Transitoire, l’esprit ou la lettre
Comment l’occupation illégale d’un bâtiment ou d’un espace inutilisé est-elle devenue un outil légal de planification?
Occuper relève d’une action militante: on appelle ça un squat ou une ZAD, une zone à défendre. C’est une réquisition de l’espace libre pour faire valoir un droit (au logement quand on n’a pas les moyens d’en avoir un), une lutte (contre la destruction d’un milieu naturel), ou pour habiter, créer, cultiver son jardin et inventer d’autres formes de vie en commun. Une appropriation illégale du bien d’autrui qui se règle parfois à l’amiable, plus généralement par une intervention policière.
Depuis les années 2010, de nouvelles formes d’occupations temporaires, légales cette fois, rentrent progressivement dans les mœurs des acteurs de l’urbanisme. Les collectivités publiques, et certains propriétaires privés, passent commande à des associations, des «collectifs», pour occuper des friches, des bâtiments ou des espaces publics dans l’attente d’un «vrai» projet. La pratique tend à s’institutionnaliser et devient un temps du processus de transformation des villes qui, soumises à une pression croissante, ont réalisé qu’il était vital de miser sur un urbanisme qui ne se concentre pas seulement sur les infrastructures, les espaces ou les volumes, mais sur l’activité et l’animation. Les acteurs se professionnalisent – et comptent dans leurs rangs de nombreux architectes, urbanistes, paysagistes – , développent leurs propres savoir-faire et gèrent des programmes et des sites de plus en plus complexes, souvent pendant plusieurs années.
Derrière l’esthétique joyeuse et bricolée qui est devenue la marque de fabrique de ces projets, on trouve de multiples propositions: de l’hébergement d’urgence, de l’animation socio-culturelle, des festivals, des équipements sportifs, des locaux pour des artisans. Tous types d’activités que les institutions ne sauraient pas prendre en charge de cette manière, avec cette souplesse et cette rapidité, dans ces budgets serrés. Dans l’espace public et sur la voirie, les aménagements temporaires sont plébiscités par les villes qui y voient un moyen d’associer les habitants à la fabrication de leur cadre de vie et de tester des usages, avec plus ou moins de succès.
Souvent le temps de l’occupation produit des expériences humaines, urbaines et spatiales passionnantes. Pourtant, quand vient le temps du «vrai» projet, tout cela disparaît, et on fait ce qu’on avait prévu au départ, sans que rien ne soit transmis. Notre dossier du mois s’interroge entre autres sur cette porosité possible entre transitoire et pérenne: que peut-on garder, que peut-on apprendre de ces démarches temporaires? L’occupation provisoire pourrait-elle devenir le temps et le lieu de la préfiguration d’un projet à venir dont on ne sait pas encore ce qu’il sera? Ou seulement – et ce serait déjà bien – influencer le projet planifié, en révélant par exemple l’importance d’un espace libre, le potentiel d’un bâtiment promis à la destruction? L’occupation jouerait ainsi pleinement son rôle de transition d’un état à un autre et ne serait pas qu’une parenthèse vite oubliée dans le processus de projet.