2011.

9. Docomomo virtual exhibition: http://exhibition.docomomo.com

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