Re­mi­se en état du Grand-Pont à Lau­sanne

Ouvrage emblématique de Lausanne construit en 1844, le Grand-Pont est la principale liaison est-ouest de la ville. Il a été élargi en 1891 avec une charpente métallique, remplacée par des encorbellements en béton en 1933. Ces derniers se sont dégradés et ne satisfaisaient plus aux exigences des normes. Urgente, la remise en état du Grand-Pont s’est déroulée durant l’année 2022.

Publikationsdatum
02-12-2022

La topographie de Lausanne est modelée par deux cours d’eau, le Flon et la Louve, qui entourent la colline de la Cité pour se rejoindre à la place Pépinet. Puis, ensemble, ils tournent autour du barrage molassique de Montbenon pour aller se jeter dans le Léman à Vidy. Dans cette topographie tourmentée, la ville est située au carrefour de grands axes commerciaux venant de France, d’Italie et d’Allemagne, avec les routes de Vevey, d’Oron, de Moudon, d’Yverdon et d’Orbe. Elle a depuis longtemps formé un goulet d’étranglement avec ses rues tortueuses et pentues.

C’est l’ingénieur cantonal Adrien Pichard (lire l'encadré ci-dessous) qui s’attache le premier à désengorger la ville avec une ceinture périphérique sur laquelle viennent se connecter les grandes routes comme décrit par Paul Bissigger1 et Philippe Gasser2. La ceinture Pichard, telle que dénommée, propose de créer une circulation périphérique qui entoure la cité médiévale avec de nouvelles voies de circulation hors de ses murs. Elle nécessite le franchissement de l’éperon molassique de la Barre, avec le tunnel éponyme, et un pont sur le Flon : le Grand-Pont. À cette époque, le projet est sujet à controverse car les autres villes du canton estiment qu’on se préoccupe trop de la capitale vaudoise, qui ne compte alors que 13 000 habitants.

Le pont à voûtes multiples de 1844

Pichard travaille sur le projet du Grand-Pont à partir de 1835. Il élabore des variantes sur plusieurs emplacements avec différents tracés. Il étudie différents types de ponts, portées, formes de voûte, et envisage des ouvrages sur un ou deux niveaux. Le projet retenu est un pont à voûtes multiples en maçonnerie sur deux niveaux avec six voûtes au niveau inférieur et 19 voûtes au niveau supérieur. L’ouvrage a une longueur totale de 172 m et une hauteur maximale de 25 m au-dessus de la rivière du Flon. Les voûtes sont en plein cintre, toutes similaires, avec un entraxe de 9 m et une ouverture de 7,20 m. Le tablier a une largeur de 10,70 m, avec 6,60 m de chaussée et un trottoir de 1,40 m de chaque côté.

En 1838, le projet définitif de Pichard est adopté d’extrême justesse par le Grand Conseil et le mandat de réalisation lui est confié. Deux experts sont nommés : Charles-Bernard Mosca – ancien élève de Polytechnique, alors établi à Turin – et Alois Negrelli, ingénieur expérimenté, auteur à Zurich du Münsterbrücke. Pour les démarches juridiques, notamment les procédures d’expropriation, Pichard se fait aider par l’architecte Henri Perregaux.

Très peu de documents issus de la construction ont été conservés. Il est toutefois reporté que des cintres en bois ont été utilisés pour réaliser les voûtes en plein cintre. Ceci est attesté par les impostes en pierre de taille que l’on distingue encore à l’amorce de chaque voûte. Les voûtes sont en pierre de Meillerie (Haute-Savoie, F) avec des parements en pierre de Fenalet (VD). Les piles sont en maçonnerie de moellons avec, à l’intérieur, un remplissage de pierres cassées, d’éclats, de mortier et de chaux. Le mortier de chaux a été consolidé localement avec du mâchefer ou des restes de tuiles. Les eaux de ruissellement sont quant à elles évacuées par des gargouilles passant sous les trottoirs au droit de chaque pile.

