«Je plai­de pour une ap­pro­che plus dy­na­mi­que et ho­ri­zon­ta­le»

Beaucoup de concepteurs de structures porteuses sont réticents face au dimensionnement parasismique d’ouvrages en bois. Martin Geiser, directeur du groupe spécialisé dans la discipline à la Haute école spécialisée bernoise, explique les défis qui s’y rattachent en matière de conception, d’analyse et de dimensionnement et livre un aperçu de ses recherches.

Data di pubblicazione
07-12-2020

espazium: Monsieur Geiser, le séisme est-il une action sous-estimée en Suisse lors du dimensionnement pratique de ­structures en bois?
Martin Geiser: On ose espérer que non. Selon les analyses de risque de l’Office fédéral de la protection de la population, le séisme figure en effet parmi les cinq dangers majeurs et la question est traitée de manière adéquate dans la normalisation depuis 2003. J’observe toutefois que, indépendamment du matériau considéré, nombre de concepteurs de structures tendent à réfléchir en termes verticaux et statiques. Vous connaissez sûrement la tâche consistant à bâtir un pont en bâtonnets de glace, qui est souvent proposée aux élèves ou aspirants ingénieurs. Or, la plupart du temps, on vérifie si le résultat tient au moyen d’une charge statique verticale. L’image d’une présumée action verticale déterminante nous est ainsi inculquée d’emblée. Je plaide pour une approche plus dynamique et horizontale.

Pourquoi la Suisse compte-elle si peu de hauts édifices en bois?
Cela tient sans doute aux anciennes normes incendie. Jusqu’en 2003, les édifices de plus de 2.5 étages n’étaient qu’exceptionnellement autorisés. Le bâtiment en bois de notre école en est un exemple. Puis, les prescriptions se sont assouplies. Mais nous ne sommes pas le seul pays qui en est encore à ses débuts en matière de tours en bois.

Quels défis pose le dimensionnement au séisme d’ouvrages en bois – et comment varient-ils en fonction de la hauteur?
Un défi majeur relève de la taille des pièces et des ouvertures qui composent les logements modernes. Il reste souvent peu de place pour des murs de contreventement bien placés. La meilleure réponse au problème réside dans le dialogue entre architectes et ingénieurs à un stade précoce du projet.

En ce qui concerne le dimensionnement, il faut savoir qu’en raison d’une période fondamentale défavorable, le séisme représente une action déterminante même pour un bâtiment bas. Pour des édifices plus élevés, surtout élancés, ou des constructions légères avec de grandes surfaces exposées, c’est souvent le vent qui devient l’action déterminante.

En outre, la force d’ancrage des contreventements croît de façon exponentielle avec la hauteur. Pour le bâti en bois, cela peut entraîner des valeurs inhabituellement élevées. En principe, on peut toutefois affirmer que l’élancement est plus déterminant que l’élévation. à partir d’un certain degré d’élancement, les oscillations dues au vent peuvent menacer l’aptitude au service.

Encore une précision sur le dimensionnement au séisme: la nouvelle ­édition de la norme SIA 261 redéfinit les spectres de réponse. Cela signifie qu’à l’avenir – encore bien davantage ­qu’aujourd’hui – il s’agira de déterminer avec soin les propriétés dynamiques d’ouvrages en bois, voire de les modéliser. L’adoption d’une fréquence fondamentale simplifiée dans la zone plateau, telle que souvent pratiquée jusqu’ici, pourrait mener à un dimensionnement exagérément conservateur.

Quels principes régulent le dimensionnement au séisme d’ouvrages en bois  – recourt-on normalement à un calcul non-ductile ou à un dimensionnement en capacité de la structure porteuse?
Dans la pratique courante, on calcule chez nous de façon conventionnelle, soit non ductile. Ce qui est absolument conforme aux normes, donc licite pour tout ouvrage, et peut même déboucher sur des solutions économiques. Selon l’Eurocode 8, c’est un peu différent :
à partir d’une accélération donnée du sol, on procède à un calcul ductile. Le dimensionnement en capacité est nettement plus exigeant. Il implique une démarche qui diffère du calcul conventionnel et une forme de « dialogue » entre le con­cepteur et la structure, car il faut hiérarchiser les résistances ultimes de tous les éléments du bâti. Mais l’approche ductile exclut la rupture fragile de l’ouvrage, ce qui en accroît la robustesse.

De plus, si le vent n’est pas l’action décisive, cette approche conduit à des solutions plus avantageuses que le calcul ordinaire, pour des ouvrages plutôt ­trapus avec une forte masse. Là, le sur­coût lié au dimensionnement peut
s’avérer payant.

