L’Atlas des ré­gions na­tu­rel­les

La France à parts égales

Depuis 2017, Nelly Monnier et Éric Tabuchi ont entrepris de tirer le portrait des 450 «régions naturelles» françaises qu’ils sillonnent en voiture en quête d’objets et de paysages qui ont résisté à l’uniformisation du territoire. Une chasse aux trésors jouissive dont on peut découvrir le butin – glané lors de leur résidence de l’hiver 2020 dans les régions frontalières du Genevois, du Chablais, du Faucigny, du Beaufortain et de la Tarentaise – à la Villa du Parc à Annemasse (F).

Data di pubblicazione
10-09-2021

L’Atlas des régions naturelles, ou ARN, consultable en ligne, se présente d’abord comme une base de données: d’un côté, une carte de France découpée en 450 «régions naturelles», de l’autre, des entrées multiples – par date, saison, type de bâtiment, forme ou couleur – combinables entre elles à l’infini. La France que nous proposent Nelly Monnier et Éric Tabuchi peut ainsi se lire de multiples manières. Soit à travers le prisme d’une région donnée: la Champagne Berrichone, la Savoie-Propre, le Périgord Noir ou le Quercy Blanc. Le terme région étant ici entendu comme une entité géographique et géologique cohérente aux limites floues, à laquelle les habitants s’identifient. Soit selon son bon plaisir, en recomposant à sa guise un paysage français transversal et thématisé, fait par exemple de «maisons de virage» en «hiver», ou de «dépôt de bilan» «rouge» en «tôle-acier».

L’Atlas est né en 2017, pendant la campagne présidentielle française, quand les deux photographes – alors en résidence dans la Beauce – constatent que les affiches du Front National prolifèrent à mesure qu’on quitte les grands axes. Ils font l’hypothèse que moins un territoire est représenté, plus il est tenté par le vote identitaire et protestataire. L’Atlas part de l’envie de donner de la visibilité aux espaces oubliés, de réparer cette «exclusion iconographique» en représentant la France équitablement, à raison de 50 photographies par région. Tout sera montré à l’égal, la cabane comme le château, sans hiérarchie, chaque objet traité avec le même soin. L’ARN fait l’éloge de la diversité contre la normalisation produite par la centralisation française et le rouleau compresseur de l’urbanisation; il regarde à la loupe les constructions, les matériaux, les revêtements, les couleurs et les glissements qui s’opèrent d’un territoire à l’autre pour garder une trace de ces évolutions.

Dernier inventaire avant liquidation, Nelly Monnier et Éric Tabuchi «s’occupent de ce qui est en train de disparaître», de l’habitat vernaculaire aux constructions modernes semi-ruinées et aux pavillons ordinaires, qu’ils saisissent avec empathie et une forme d’humour. Dans cette vaste galerie de portraits qu’est l’ARN se déploie leur goût pour le pittoresque, l’incongru, les vilains petits canards et, même s’ils refreinent leurs ardeurs, pour le spectaculaire. La France qu’ils saisissent apparaît décrépie, mais pas si triste, autant que sublime. Leurs paysages nous sont familiers, ces freaks bâtis font partie de notre iconographie personnelle, et nous ne pouvons que les regarder avec une certaine tendresse.

La démarche des photographes n’est pas sans filiations. Sur leurs vues frontales et thématiques de résidus d’activités industrielles plane l’ombre bienveillante des «typologies» de Bernd et Hilla Becher, tandis que leurs devantures de commerces évoquent La France de Raymond Depardon (2010), la nostalgie en moins. Ici, c’est de chasse aux trésors qu’il s’agit, autant documentaire, analytique, que jouissive.

Exposition – à partir du 04.09
Empire et Galaxie
Villa du Parc, centre d’art contemporain
Parc Montessuit – 12, rue de Genève
Annemasse (F)
www.atlasrn.fr
www.archive-arn.fr

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