La première pierre du pont est posée le 11 avril 1839. Le 22 juillet 1841, Pichard, malade, obtient du Canton un congé illimité. Il meurt trois jours plus tard. C’est William Fraisse, qui succède officiellement à Pichard comme ingénieur cantonal, et l’architecte Henri Perregaux qui poursuivent le suivi de la construction du Grand-Pont. Après la disparition de l’ingénieur vaudois, la question de la balustrade devient une affaire d’État. À l’époque, Pichard avait proposé une balustrade métallique alternant avec des dés en marbre. L’expert Negrelli a quant à lui développé une corniche plus élaborée, pourvue de consoles galbées et surmontées d’une balustrade métallique continue, à arceaux entrecroisés. Fin mars 1843, le Conseil d’État tranche et choisit le projet de Negrelli, en intégrant des bahuts en marbre de Saint-Triphon placés au-dessus de chaque pile. Entre ces bahuts, la balustrade est en fonte et se compose de quatre panneaux appuyés sur trois montants.

Le Grand-Pont est ouvert au public le dimanche 6 octobre 1844 sans cérémonie particulière, car Henry Perregaux ne souhaitait pas que la foule le franchisse et ne charge trop l’ouvrage dont les joints étaient récents. Une limitation qui illustre le manque de maîtrise de la statique de la voûte à l’époque, car on sait aujourd’hui que l’effet des utilisateurs est négligeable par rapport à celui du poids propre de la maçonnerie.

Il est intéressant de noter que le coût de construction s’élève à 407000 CHF, dont environ 32% à la charge de la Ville et 68% à la charge du Canton.

La contribution de Pichard a été déterminante dans le sens où il a proposé la création d’une ceinture pour désengorger la ville, comprenant entre autres la construction du Grand-Pont. Il a choisi de construire un pont avec de petites voûtes en utilisant de simples moellons afin de limiter les coûts. Dans ses réflexions fonctionnalistes, il a anticipé l’évolution du Grand-Pont en disposant deux niveaux de voûtes, avec un niveau inférieur à peu près au niveau actuel de la place Pépinet, facilitant le comblement de la vallée du Flon. De même, il a percé les piles avec des voûtes transversales, créant une communication longitudinale sous le Grand-Pont dans l’idée d’y disposer des échoppes. Même si ces échoppes n’ont pas été utilisées en tant que telles, cette liaison facilite de nos jours l’utilisation de l’espace sous le Grand-Pont. Comme rappelé par Paul Bissigger, cet ouvrage initialement appelé «pont neuf» et « pont de Pépinet » prend le nom de «pont Pichard» à la suite d’une pétition de citoyens et d’une campagne de presse menée en 1845 par le Nouvelliste vaudois. C’est durant le premier quart du 20e siècle que cet imposant ouvrage prend définitivement le nom de «Grand-Pont».

Élargissement avec encorbellement métallique de 1891

À la suite d’une épidémie de choléra et en raison de l’urbanisation croissante de la ville, le cours d’eau du Flon est progressivement canalisé. Les travaux de comblement de la vallée du Flon s’intensifient avec l’utilisation de déblais résultants de la construction du funiculaire Lausanne – Ouchy. Les voûtes inférieures du Grand-Pont sont enfouies en 1873, de sorte que la hauteur visible de l’ouvrage est réduite de 25 m à 13 m.

Au vu de l’accroissement du trafic et de la volonté d’installer une ligne de tramway au centre-ville, le département des travaux publics dresse un projet d’élargissement du Grand-Pont avec des encorbellements métalliques, qui ne fait pas l’unanimité. Un concours d’esquisse est alors lancé en 1875. Plusieurs projets sont déposés, mais aucun ne répond aux attentes du département des travaux publics. Après plusieurs développements, le projet de Jules Gaudard, professeur à l’École d’ingénieurs de Lausanne, est choisi en 1887. Il propose un encorbellement métallique qu’il décrit dans le Bulletin de la société vaudoise des ingénieurs et des architectes3. L’élargissement est important puisque la largeur du pont atteint 12,90 m, comprend une largeur de chaussée de 6,60 m et deux trottoirs de 3,15 m. La partie en encorbellement est réalisée avec une double console métallique disposée au-dessus de chaque pile. Elle est composée d’un fer Zores en traction, d’un arceau métallique inférieur et de diagonales. Le fer Zores est une poutrelle dont la hauteur statique est le double de sa largeur ; elle est repliée et ancrée avec un massif d’ancrage en béton coulé en place. La chaussée, constituée de briques posées sur une dalle en béton, est supportée par des poutrelles métalliques à treillis qui s’appuient sur les consoles. Les garde-corps d’origine, les gargouilles, les consoles et les bahuts en pierre de taille sont remplacés par de nouveaux garde-corps en fonte, mesurant 1,10m de haut et dessinés par Jules Gaudard. Les travaux débutent en 1891; ils ont été réalisés à l’aide d’une grue mobile disposée sur la chaussée. Elle a été utilisée pour démonter la balustrade ainsi que les bordures en pierre, et a permis de poser la structure métallique qui avait été montée en atelier.

