Cul­tu­re du bâ­ti: qui peut ju­ger de la qua­li­té?

Éditorial de la revue TRACÉS d'octobre 2021

Publikationsdatum
04-10-2021

Avez-vous entendu parler du Système Davos de qualité? Vous devriez parce que lui, il s’intéresse à vous. Il s’agit d’un instrument conçu par l’Office fédéral de la culture (OFC) qui «fournit une base pour objectiver la culture du bâti de qualité et en approfondir scientifiquement la notion.»1 Après des siècles de débats, de traités d’architecture et de théories de toutes sortes émises depuis Vitruve, une méthode scientifique serait donc capable nous de livrer une réponse ? Non, l’outil répond d’abord à une exigence politique. Grâce à la Déclaration de Davos (promulguée en 2018), la Culture du bâti a été institutionnalisée: architecture, ingénierie, paysage et patrimoine, tout cela est enfin reconnu comme une forme de production culturelle à part entière. Les bourses et les récompenses abondent, le bâti est valorisé, la diffusion de ses thèmes est favorisée. Tout le monde applaudit. Mais la Déclaration mentionne une «culture du bâti de qualité», et là, plus personne ne bouge. Les professionnels sont habitués à discuter la qualité au sein de leurs propres cénacles, avec leurs critères et leur vocabulaire, en concours ou en commissions. Or la Culture du bâti est par essence interdisciplinaire; elle concerne des situations bâties, des aménagements et lieux qui intéressent aussi bien les concepteurs que les usagers. L’espace conçu comme l’espace vécu.

Voilà pourquoi la section Baukultur de l’OFC a mis au point le Système Davos de qualité. Il s’agit d’un questionnaire permettant à tout un chacun d’évaluer un projet réalisé ou un lieu selon huit catégories considérées comme constitutives de ce qu’elle propose de désigner comme des critères de qualité: environnement, gouvernance, économie, contexte, esprit du lieu, beauté, fonctionnalité, diversité. Or les auteurs sont pour la plupart issus des milieux du patrimoine. La sélection des critères émane donc d’une vision – celle de la conservation (ce qui est là) – qui diffère de celle des maîtres d’ouvrages, des usagers et – bien sûr – des professionnels, concentrés sur la projétation (ce qui sera là). Pourtant, on parle déjà d’introduire le Système Davos de qualité dans les jugements de concours… 

L’intérêt du système est de forcer l’évaluateur (quel qu’il soit) à déconstruire sa propre position, s’interroger sur ses conceptions. L’instrument pourrait ainsi favoriser le dialogue entre les spécialistes, mais aussi avec les usagers, les maîtres d’ouvrage et les investisseurs, qui ont tous une perspective différente.

Jusqu’ici l’intention est louable. Mais pour atteindre une évaluation «objective», ses concepteurs se sont convaincus qu’il fallait quantifier l’évaluation, soit mettre une petite note pour chacun des critères, comme on le fait dans le recensement. Tel ensemble aurait un 3/6 en «contexte»; tel autre un 2/6 en «beauté», etc. et obtiendrait ainsi une note globale par la moyenne. Le procédé m’évoque ces bornes à smiley introduites un peu partout, ou ces applications permettant de noter les restaurants, les services et même les êtres humains. Où va s’arrêter cette manie? Pourquoi doit-on systématiquement tout évaluer avec une note, de manière définitive, alors que les perspectives évoluent constamment? Comment peut-on résumer avec un simple chiffre toute la complexité d’un ensemble bâti? Et surtout, qui procèdera à l’évaluation? Pour le grand public, ces critères permettront d’élargir la réflexion et de dialoguer avec les spécialistes. Mais pour évaluer, il faut des connaissances techniques, historiques, un esprit critique permettant de confronter les intentions des concepteurs à la réalité construite, l’espace conçu à l’espace vécu. L’évaluation est même un métier: le nôtre.

Afin de mener le débat sur l’évaluation de la qualité dans la Culture du bâti, nous lançons une série d’entretiens en ligne sur la plateforme espazium.ch, qui débute avec Oliver Martin, directeur de la section Culture du bâti à l’Office fédéral de la culture.

Note

1. Système Davos de qualité pour la culture du bâti – Huit critères pour une culture du bâti de qualité, Berne, Office fédéral suisse de la culture OFC, 2021, p. 7 (nous soulignons).  

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