Cent­re In­ter­na­tio­nal de l’Art Pa­rié­tal en Dordo­gne, par Snøhet­ta

Un musée immersif pour un chef-d’œuvre inaccessible: la grotte de Lascaux

Publikationsdatum
18-05-2017
Revision
18-05-2017

Depuis sa découverte en 1940 par trois enfants qui se sont introduits dans l’orifice d’une racine d’arbre arrachée, jusqu’à l’ouverture du Centre International de l’Art Pariétal en décembre 2016, la grotte de Lascaux semble prise dans un jeu de continuels revirements quant à son authenticité. Aux doutes initiaux sur son ancienneté ont succédé l’inévitable fermeture du site en 1964, trop vulnérable pour endurer les affronts de sa renommée mondiale, et surtout l’ouverture du premier fac-similé en 1983.
Si l’ouvrage des architectes norvégiens Snøhetta est la troisième variante de la série de reconstitutions qui ont décliné le site original, il semble pourtant capable d’inscrire Lascaux dans une réalité toute autre que celle offerte par la vaine quête d’authenticité. Snøhetta touche le vrai en livrant un ensemble dialectique tiraillé entre les deux contradictions fondamentales qui en constituent l’identité : celle du rapport à l’œuvre initiale et celle du rapport au paysage.

Une expérience plus vraie qu’authentique


Questionné sur la problématique de l’authenticité et du caractère reconstitué de la nouvelle grotte, Kjetil Trædal Thorsen, membre fondateur de Snøhetta, livre une réponse sans ambiguïté. Le centre vise une expérience critique et sensorielle totale qui se situe au delà d’une quelconque rivalité entre vrai et faux.
Certes le fac-similé n’est pas la chose en soi. Il se pourrait même que l’aura de cet ensemble de peintures que George Bataille décrivait peu après sa découverte comme « l’aube de l’humanité », décline au fil des reconstitutions successives.
Mais cette condition de copie n’empêche pas une expérience sensorielle et cognitive entière, dont la filiation serait plus cinématographique que picturale. On visite le fac-similé comme on assiste à un film, sans questionner l’authenticité et le statut auratique de la séance.
Le cinéma offre en effet une clé pour percevoir l’expérience du fac-similé autrement que comme un substitut à l’ouvrage original, dicté par les impératifs de conservation. Des premières découvertes à la lumière de lampes torches au récent film 3D de Werner Herzog, l’art pariétal a longtemps entretenu un lien privilégié avec le principe d’images projetées.
Au-delà de cette évidence, la grotte peinte, reconstruite et déconstruite par Snøhetta, accède au statut générique de document, ignorant ainsi sa condition de copie pour être éprouvée en tant qu’expérience documentaire d’une œuvre reconstituée en trois dimensions.
Le fac-similé serait donc à la grotte originelle ce qu’un document analysé et reproduit est à l’œuvre : un stade supérieur de lecture et de compréhension.
Cette interprétation est au cœur de l’aménagement de Snøhetta : dans le parcours de l’exposition, le fac-similé est suivi d’un espace ouvert dans lequel des pans entiers de la grotte reconstituée sont suspendus au plafond comme autant de fragments d’un volume explosé à des fins analytiques. Appelée l’atelier, cette salle est la clé de voûte de ce travail autour des peintures de Lascaux. D’une grande théâtralité, la salle se vit comme la déconstruction architecturale tant de la grotte originale que de son fac-similé. Elle rétablit le centre de gravité de la visite, loin d’un quelconque objectif illusionniste, au plus près de sa véritable mission pédagogique.

Une dissimulation monumentale


Un hiatus similaire, sorte d’incohérence fondamentale résolue par le traitement architectural, semble prévaloir aussi pour la question paysagère.
L’édifice présente tous les aspects d’une mégastructure muséale, tout en se voulant contextuel, discret et parfaitement intégré. Si le traitement de la façade joue avec le signifiant de la faille tellurique dans laquelle vient discrètement se loger le programme, l’intérieur adopte un langage monumental, jouant avec les hauteurs pour donner la sensation d’évoluer sous terre. C’est ainsi que l’accès et la sortie du fac-similé font l’objet d’un subtil effet d’enfouissement par augmentation progressive de la hauteur des parois latérales.

Un édifice qui exhibe son caractère chtonien


Partiellement enfoui comme peut l’être le musée gallo-romain de Zehrfuss à Lyon, l’ouvrage se situe à l’endroit où vient s’éteindre le flanc de la colline qui abrite la grotte. La topographie permet à Snøhetta de développer un des attributs essentiels qui caractérise sa conception de l’espace public. Le principe de l’oblique, présent dans de nombreux autres projets, prend ici la forme d’une rampe qui surplombe l’entrée du bâtiment et permet au visiteur de prendre de la hauteur avant d’entrer dans l’édifice. Libre d’accès, ce belvédère est un point d’observation du site ouvert sans restrictions.
L’autre élément caractéristique d’une prise en compte de la topographie concerne le travail des parois inclinées en béton. Rythmées par un traitement qui évoque la sédimentation, elles expriment la monumentalité sur un mode certes discret mais qui n’est pourtant pas dépourvu de symbolique. C’est peut-être là le troisième paradoxe dissous par cette architecture: être capable de générer du symbolisme avec le langage formel du minimalisme.

Dialectique du paysage


Mais revenons au paysage : cette étrange synthèse entre une volonté de discrétion et un déploiement monumental pourrait préfigurer la réponse à une autre équation insoluble qui trouve sa solution dans le projet : comment faire émerger l’univers spéléologique dans la dimension paysagère ? Comment faire coexister ce qui par définition se soustrait au paysage avec un environnement paysager d’une grande complexité, probablement à l’origine de l’existence de ces fresques. Car il faut s’en rappeler : si la grotte existe, c’est parce que la transhumance naturelle avait fait de cette vallée un passage pour les troupeaux sauvages.
Cette apparente incompatibilité entre ce qui gît enfoui et ce qui resplendit sous la forme d’un relief, semble trouver des éléments de réponse dans l’architecture du centre conçu par les Norvégiens. Le principe de failles lumineuses dans le grand couloir axial qui structure l’ensemble, ainsi que dans l’atelier, combiné à l’écrasante monumentalité des parois semble raconter cette rencontre improbable entre la dimension paysagère, celle de la lumière sur un relief et la dimension spéléologique, celle de ce qui se soustrait au regard.
En cela le Centre International de l’Art Pariétal est une synthèse, un plan sur lequel se rencontrent et se conjuguent le relief et la lumière d’un côté, l’ombre et l’invisible de l’autre.

 

Informations

 

Lascaux IV. SnØhetta    
Christophe Catsaros
Editions Archibooks (Collection L’esprit du lieu), Paris, 2017
€ 12.90

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