Élargissement en béton armé de 1933

Au début des années 1930, l’état de la chaussée, des voies de tram et des consoles métalliques impose des travaux de réfection. La Ville en profite pour élargir à nouveau le pont, qui atteint une largeur de 15,36 m, avec une chaussée de 8 m, un trottoir de 3 m au sud et de 4 m au nord. La chaussée se trouve alors désaxée de 50 cm par rapport à l’axe des maçonneries.

L’encorbellement en charpente métallique a été remplacé par des encorbellements en béton. Ils sont réalisés avec des sommiers en béton armé placés à travers le pont dans le même rythme que les consoles métalliques précédentes et disposés avec un espacement de 3 m au-dessus des piles et de 6 m au-dessus des voûtes. Les sommiers se prolongent de 2,70 m en dehors des murs tympans et sont recouverts d’une dalle en béton, dont l’extrémité est constituée d’une bordure, également en béton. L’ensemble est coulé en place, ce qui a nécessité la construction d’un cintre fixe avec de nombreuses tours d’étayage. Des joints de dilatation ont été mis en place tous les 27 m afin de limiter les efforts dus aux retraits et aux variations de température. Au droit de chaque joint, les sommiers transversaux sont dédoublés.

Depuis 1933, l’exploitation du pont n’a pas rencontré de problèmes particuliers. Il est noté qu’en 1986, les balustrades ont été repeintes et l’étanchéité des trottoirs a été refaite. Puis, en 1994, les joints de parement ont été remplacés sur la totalité de la maçonnerie. En 2003, un grave accident se produit sur le Grand-Pont : un conducteur s’engage sur le trottoir et fauche onze passants, tuant trois personnes, avant de s’écraser en contrebas. Deux montants des garde-corps sont sectionnés sous le choc. Une mesure de confortation provisoire est prise, en disposant un câble longitudinal entre les différents panneaux pour les lier. En 2005, un concours est lancé pour le remplacement des garde-corps. Le projet des architectes bernois Schenker, Stuber & von Tscharner et des ingénieurs du bureau Bächtold & Moor remporte le premier prix.

Inspections et investigations de 2020: l’urgence des travaux

Une campagne d’inspection et d’investigations réalisée par le bureau Ingphi en 2020 a montré que les dégradations des encorbellements en béton s’étaient accélérées. En effet, en 2011, l’ouvrage était classé en état 2 à 3 (état acceptable à détérioré) selon la classification OFROU4 et en 2020, il a été classé en état 3 à 4 (état détérioré à mauvais état). Les sommiers transversaux doubles, de même que les dalles en béton armé, ont été classés en état 4 à cause des éclatements de béton et de la corrosion avancée de nombreuses barres d’armature.

Une défaillance globale de l’étanchéité de la dalle et du système de récupération des eaux de chaussée a provoqué des venues d’eau dans les maçonneries, dissolvant leurs joints et conduisant à des désolidarisations de moellons. Les vérifications statiques des encorbellements et des garde-corps ont également mis en évidence des non-conformités structurelles majeures. L’urgence des travaux de remise en état était avérée, de sorte qu’ils ont été planifiés pour 2022.

Avant les travaux, une sécurisation provisoire a été mise en place avec l’installation de Variogard sur les trottoirs pour empêcher les véhicules d’y circuler. Des filets de protection ont été également tendus sous les voûtes afin d’éviter des chutes de joints qui se désolidariseraient.

