Na­tu­rel et con­struit, le bois cu­mu­le les ver­tus

En hommage à l'ingénieur et professeur Ju­li­us Nat­te­rer décédé le 25 octobre 2021, nous publions un article qu'il avait rédigé en 2002 pour la revue Tracés. Pour ce précurseur, la sauvegarde des forêts passe par une plus grande utilisation du bois dans la construction. 

Data di pubblicazione
02-11-2021
Julius Natterer
Professeur honoraire à l'EPFL, fondateur d'IBOIS, Faculté ENAC-EPFL

Le bois, renouvelable, serait-il le matériau de construction du 21e siècle? À l'heure où les préoccupations écologiques prennent de l'ampleur, avec le problème des émissions de C02 et celui des choix énergétiques notamment, le bois fait valoir ses atouts. Sa transformation ne fait que peu appel aux énergies fossiles et, comme il est constitué à 75 % de carbone, il est le seul à pouvoir stocker le C02 atmosphérique. Sa capacité portante est par ailleurs notable, puisque la longueur maximale que peut atteindre une barre avant de se briser en traction sous son propre poids est de 20 km pour le bois, contre 7 km seulement pour l'acier. Logiquement, le bois apparaît comme un matériau de construction digne d'intérêt (fig. 1).

Hier 

Méconnu, le bois a trop souvent été regardé comme un matériau peu durable, dont la mise en œuvre devait être laissée aux artisans qui maîtrisent empiriquement les assemblages traditionnels. Lorsqu'il était considéré avec estime, il est resté sous-employé souvent par méconnaissance de ses caractéristiques. Posé dans la campagne et surveillé par des nains, le chalet est ainsi apparu comme l'archétype de la construction pittoresque, tandis qu'hors de son contexte, ce type de construction a contribué à donner du bois une image perçue comme rétrograde. Pourtant, nombre d'exemples historiques illustrent le potentiel des constructions en bois, quand elles ont été conçues de manière adéquate. À l'image de cette ferme fortifiée suédoise, qui date du 15e siècle, et dont la façade protégée par la galerie du premier étage a traversé les siècles sans encombre (fig. 2). Ou des nombreuses constructions à colombages de l'Europe du Nord, qui démontrent que le bois a de tout temps été associé aux autres matériaux pour apporter aux habitants confort et sécurité. Une sécurité qui s'étend aussi à la résistance aux séismes pour les vieilles pagodes japonaises qui, grâce à la conception de leurs assemblages hautement dissipateurs d'énergie, sont parvenues jusqu'à nous. En Suisse enfin, si les normes incendie ont souvent limité l'usage du bois dans les bâtiments à plusieurs étages, les constructions traditionnelles offrent des exemples atteignant des tailles respectables, puisqu'il existe en Valais des chalets de cinq étages qui étaient surélevés à chaque agrandissement de la famille.

Aujourd'hui 

Aujourd'hui, l'industrie du bois a évolué et les techniques actuelles permettent des réalisations adaptées aux critères contemporains, tant au niveau de la sécurité qu'en ce qui concerne l'aptitude au service. En intégrant des notions d'états limites ultimes, la nouvelle normalisation doit favoriser une utilisation plus rationnelle du bois. Par l'introduction de méthodes d'essai non destructives telle la pratique des ultrasons [1]1, le classement mécanique permet par exemple de fixer avec une précision beaucoup plus grande - et de manière quasi déterministe - les valeurs de module d'élasticité ou de contrainte de rupture. Il devient possible de définir de nouvelles qualités aux propriétés supérieures et pour les valoriser, il suffit d'introduire les meilleures pièces aux endroits les plus sollicités de la construction. La résistance ou la rigidité nécessaires n'étant pas semblables dans tous les cas, on tire ainsi parti de la diversité du matériau pour trouver, dans chaque domaine d'application, la solution économiquement et esthétiquement optimale. 

Demain 

En eux-mêmes, ces facteurs ne suffisent toutefois pas à augmenter la part du bois dans la construction, si celui-ci n'est pas compétitif face aux autres matériaux. Cette condition ne peut être atteinte qu'avec une planification accrue et une meilleure collaboration entre l'architecte et l'ingénieur, afin d'exploiter les diversités de formes, de structures et de matériaux, ainsi que l'étendue des techniques de construction en bois. C'est pourquoi une approche multidisciplinaire est capitale. Elle doit être développée dès le deuxième cycle d'enseignement, afin de fournir aux ingénieurs et architectes un aperçu de ce matériau, qu'ils seront à même d'appliquer et de développer dans leur futur parcours professionnel. De même, la formation continue, dans le cadre de cours postgrades, offre la possibilité aux professionnels d'acquérir une vision plus pointue du domaine de la construction en bois. De tels cours permettent également de discuter les expériences acquises dans le cadre de projets pilotes faisant appel à de nouvelles techniques d'assemblage et de fabrication. De la construction en bois massif à des réalisations hightech, les exemples présentés ci-après illustrent la diversité des capacités propres au bois. 

