Évo­lu­ti­ons ur­bai­nes des ter­ri­toires de mon­tagne avec Na­tha­lie Luy­et

À l’heure d’une prise de conscience des défis environnementaux, comment les nouveaux outils de la planification territoriale contraignent-ils les territoires de la moyenne montagne à s’adapter? De l’héritage d’une planification libérale à l’impact de la déprise agricole et de l’exode rural, tour d’horizon avec l’architecte et urbaniste Nathalie Luyet sur l’avenir souhaitable des petites urbanisations de la moyenne montagne.

Publikationsdatum
20-09-2023

Laurence Crémel et Mathilde de Laage: Comment la situation des villages de la moyenne montagne évolue-t-elle pour relever les défis suite à l’entrée en vigueur de la loi cantonale sur l’aménagement du territoire (LcAT) en avril 2019?

Nathalie Luyet: On est actuellement dans le vif du sujet. Les communes sont amenées à réviser leurs plans d’affectations et leurs périmètres d’urbanisation. Cette révision de la loi cantonale sur l’aménagement du territoire, acceptée par référendum en 2017, est importante pour le canton du Valais qui a refusé coup sur coup la Lex Weber en 2012, puis la nouvelle LAT en 2013. Les obligations d’augmenter la densité de 0.25 à 0.6 dans des zones d’habitats individuels, de réduire les zones à bâtir de certaines communes et de mettre en œuvre le système de zones réservées pour les 30 prochaines années sont peu à peu intégrées par la population comme une possibilité d’agir contre le mitage des territoires de la moyenne montagne. Quelques petits logements collectifs commencent à arriver dans les cœurs des hameaux. Certes, les propriétaires opposent une résistance, le temps pour eux de sortir du réflexe de construire 100 m2 sur une parcelle de 2500 m2. Mais cette adaptation ne se fera pas sans eux, c’est évident.

Une résistance? Le tourisme hivernal aurait-il favorisé une planification laxiste sur ces territoires, accélérant le mitage?

1400 m, c’est le départ des téléphériques des stations et des pistes de ski qui étaient sur les terres agricoles. Avec la remontée de la limite pluie-neige, la recherche de la neige pour le ski s’est effectuée plus haut en altitude. Mais ce n’est pas l’unique raison. Lors de l’entrée en vigueur de la LAT le 1er janvier 1980, le paradigme était encore celui de la modernité et de l’insouciance de consommer pour satisfaire les loisirs de masse, malgré la montée en puissance des préoccupations environnementales à l’époque. Sans la construction, il n’y avait pas d’emploi car les gens ne pouvaient plus vivre uniquement des revenus de l’agriculture de montagne.

Comment la réforme agricole des années 2000 a-t-elle impacté l’agriculture de montagne?

Avec la fin des subventions de l’agriculture subventionnée, la réforme Agriculture 2000 a poussé les agriculteurs à devenir des chefs d’entreprises. En Valais, où la pente et les conditions climatiques difficiles ne permettent pas d’accroître les rendements, cette réforme a engendré un tournant pour cette agriculture de montagne. Ceux qui cultivaient en zone à bâtir ont arrêté et vendu aux promoteurs. Ils auraient pu faire des droits de superficie, rester propriétaires de leur terrain tout en permettant ce nouvel usage sur leur terrain, mais cela s’est très peu fait. Dans les villes qui ont poussé à la montagne, comme Crans-Montana ou Verbier, les gens ont vendu leur terrain; aujourd’hui, ils n’ont plus les moyens d’y habiter. Dans ces grandes stations, ce sont majoritairement des résidences secondaires. La dynamique est différente dans des villages proches de la nature comme la Fouly, les Marécottes, la Forclaz ou Evolène, où la nouvelle population appartient à la Silver Economy, ces retraités qui ont quitté la ville pour la montagne afin d’y trouver la qualité de vie à laquelle ils aspiraient. Même les communes n’ont pas préservé leur foncier et continuent de vendre aux promoteurs immobiliers. Ce qui est très dommageable, car le foncier est un élément stratégique pour activer une politique publique et poursuivre une résilience nécessaire face au changement climatique.