2022: remplacement de la dalle

Le projet de réfection du Grand-Pont consiste à démolir les encorbellements en béton de 1933 et la dalle de chaussée et à les remplacer par une nouvelle dalle en béton précontraint, disposée sur l’ensemble des 19 voûtes. L’estacade, située dans la prolongation en direction de la place Bel-Air, est renforcée. La nouvelle dalle a été conçue pour reposer au-dessus des voûtes en maçonnerie, afin de les protéger, tout en les mettant en valeur visuellement sans en perturber le rythme. En effet, toutes les entretoises transversales sont supprimées.

Ce nouveau tablier est composé d’une dalle continue et lisse, qui prend appui sur les voûtes en maçonnerie existantes et se prolonge en porte-à-faux de part et d’autre des murs tympans pour se terminer par de fines bordures de rive en composite cimentaire fibré ultra-performant (CFUP). La dalle est en béton armé et elle est précontrainte transversalement chaque mètre par un câble 3T15. Ainsi, le tablier reprend les charges de mobilité douce et les charges de trafic routier accidentel. Il permet également de supprimer les nombreuses venues d’eau observées dans les voûtes en maçonnerie et, ainsi, de les préserver. Le nouveau tablier couvre l’intégralité de la surface de l’ouvrage, avec une longueur de 172 m et une largeur variable. En partie courante, la dalle a une largeur totale maximale de 15,30 m avec deux porte-à-faux de 2,70 m. L’épaisseur de la dalle varie entre 25 et 38 cm au droit des sections d’encastrement des porte-à-faux. Elle est séparée en deux voies de circulation de 4 m de largeur et de deux trottoirs. Une bordure bouteroue en gneiss de 20 cm de hauteur sépare la voie de roulement des trottoirs, permettant de s’affranchir de glissières de protection.

La dalle est étanchée avec une couche de CFUP sur l’ensemble de la surface. Cette couche vient se lier aux deux bordures d’extrémités, également en CFUP, dans un souci de continuité de matériaux. La chaussée est revêtue d’un asphalte coulé puis d’une couche d’enrobé. Dans la zone des trottoirs, c’est un béton fibré qui a été mis en place avec, par-dessus, une couche d’enrobé. Le tablier du pont se découpe autour des bâtiments existants pour en être totalement délié statiquement. L’écoulement de l’eau est assuré par un dévers transversal en toit de 2,5 à 3,7 % et une contre-pente entre 2,5 % et 3 % sur les trottoirs. La pente longitudinale est faible et varie entre 0,33 ‰ et 0,92 ‰.

Bordures de rive

Les fines bordures en CFUP qui terminent la dalle de roulement garantissent une grande durabilité : aspect important de ces parties d’ouvrage particulièrement sensibles car exposées aux sels de déverglaçage. De plus, l’utilisation du CFUP permet de les affiner et d’offrir une vision extérieure de l’ouvrage plus légère.

L’ouvrage étant inscrit à l’inventaire des monuments historiques, le projet a été accompagné par les Services du patrimoine de la Ville de Lausanne et du Canton de Vaud. L’ensemble bordure, garde-corps, candélabre, porte-drapeau et mâts TL a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs variantes modélisées en 3D sur un tronçon de pont afin d’arriver à satisfaire toutes les exigences dans un dessin. Ainsi, les bordures sont conçues avec des faces supérieures biaises, afin d’obtenir un effet dissuasif vis-à-vis des suicides. Elles sont également taillées en biais sur la face intérieure, pour que le piéton puisse sentir ce changement de pente. La perception de la bordure est affinée en arrondissant la partie inférieure, de sorte que la face supérieure en biais ressorte à la lumière et la partie arrondie disparaisse dans l’ombre. Finalement, elle est lissée en recouvrant le coffrage d’une couche en PVC.

Au niveau de la réalisation, les bordures ont été bétonnées sur place par étapes de 27 m (Ill. G). Le niveau du couronnement est calé pour être taloché lors du bétonnage. La bordure CFUP est prolongée sur l’estacade et le mur côté Bel-Air afin d’obtenir une ligne continue (Ill. H).