Construction en bois massif 

L'exploitation des bois de haute qualité ne doit pas être le seul but de la construction en bois, car à côté de son emploi qualitatif pour la réalisation high-tech de halles, de ponts et de couvertures, il importe d'en promouvoir l'utilisation sous tous ces aspects. Du bois rond par exemple est à même de répondre parfaitement aux exigences de certaines constructions. C'est le cas au «Wildniscamp am Falkenstein», un centre d'initiation à la nature situé dans la forêt bavaroise qui réunit plusieurs huttes thématiques (forêt, arbre, eau, prairie, terre). Accessibles de mai à octobre, elles peuvent chacune héberger un groupe de six personnes, le contact direct offert avec la nature permettant d'initier les jeunes participants à ses réalités et de les pousser à la réflexion sur des thèmes voisins. Un bâtiment central, qui abrite aussi les services et la partie administrative, permet quant à lui d'accueillir des visiteurs tout au long de l'année dans un dortoir pour vingt personnes. La maison de la terre (fig. 3) est composée d'un empilement de sections dédossées (soit des éléments dont on a uniquement retiré les dosses), assemblées en une coupole de 5 m de diamètre à la base pour une hauteur de 4,5 m qui est recouverte de terre. La tour de la forêt (fig 4) est une structure en pyramide inversée. Quant à la maison de la prairie, sa coque en planches clouées s'appuie en son milieu sur un arc en planches vissées qui permet de ménager deux ouvertures pour l'accès à la cabane. Enfin, le centre d'accueil principal est une structure de planches clouées. Malgré leur conception élaborée, l'aspect rustique de ces édifices en fait une architecture en parfaite harmonie avec la vocation affichée du centre qui est d'«apprendre par l'expérimentation». Le développement de systèmes constructifs nouveaux, à l'image des planches clouées (fig. 5), permet également de valoriser le solde important de qualités de bois moyennes à faibles. Ce solde comprend notamment un produit de masse à faible valeur ajoutée que sont les planches de 27 à 35 mm, de toutes largeurs et longueurs. Or les systèmes en planches parallèles sont particulièrement adaptés aux maisons individuelles, où les portées sont rarement supérieures à six mètres, tandis que les hauteurs d'étages sont en général limitées à trois mètres. Les avantages de ces structures sont multiples. Outre qu'elles permettent de réduire la hauteur statique nécessaire par rapport à un solivage traditionnel, leur massivité améliore la protection phonique et l'inertie thermique. La surchauffe du bâtiment est ainsi évitée en été, et les gains solaires hivernaux sont mieux répartis dans la journée. De telles structures peuvent demeurer visibles - lazurées ou non -, être recouvertes de plâtre ou de papier peint, tandis que la réalisation de divers profils permet de varier l'état de surface à moindres frais.

