Pier­re Frey, l’ami na­vi­ga­teur (1949-2023)

Disparu début octobre, Pierre Frey laisse une œuvre importante – ses ouvrages, son enseignement et son travail sur les archives. Il a également été un conseiller décisif de la revue TRACÉS quand le projet éditorial fut relancé. Son rédacteur en chef d’alors lui rend hommage.

Data di pubblicazione
30-10-2023
Francesco Della Casa
architecte du Canton à Genève. Il a été rédacteur en chef de TRACÉS de 1999 à 2011.

Le 11 octobre dernier, au cimetière du Bois-de-Vaux, sa famille et ses nombreux amis ont pris congé de Pierre Frey, professeur honoraire EPFL. En pensée avec eux, il y en eu bien d’autres encore: ici, à Paris, Bogota, Johannesburg, Mumbai ou Haïfa. La communauté, abstraite, des amis de Pierre Frey était quelque chose d’improbable, comme lui seul était capable de la tresser. Anne, son épouse, fut celle qui a le mieux su la décrire: un tricot. Tricot, tressage… l’origine, en somme, de l’architecture construite, qui l’a tant passionné.

Comment s’étonner dès lors qu’il ait si bien su mettre en valeur la collection de plus de 700 maquettes vernaculaires de l’EPFL? Elle allait fournir le terreau d’une exposition et d’un livre formidable, qui fait aujourd’hui référence (Learning from Vernacular, Grand Prix du livre d’architecture 2011). Des archives oubliées, dont il avait tiré de l’or… Les archives, Pierre Frey en avait fait son domaine de spécialité, dans un temps où on les jetait souvent à la benne. C’est dans l’une d’elles qu’il avait déniché celles de la menuiserie André Held à Montreux, avant qu’il ne parvienne, comme un entrepreneur, à créer les Archives de la construction moderne. Il y puisera les sources qui lui permettront de réaliser avec son équipe de nombreuses expositions et monographies portant sur l’œuvre des architectes Alphonse Laverrière (1999), Heidi et Peter Wenger (2006) ou de l’ingénieur Alexandre Sarrasin (2002). Il avait, auparavant, réalisé une publication et une exposition marquantes, portant sur «Viollet-le-Duc et la montagne» (1993).

De Fernand Pouillon, il avait examiné une part encore méconnue de son fonds d’archives. Il était allé plusieurs fois en Algérie visiter ses réalisations, en compagnie de Daphné Bengoa, Louiza Issad, Bernard Gachet, Mohammed Larbi Merhoum et Abdelkader Damani. Avec eux, il a mené à terme ce qui pourrait bien être son œuvre maîtresse, un livre: Fernand Pouillon, le Téméraire éclectique (Éditions Actes Sud) paru un mois avant son décès. Le navigateur expérimenté qu’il était, sur les eaux du Léman ou sur la glace du lac de Joux, est ainsi parvenu à boucler la trajectoire qu’il s’était tracé. Le plus souvent à contre-courant, mais toujours au près.

Il fut un soutien précieux de la rédaction de TRACÉS, qu’il avait approchée à la suite d’un numéro consacré au premier défi suisse pour la Coupe de l’America (08/2000), alors que la revue traversait des turbulences. Il lui proposa de mettre sur pied un comité éditorial, dont il fut, avec Lorette Coen, Pierre Veya, Xavier Comtesse et Daniel de Roulet, l’un des membres fondateurs. Il y publia ensuite plusieurs articles remarquables, dont celui consacré au pont des frères Grübenmann à Schaffhouse (17/2006). Il s’y établit avec régularité dès 2016 avec sa rubrique «Statler et Waldorf», pointant avec une ironie caustique et cultivée certaines tartufferies. Il aura ainsi apporté à la revue ce qui deviendra l’un des marqueurs de son identité, la capacité à mettre en regard les savoirs des sciences humaines et des sciences techniques.

Caractérisée par une rigueur exceptionnelle, son œuvre de chercheur lui a permis de documenter des thématiques devenues aujourd’hui centrales dans le domaine de l’aménagement du territoire et de la construction. À l’heure où ces questions deviennent chaque jour plus brûlantes, le décès de Pierre Frey nous prive d’un esprit visionnaire, exigeant et érudit.

Retrouvez toutes les "Chroniques critiques" de Pierre Frey

 

Retrouvez les "Carnets de route de Pierre Frey" sur les traces de Fernand Pouillon, de la carrière provençale de Fontvieille aux cités d'Alger

 

Retrouvez la série d'articles "(Pas) mal d'archives" écrits en 2015 à partir des Archives de la construction moderne (ACM)

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