Garde-corps

Les garde-corps existants, construits en 1891 lors du premier élargissement du Grand-Pont, font partie du vécu des Lausannois et possèdent une grande valeur patrimoniale. Ils sont composés de montants en fonte entre lesquels sont glissés des panneaux en fer forgé. Contrairement au résultat du concours qui prévoyait de remplacer les garde-corps existants, ils ont été conservés grâce à la mise en place de bordures bouteroue et la volonté de préserver leur valeur patrimoniale. Des essais en laboratoire ont été entrepris afin de déterminer les caractéristiques mécaniques des différents éléments constitutifs de ces garde-corps. Il s’est avéré que les panneaux en fer forgé pouvaient être conservés, alors que les montants et les candélabres devaient être remplacés, car la qualité de la fonte qui les compose ne permettait plus de répondre aux normes actuelles.

Ainsi, l’ensemble des panneaux des garde-corps a été restauré. Ils ont été relevés, répertoriés, démontés, sablés, renforcés, revêtus d’une protection contre la corrosion, peints et remontés. Les montants et candélabres ont été moulés à neuf avec une fonte grise sphéroïdale. La géométrie des nouveaux montants est sensiblement identique à celle des montants existants.

Les candélabres ont été redessinés afin de créer un espace lumineux spécifique au Grand-Pont. Ils sont disposés en prolongation des montants et possèdent une forme organique avec deux bras, terminés chacun par une vasque. Leur géométrie rappelle le dispositif d’éclairage historique à deux branches de 1891 (Ill. B) et s’accorde avec les motifs floraux des panneaux de garde-corps, tout en apportant une touche de modernité.

Réfection de la maçonnerie

Dans le cadre des travaux de 2022, la réfection de la maçonnerie des voûtes a consisté à restaurer les intrados des voûtes et des piédroits et réparer les joints.

La réparation des joints est effectuée avec un mortier bâtard de ciment chaux et sable lavé. Les joints sont refaits à l’identique, en différentiant les joints affleurés en intrados des voûtes, les joints saillants à largeur régularisée (joints rubanés) sur les tympans et les joints lissés en retrait sur la partie de l’estacade dans la continuité du Grand-Pont côté Bel-Air.

Les intrados des voûtes et des piédroits ont été assainis par hydrogommage. Cette technique consiste à projeter un sable dont les grains sont anguleux et ont une dureté importante afin de décaper les couches de calcite déposées par les ruissellements d’eau à travers la maçonnerie. Cette technique a été utilisée car elle permet de limiter le volume d’eau projeté contre la maçonnerie.

Gestion du trafic

La réalisation des travaux de réfection a conduit à fermer le Grand-Pont pendant près d’une année, afin de réaliser les travaux rapidement et de manière économique. Pour ce faire, des itinéraires de déviation pour le transport individuel motorisé ainsi qu’un réseau spécifique pour les bus des Transports lausannois (TL) ont été mis en place. Pour permettre une liaison piétonne sans dénivellation entre les collines de Saint-François et de Saint-Laurent, une passerelle provisoire a été montée au-dessus de la rue Centrale – clin d’œil à celle de l’élargissement de 1930
(Ill. C).

Le tablier du Grand-Pont aura ainsi été reconstruit trois fois, depuis 1844. Sa largeur a augmenté de 50 %, principalement au profit de la mobilité douce. Ceci nous rappelle le caractère non permanent de nos ouvrages. Comme ils se dégradent avec le temps, ils doivent être remis en état, transformés et modernisés pour de nouvelles utilisations.

La modernisation du Grand-Pont est un bel exemple de chantier à la fois urbain, structurel, patrimonial et logistique ; un travail d’équipe requérant des compétences multiples.

Notes

 

1. Bissegger Paul, Ponts et pensées, Adrien Pichard (1790-1841) : premier ingénieur cantonal, Bibliothèque historique vaudoise, 2019

 

2. Gasser Philippe, « Adrien Pichard, ingénieur et premier urbaniste de Lausanne », Ingénieurs et architectes suisses, 20, 1988

 

3. Gaudard Jules, « Élargissement du Grand-Pont de Lausanne », Bulletin de la société vaudoise des ingénieurs et des architectes, 1895

 

4. Directive OFROU, Surveillance et entretien des ouvrages d’art des routes nationales, OFROU, 2005

Adrien Pichard (1790-1841), ingénieur cantonal de l’État de Vaud

 

Gabriel-Marc-Adrien Pichard a eu un rôle particulier dans le développement de la ville de Lausanne et du canton de Vaud, comme le décrit bien le livre de Paul Bissigger qui est partiellement repris dans ce qui suit (Ponts et pensées, Adrien Pichard (1790-1841) : premier ingénieur cantonal, Bibliothèque historique vaudoise, 2019).