Structures mixtes 

Pour les éléments horizontaux, des portées supérieures peuvent être atteintes grâce à des systèmes mixtes, qui associent le bois, en traction, au béton en compression. Les matériaux sont ainsi utilisés de manière rationnelle et la liaison entre les deux composants s'effectue par un système d'entailles et de goujons précontraints (fig. 6). Des essais conduits depuis plus de dix ans ont permis de valider le procédé. Ce type de liaison permet aux matériaux de s'appuyer directement l'un sur l'autre ce qui conduit à une liaison efficace, où les goujons ne sont sollicités qu'en traction. En fonction des différentes sollicitations et des exigences esthétiques, la partie bois peut être de plusieurs types: rondins dédossés dans le cas de ponts, par exemple, ou demi-rondins pour des plafonds sans exigence particulière. Dans le cadre de la transformation d'une grange à Montherod, le maître de l'ouvrage souhaitait disposer d'une surface totalement libre au rez, afin de préserver un aménagement flexible de son étable, mais il désirait utiliser la partie supérieure comme dépôt. La structure se compose d'une dalle mixte bois-béton à champ carré d'une portée de 14,4 m. La partie bois est constituée de rondins dédossés sur trois faces, d'une largeur de 40 à 45 cm (fig. 7) et d'une hauteur de 45 cm. La provenance du bois tient dans un rayon de dix kilomètres et les billons ont étés façonnés dans la ville voisine. La contre flèche du système est obtenue en alternant les troncs selon leur conicité, de manière à obtenir une hauteur de béton constante de 15 cm. Des cales en bois dur aux appuis s'adaptent à la différence de hauteur des poutres. La charge utile de la dalle est de 10 kN/m2, plus une charge ponctuelle de 35 kN. Lors de la libération des étais, la flèche instantanée mesurée a été de seulement 5 mm. La solution la plus courante, pour des bâtiments et des écoles, est une partie bois en planches clouées. En présence de charges particulièrement élevées, ces systèmes peuvent être associés au lamellé-collé dans la réalisation de sections en «T» [2]. Par rapport à un système traditionnel, le poids propre de la structure s'en trouve nettement réduit, alors que les planchers atteignent des résistances au feu de F30, F60, voire F90, et une isolation phonique de 60 dB, tout en restant concurrentiels par rapport aux autres matériaux. Cela dit, le béton est loin d'épuiser les possibilités d'association du bois, qui peut également se lier à d'autres matériaux comme le verre par exemple. Cette technique fait l'objet de recherches depuis plusieurs années à l'IBOIS [3], mais c'est dans le cadre de \'Expo.02, qu'elle a pu être appliquée a la construction d'un ouvrage pour la première fois : il s'agit de l'hôtel cinq étoiles bâti sur le lac de Neuchâtel à Monruz (fig. 8). Avant de passer à la réalisation, une fois le modèle de comportement établi, des essais ont toutefois été conduits, afin de s'assurer d'une part de la concordance entre le modèle et la réalité et de vérifier d'autre part le comportement à long terme de l'élément [4]. L'hôtel se compose d'un ensemble de quarante modules, dont la plupart sont situés sur le lac, ainsi que d'un hall d'entrée et d'un bar situe sur la terre ferme. Pour la toiture de la partie accueil, un réseau de poutres bois-verre mixtes a été mis en oeuvre: d'une portée de 6 m et placés tous les 3,6 m, ces éléments sont dotés d'une âme en verre trempé de 12 mm d'épaisseur. L'avantage de ce verre est de présenter - grâce à la précontrainte induite par le trempage - une contrainte de rupture en traction (120 N/mm2) bien supérieure au verre flotté (float glass) (30-35 N/mm2). Son comportement est par contre fragile, c'est pourquoi la membrure supérieure de la poutre, qui est dissimulée dans le plafond, a été surdimensionnée afin d'assurer la sécurité de la structure, même s'il y a rupture inopinée du verre en cas d'incendie ou de choc. Malgré leur hauteur statique relativement élevée (fig. 9), la transparence de ces poutres offre une lecture continue du plafond. 

Assemblages 

A côté du matériau, les assemblages représentent une part non négligeable du coût final d'un ouvrage en bois, mais ce sont les moyens de liaison appropriés - tôles perforées clouées, vis, goujons injectés, ainsi que le recours aux liaisons bois-bois en compression - qui confèrent une haute qualité à la structure. Dans ce domaine, les nouvelles techniques de renforcement par fibres de verre permettent de transmettre des charges importantes avec un haut niveau de ductilité, améliorant sensiblement le comportement de la structure et le taux d'utilisation des sections. Les premiers développements élaborés à l'IBOIS dès 1994, ont permis d'établir la pertinence de ce concept d'assemblage [5]. Il faut en effet se rappeler que la contrainte de rupture perpendiculaire aux fibres est très faible dans le bois. Or si cette caractéristique n'abaisse pas la résistance de la barre en elle-même, elle a une part importante dans la rupture des assemblages, car les éléments de type tige amènent des tractions perpendiculaires aux fibres par un effet de fendage lorsqu'ils sont sollicités parallèlement aux fibres. Lors de la rupture, il y a donc «éclatement du bois», ce qui entraîne un comportement fragile de l'assemblage (fig. 10a). Les fibres de verre, collées au bois et fonctionnant comme des armatures transversales, améliorent très nettement les valeurs de traction perpendiculaire aux fibres. Ainsi, la cause de la rupture se déplace vers les moyens d'assemblage (broches, clous, etc.) qui, plastifiant à la rupture, participent au comportement ductile de l'assemblage (fig. 10b). Dans le cas du pont sur la Summe à Garstatt d'une portée de 23 m, deux diagonales en compression moisent la diagonale en traction (fig. 11).  L'angle des diagonales varie le long de la portée, afin de maintenir un effort constant dans ces éléments et, au droit des assemblages, ils sont renforcés par un tissu de fibre de verre collé. Grâce à un poids inférieur à dix tonnes, obtenu en partie grâce à l'optimisation du système statique, le pont a pu être mis en place en une fois par une grue mobile de capacité moyenne. Ces exemples démontrent que le bois est à même de s'adapter de manière concurrentielle aux défis de l'architecture moderne et qu'il représente sans conteste un matériau d'avenir. Il est toutefois essentiel de poursuivre l'effort de recherche, car le futur de la construction en bois est tributaire du développement de nouveaux outils, tout comme les constructions actuelles l'ont été des méthodes de triage, des programmes de calcul, des méthodes de dessin et de façonnage pilotées par ordinateur, ainsi que des nouveaux types d'assemblages a haute performance qui ont permis de réaliser des structures spatiales complexes.

