Ra­pié­cer la ville

Rapiécer, réparer, transformer, surélever: ce sont ces gestes qui caractérisent les lentes mutations des villes. La surélévation réalisée à Vevey par Rapin Saiz entre dans une stratégie du cas par cas; le projet supporte pourtant une réflexion stratégique pour consolider l’image d’une urbanité qui ne cesse jamais d’être bricolée. Comme dans de nombreuses opérations de ce type, le matériau bois y joue un rôle prépondérant.

 

Publikationsdatum
06-05-2020

Ce projet naît d’une approche empirique; il mènera à la pleine cohérence. Le petit immeuble est situé dans un quartier mêlant habitat et artisanat, en bordure de la vieille ville de Vevey. En raison de ses élégantes galeries boisées, des jardins d’hiver attenants à chaque appartement, il est classé par le Service du patrimoine. Engagés pour étudier le coût de sa restauration, les architectes constatent l’état de dégradation du bâtiment et ses équipements vétustes (pas de salles de bain, des WC à l’étage, des fourneaux improvisés…). Leur analyse montre que le montant de la restauration serait conséquent, les travaux engageant les locataires impossibles et que l’opération ne serait en fin de compte pas supportable sans augmentation excessive des loyers. D’où la solution d’ajouter de la valeur à l’immeuble, en le surélevant d’un étage.
La proposition est en dérogation totale avec le règlement de construction… datant de 1952. L’autorisation a été obtenue après qu’une enquête a été menée auprès du voisinage pour anticiper les risques d’oppositions. Comme la révision du plan d’affectation dure depuis quelques temps et n’est pas près d’aboutir, les opérations de ce type sont traitées au cas par cas par le Service d’urbanisme et celui des monuments historiques. Il a été considéré que le projet, en plus de sauver l’immeuble d’une probable démolition, créerait une valeur et consoliderait l’identité de ce quartier historique, traditionnellement attaché aux activités artisanales. Les propriétaires sont incités à investir durablement, ­pérenniser un bâtiment pour deux générations au moins. Ce principe pourrait entrer dans le plan d’affectation en cours d’élaboration, puisqu’il favorise des opérations consistant à ­modeler l’existant plutôt que le remplacer: rapiécer, agrandir, rafistoler, transformer au cas par cas.
À chaque étage, une petite salle de bain et une cuisine sont aménagées. Le plan de la surélévation réinterprète la typologie existante, en absorbant la galerie dans l’espace majeur de l’appartement. Son emplacement est suggéré par l’orientation des solives, les poutres et un poteau carré qui déterminent clairement trois espaces. La superstructure a donc été pensée à partir des possibilités et des contraintes du matériau bois, dont le langage rythmé a été poursuivi avec cohérence, jusque dans les parois intérieures, revêtues de panneaux verticaux et de fins couvre-joints.

Dépétrifions la ville

Le quartier mêle ateliers d’artisans, entrepôts et habitations. À l’origine, la parcelle était occupée par une petite maison coquette entourée d’un jardin. Dans un processus socio-économique classique, menant de la maison familiale au « plot » urbain, c’est par des surélévations successives qu’elle est devenue un petit immeuble de rapport, avec un appartement par étage. Au fur et à mesure des agrandissements, la terrasse a acquis un jardin d’hiver, les étages une galerie fermée, avec vitraux. Les bâtiments conçus au 19e siècle ont ­l’­avantage d’avoir des fondations et des murs solides, permettant aisément de proposer une surélévation pas trop lourde, avec un montage rapide et à sec.
Les fenestrations filigranes contrastent avec l’expression massive de la maçonnerie. Les galeries deviennent un liant vertical et donnent les codes de la nouvelle extension avec un rythme des pleins et des vides calqué sur l’existant. La peinture rouge brun unifie les éléments boisés, tout en s’accordant avec les éléments du paysage des derniers étages: cheminées, volets, stores, toitures en tuiles.
Les architectes jouent sur l’ambiguïté matérielle: avec leurs cadres, les panneaux de bois peuvent être interprétés comme de lourds blocs de pierre aux arêtes équarries, mis en œuvre avec des joints creux ; tandis que dans les jambages, là où les panneaux se plient à angles droits, un léger retrait par rapport au cadre traduit la fine épaisseur de ce qui s’assimile alors à un placage fragile.
Tout en jouant sur les codes, cette interprétation conduit à une lecture inverse de la thèse traditionnelle du processus de « pétrification » historique, menant du bois vers la pierre, du fragile au solide, du provisoire au durable. La surélévation dénote au contraire un tissu urbain en constant renouvellement, dans la continuité des opérations de surélévation successives qui ont donné corps à cet immeuble. Le langage des galeries, prolongé en attique, devient un meuble, une caravane, une malle de voyageur. Il traduit le discours d’une ville résiliente, souple, adaptative, constamment refaçonnée.

Rénovation et surélévation à la rue du Chablais 8, Vevey

 

Maîtrise d’ouvrage: privé
Architecture et direction des travaux: Rapin Saiz Architectes, Vevey
Ingénierie bois: Ratio Bois Sàrl, Cuarny
Charpenterie: Burgy Sàrl, Denges

 

 

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