Il naît à Lausanne le 30 juin 1790 et, dès l’âge de 13 ans, il suit l’Académie de Lausanne et se forme très tôt au dessin et à l’architecture avec des stages chez l’architecte lausannois Jean-Abraham Fraisse.

La formation de Pichard se poursuit à Paris, grâce à l’Acte de Médiation imposé en 1803 par Napoléon. En effet, un article de cet accord lui sera favorable : « Il pourra être admis, sur la présentation du Landammann de la Suisse, vingt jeunes gens de l’Helvétie à l’École polytechnique de France, après avoir subi les examens prescrits par les règlements sur cette partie ». Après une intense préparation, c’est Adrien Pichard qui est le premier élève suisse sélectionné ; il se place 36e (sur 144) au classement général de tous les nouveaux étudiants de l’École polytechnique.

En 1807, Pichard quitte Lausanne pour Paris où il étudie d’abord à l’École Polytechnique de Paris puis obtient un diplôme de l’École des Ponts et Chaussées. Il suit avec intérêt les cours d’architecture professés par Jean-Nicolas-Louis Durand. Comme décrit par Jacques Lucan: « Durand récuse la trilogie vitruvienne, la jugeant insuffisamment générale pour rendre compte de la conception même de tous les bâtiments. Le critère essentiel, sinon suffisant, pour définir le but de l’architecture est maintenant l’utilité, l’utilité publique et particulière » (« Composition, non-composition », Architecture et théories, XIXe – XXe siècles, PPUR, 2009). Durand a défini une méthode de composition basée sur le fonctionnalisme, où la fonction de l’édifice est affichée par la composition du bâtiment. Cette approche va être suivie par Pichard.

Pichard travaille à partir de 1811 en Belgique, puis en France où il se fait naturaliser Français.

En 1817, il est appelé à Lausanne pour être nommé ingénieur cantonal et inspecteur des bâtiments du Canton de Vaud. Il développe l’administration des ponts et chaussées et contribue à la création d’une législation dans ce domaine. Il a également été responsable de l’ensemble des bâtiments de l’État jusqu’en 1833, fonction qu’il quitte après quinze ans de travail acharné. Il se concentre alors sur le développement des routes cantonales et, en 1836, il conçoit la ceinture Pichard pour désengorger la ville de Lausanne. Il décède en 1841, sans avoir pu finir le suivi de la construction du Grand-Pont. Depuis, son œuvre nous est restée.

Historique

 

1844 – pont

Maître d’ouvrage: Canton de Vaud

Auteur de projet: Adrien Pichard

Appui pour la réalisation: Henry Perregaux et William Fraisse

Entreprise de maçonnerie: Gay

 

1891 – élargissement

Maître d’ouvrage: Ville de Lausanne

Auteur de projet: Jules Gaudard et les architectes Bezencenet & Girardet pour les garde-corps

Entreprise de charpente métallique: Fatio et Ch. Pache & Cie

 

1934 – élargissement

Maître d’ouvrage: Ville de Lausanne

Auteur de projet: Ville de Lausanne, direction des travaux

Entreprise de maçonnerie: Bellorini et Oyex-Chessex

Entreprise de charpente: Desarzens et Dupont

Intervenants 2022 reconstruction tablier

 

Maître d’ouvrage: Ville de Lausanne

Auteur de projet: IG Grand-Pont : Ingphi (pilote, ingénieur et architecte) et Bächtold & Moor (contrôle)

Design des candélabres: Aurel design urbain

 

Entreprise de construction du lot

Grand-Pont : Walo Bertschinger (avec 110 fournisseurs et 38 sous-traitants)

Passerelle provisoire: Implenia

Durée du chantier: Janvier à novembre 2022

Réouverture: Décembre 2022

Coûts des travaux: 9 millions CHF HT (hors mesures d’accompagnement)

Coût de la passerelle provisoire: 500 000 CHF

Le pont en chiffres

 

Longueur: 172 m

Hauteur: 13 m

Portée: 9 m

Surface du tablier: 2500 m2

Volumes de moellons: 20 000 m3

 

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