Quels sont les acquis de vos dernières recherches – vont-ils être incorporés à la normalisation?
Nos recherches ont récemment contribué à la révision partielle de la norme SIA 265 sur deux points: les questions de sur-résistance et la ductilité des assemblages.

En complément aux normes, nous élaborons des contenus pour la série «Lignatec» éditée par Lignum. Avec un récent guide pratique pour le dimensionnement, au séisme notamment, des ouvrages en Cross Laminated Timber (CLT).

Lire également: Ville en bois – In­dices de du­ra­bi­lité et d’éco­no­mi­cité

Quels domaines faut-il approfondir et quels thèmes comptez-vous aborder?
La ductilité des assemblages sont encore très mal connues. Pour la cons­truction en bois – contrairement au bâti en acier – on n’a jusqu’ici guère étudié comment le comportement de l’acier influence celui des assemblages une fois leur limite élastique atteinte.

Dans le cadre de notre dernier projet sur les propriétés dynamiques des ouvrages à ossature bois, nous avons par ailleurs constaté que l’amortissement y était nettement supérieur aux 5 % habituellement admis en pratique. On s’en doutait certes depuis longtemps, mais ce n’est qu’avec les fortes amplitudes générées pour nos récents essais qu’on a pu mesurer le phénomène. On tient là un certain potentiel d’optimisation du dimensionnement, car un facteur d’amortissement effectif accru réduit les forces dues à l’action du séisme. Nous préparons donc une série d’essais analogues sur un ouvrage test en CLT.

Avec un partenaire industriel, nous développons en outre des solutions d’ancrage à haute performance pour la construction en bois, avec des connecteurs standards jusqu’à 300 kN. Et nous examinons le cas des parois avec ouvertures, et notamment comment les zones de bord des fenêtres (linteaux et contre-cœurs) peuvent être prises en compte.

Enfin, nous menons des études préliminaires sur des voiles de verre rigidifiant à comportement ductile. Je trouve cela passionnant: une fois qu’on a saisi le dimensionnement en capacité, on peut même concevoir une construction avec une matière aussi fragile que le verre de façon ductile.

Martin Geiser est ingénieur bois dipl. ETS/SGEB et professeur de génie parasismique de la Haute école spécialisée bernoise à Bienne. Outre son activité d’enseignement dans la formation initiale et continue en génie parasismique appliqué au bois, il poursuit des recherches en parallèle. Dans son dernier projet, il a mené des essais dynamiques en grandeur nature sur un bâtiment en bois de quatre niveaux.

Dimensionnement ductile et non ductile au séisme

 

Le dimensionnement non ductile au séisme s’appuie en principe sur la même méthode que celle appliquée à d’autres actions. Selon celle-ci, le dépassement de la limite d’élasticité entraîne un risque de rupture fragile de
la structure porteuse. Avec cette démarche, on n’obtient évidemment qu’une faible capacité de déformation. Et dans ce cas, le coefficient de comportement q = 1.5 rend avant tout compte de la sur-résistance.

 

Dans l’approche ductile (dimensionnement en capacité), la structure est subdivisée en zones élastiques et plastiques. Associé au concept structural particulier, un dimensionnement spécifique des solutions d’assemblage se traduit en cas de séisme par un mécanisme plastique appropriée, en vertu de laquelle les zones ductiles (les assemblages) se déforment de manière irréversible en atteignant la limite élastique et réduisent de ce fait la sollicitation des zones non ductile (les éléments en bois) de la structure. Dans les zones plastiques, l’énergie se voit dissipée, ce qui autorise des coefficients de comportement de q > 1.5. Le dimensionnement en capacité améliore ainsi la robustesse de l’ouvrage et peut, le cas échéant, en accroître l’économicité. (Ulrich Stüssi)

 

Le projet «Ville en bois» réalisé pour le compte de l’Office fédéral de l’envi­ronnement OFEV inclut nos hors-séries ainsi que les manifestations de WüestPartner et des visites de bâtiments emblématiques organisées en Suisse et à l’étranger par Lignum, industrie suisse du bois.


Dans ce cahier, nous décortiquons à nouveau des questions fondamentales liées au bois, dans des articles qui seront publiés avec d’autres contributions régulières sur notre dossier numérique

Dans la première série, nous avons abordé les rapports entre la construction en bois et l’environnement (Ville en bois I – «Nouvelles voies») et la refonte des normes incendie et de sécurité (Ville en bois II – «La mise en œuvre du bois est devenue plus simple»). La deuxième série explore des «Mégatendances» (Ville en bois III – «Mégatendances comme moteurs») et des questions commerciales en lien avec de grands lotissements (Ville en bois IV – « Développements et nouveaux bâtiments »), ainsi qu’en matière de rationalisation (Ville en bois V – «Modules, éléments, participation, BIM et objets provisoires»).

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