Quelles formes prend la conscience écologique dans ces territoires de la moyenne montagne?

La conscience écologique selon laquelle le sol est un bien précieux à préserver n’était pas vraiment un sujet avant l’avènement de la loi sur la protection de l’environnement (LcPE) et de celle sur la protection de la nature, du paysage et des sites (LcPN) dans la deuxième moitié du 20e siècle. Le clivage reste assez important en Valais, car c’est un canton majoritairement de propriétaires. Et le droit de la propriété est le droit le plus puissant en Suisse. Il ne s’agit pas de dire que tous ces villages doivent être entièrement dessinés ou repensés par des projeteurs ou des concepteurs. Dans toute ville ou village, il y a des verrues, des chefs-d’œuvre et des choses de l’ordinaire. Il convient plutôt de réguler l’explosion des constructions de maisons individuelles, avec la révision des plans. Le plus important est que les gens prennent conscience de la valeur du paysage et de la biodiversité. Les gens ne détruisent pas du paysage ou de la nature par plaisir; ils n’ont simplement pas encore conscience de leur valeur pour les apprécier. La CPc-VS est un outil qui permet de donner un référentiel car aujourd’hui, on se bat contre le réflexe du «propre en ordre» incarné par les sols imperméables et des jardins en chaille.

La préservation des territoires de moyenne montagne passe aussi par le refus d’étendre les domaines skiables. Les communes de Saint-Martin et de Eison avaient présenté une demande de concession pour un nouveau domaine skiable qui leur a été refusée. Une décision qui a pu être vécue comme une catastrophe à court terme, mais sera salutaire à long terme car ils ont développé leurs activités touristiques autour de la culture du terroir et obtenu le prix CIPRA. Le regard critique sur notre manière d’occuper la moyenne montagne force à freiner les usages. Cette pensée de la décélération doit irriguer la manière de vivre en montagne. Si on pense aux principes de l’économie circulaire, prendre le temps, c’est arrêter de croire à la chimère que l’on peut tout faire vite; dire que le temps c’est de l’argent, c’est un principe de consommation… Ce sont des territoires sous pression car les activités se concentrent sur une petite portion du territoire communal à cause de l’altitude et du relief.

Quel est l’avenir souhaitable pour ces petites urbanisations de moyenne montagne?

Ces villages doivent trouver des dynamiques se basant sur l’accès aux services et biens de première nécessité dans de courtes distances. L’essentiel de leur avenir est là, dans le maintien des espaces communs et dans la qualité d’un espace de marchabilité. Assurer la continuité de cet espace nécessite d’équiper les villages d’un vrai plan piéton pour restreindre davantage la place de la voiture, car 1400 m, c’est une altitude qui lui est encore accessible. Sortir du tout à la voiture, c’est aussi s’appuyer sur le réseau des nombreux chemins de traverses existants et prévus pour le quotidien. Les chemins de randonnée, recensés par le Canton dans son plan directeur contraignant les communes à les entretenir, étaient historiquement des chemins d’usages pour l’inalpe, pour emmener les troupeaux dans les pâturage en altitude. Les familles ont toujours eu plusieurs maisons pour le remuage: elles montaient les étages alpins pour la pâture du bétail et les redescendaient à l’hiver. À l’époque, la vie du village était importante et maintenue par l’épicerie, le bistrot, le guérisseur et l’église… Sans ces services de première nécessité, certains villages périclitent aujourd’hui et deviennent progressivement des villages dortoirs sans aucun commerce. L’intercommunalité est aussi d’une grande aide pour mutualiser les services publics. Il faudrait l’étendre à tous les services, surtout celui de la santé. Elle représente une richesse dans laquelle les communes devraient investir et faire fi de leurs rivalités.

Nathalie Luyet est architecte et urbaniste à Savièse, fondatrice de Linkfabric en 2017. Elle a été présidente de l’association Altitude 1400 de 2017 à 2022.

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