Conclusion

Aujourd'hui comme hier, les défis écologiques ne pourront être relevés que si la valeur économique reconnue à la forêt permet de couvrir leurs coûts. Si les anciens protégeaient leur forêt, ce n'était pas par esprit altruiste, mais bien parce que celle-ci leur offrait davantage que quelques bûches pour les flambées des soirs d'automne. Le pouvoir de résistance des forêts face aux éléments naturels, ainsi que leurs fonctions protectrices doivent donc également être pris en compte. Par ailleurs, tant que leur rôle d'espace vital pour les plantes et les animaux et de lieu de détente pour les citadins et les touristes n'est pas lié à des ressources financières, le manque d'investissements réduira la santé des forêts et augmentera considérablement leurs frais d'entretien. Dans ce contexte, l'utilisation du bois dans la construction est l'unique chance de sauver les forêts du monde, car elle permet la valorisation de leurs produits nobles et assure leur financement, gage de leur conservation et de leur repeuplement. A elle seule, l'exploitation du bois sous forme d'énergie ne permet en effet pas de remplir ces objectifs. La mission des forêts du futur pour l'homme et la nature ne saurait pas davantage être garantie par les seules mesures de protection de l'environnement, aussi vrai que le rôle des villes du futur ne se réduit pas à la protection des monuments. La raréfaction des énergies fossiles et des réserves de matières premières signifiera obligatoirement un accroissement du rôle de la forêt dans la production de bois et comme régulateur du C02. Il est donc primordial de développer la recherche sur le bois, en parallèle à l'enseignement en 2e et 3e cycle, pour permettre une diffusion large et rapide des résultats acquis. Enraciné dans la terre et au contact du ciel, l'arbre demeure un symbole fort dans de nombreuses civilisations et le bois doit retrouver ce lien privilégié à la société. Il ne s'agit pas en l'occurrence de se montrer nostalgique en plagiant les constructions traditionnelles, mais de s'inspirer des concepts qui sous-tendaient ces ouvrages - parfaite adéquation de la forme à la fonction et juste choix des matériaux mis en œuvre - pour répondre de manière concurrentielle aux attentes de l'architecture moderne. Cela étant, le choix du bois ne doit pas se limiter à un sauf-conduit pour une architecture de qualité, mais être globalement compris comme contribution active à l'entretien de l'environnement.

Julius Natterer. professeur, directeur IBOIS Faculté ENAC-EPFL

 Note

 

1. Les chiffres entre crochets renvoient aux references en fin d'article

Références

 

[1] Sandoz. J.-L.: «triage et fiabilité des bois de construction - Validité de la méthode ultrason» Ecole polytechnique fédérale, Lausanne - IBOIS, 1990 (thèse EPFL n°851)

 

[2] Natterer, J; Herzog. Th: Volz. M.: «Construire en bois 2» (2e édition augmentée), Presses Polytechniques Romandes, Lausanne, 1998

 

[3] Hamm. J : «Tragverhalten von Holz und Holzwerkstoffen im statischen Verbund mit Glas», Ecole polytechnique federale, Lausanne - IBOIS. 1999 (thèse EPFL n°2065)

 

[4] Natterer. J : Kreher K : «Versuchsbericht und Versuchsauswertung zum Bauvorhaben "Biegeträger aus Holz und Glas im statischen Verbund'' zur EXPO 2002» - IBOIS, 2002 [5] Chen, C.-J. «Mechanical behavior of fiberglass reinforced timber joints» Ecole polytechnique fédérale. Lausanne - IBOIS. 1999 (thèse EPFL n°1940| Julius Natterer. professeur, directeur IBOIS Faculté ENAC-EPFL, Ecublens CH - 1015 Lausanne

 

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