Un voya­ge vi­suel char­gé d’hi­stoi­re

Dans le cadre du concours ­organisé en 2018 en vue de la réalisation de l’ambassade suisse et de sa résidence à ­Addis Abeba, OLBH, Office ­Leibundgut Bühler Hartmann1 emporta l’adhésion du jury grâce à une proposition polysémique qui a entre-temps ­atteint le stade de l’avant-projet. Depuis, les références iconographiques utilisées dans le projet servent aux architectes dans leur recherche de partenaires et de matériaux.

Data di pubblicazione
28-11-2020

«The Flag Incident», le projet lauréat du concours en vue de la réalisation de l’ambassade suisse à Addis Abeba, contrairement aux modes de rendus habituels, se présentait sous forme de collage. Dans le milieu des architectes, la référence a ­valeur d’icône. Sur le bord des images ­figure avec une écriture fine ce dont il s’agit: «Lina Bo Bardi, Casa de Vidro, São ­Paulo». Les architectes ont repris dans leur image de la Casa de Vidro, le mobilier élégant, la végétation tropicale du ­jardin et le sol en mosaïque bleu clair d’une grande finesse; ce à quoi ils ont ajouté le plafond à caissons en béton de couleur rouge constituant un contraste accusé, ainsi qu’une pergola sur la façade côté jardin. L’original de cette référence remaniée vient d’Amérique du Sud, dans un contexte tropical humide, et aiguise sans doute le regard sur les conditions réelles du lieu : Addis Abeba, au nord de ­l’équateur, située à 2300 mètres au-­dessus du niveau de la mer, est marquée par un ­climat subtropical, souvent frais. La structure révisée constitue une adaptation au climat et aux fonctions les plus variées, mais évoque également une autre culture constructive, une autre époque et d’autres moyens.

Dans le cadre du projet lauréat sélectionné à l’unanimité, le jury loua la densité de l’atmosphère qu’il offrait. Au-delà, un paradoxe répond au contexte local et au programme spatial de l’ambassade suisse: les quatre volumes hébergeant les différentes affectations sont insérés dans la topographie en respectant leurs fonctions. Par ailleurs, une structure de plate-forme et de toiture en partie ouverte, en partie fermée, les associe en une entité clairement définie, mais perméable sur le plan spatial. La plateforme offre aux employés un accès séparé de celui des visiteurs. 

L’ambassade dans son ensemble paraît ainsi être de taille importante et offre une image représentative, tout en demeurant modeste dans ses divers secteurs. L’espace bâti et non bâti se complètent au sein d’une structure qui institue un jeu spatial avec le jardin et ses plantes. En raison de la plateforme surélevée, l’espace du jardin se prolonge dans une large mesure sous le bâtiment. Le programme du concours prévoyait l’insertion du jardin de l’ambassade existant, dont cinq arbres qui mériteraient d’être conservés. L’espace extérieur doit dans le futur être complété par d’autres plantes locales et une gestion de l’eau respectueuse du développement durable. Il s’agit, comme dans le cas de nombreux autres aménagements marquants de la ville, d’un espace arrosé artificiellement.

Premier voyage et respect du ­développement durable

Après les premières réunions avec l’OFCL, Florian Hartmann, Piero Bühler et Johannes Leibundgut se rendirent pour la première fois en Éthiopie au printemps 2019. Ils visitèrent le bâtiment actuel, relativement modeste, de l’ambassade suisse d’Addis Abeba situé sur un des axes de circulation principaux de la ville. Sur le terrain de 4825 m2, légèrement incliné en direction de l’est, devait être implanté un nouveau complexe d’une grande limpidité. À l’occasion de cette visite du lieu, nombre de décisions prises dans le cadre de leur projet ont été confirmées, tandis que d’autres choix ont été relativisés. Ce fut là aussi l’occasion de nouer des contacts utiles. Ils rencontrèrent entre autres Rahel Shawl de RAAS Architects. Le bureau avait suivi la réalisation du bâtiment en béton de couleur rouge que Dick van Gameren et Bjarne Mastenbroek avaient conçu pour l’ambassade néerlandaise. «Ils ont l’habitude du contact avec des partenaires internationaux, possèdent un regard aiguisé pour les matériaux locaux, la main-d’œuvre artisanale et les techniques de construction, tant est-africaines qu’européennes. Cela fait d’eux d’excellents partenaires en vue d’assurer la liaison entre nous et les entrepreneurs locaux», souligne Piero Bühler.

À Addis Abeba, les bâtiments de grande taille sont en général réalisés en béton. Il est évident que de nombreux éléments qui constituent la structure de base – par exemple les façades en verre de grande taille qui doivent répondre au concept de sécurité du KMZ (Centre de gestion des crises) – doivent être importés. De même, l’acier destiné à la construction en béton armé du bâtiment largement ouvert, doté d’une structure spatiale flexible, n’est pas fabriqué en Éthiopie. Dans le concours, il était stipulé que le bâtiment devait garantir la neutralité sur le plan énergétique et des frais d’entretien réduits. Or, dans quelle mesure, en dehors de l’exploitation proprement dite, la mise en œuvre de la stratégie suisse en matière de développement durable – notamment dans le domaine de l’environnement – peut-elle s’appliquer dans un pays non européen? Lors de la phase de construction, qui représente une part importante de l’énergie grise, il est exigé de fournir les données portant sur la consommation d’énergie dans le cadre de la production des matériaux, le transport et la mise en œuvre, ainsi que de la déconstruction ultérieure. Ces dernières ne peuvent pas être obtenues de la même manière à Addis Abeba qu’en Suisse. Par ailleurs, un certain nombre d’éléments tels que l’isolation thermique des murs, qui représentent une part im­portante de l’énergie grise, ne sont pas requises en raison du climat plus clément.

Caroline Schnellmann de l’OFCL précise: «La rentabilité du projet a été examinée dans le cadre du jugement du projet par un économiste de la construction. Une analyse approfondie du contexte local en ce qui concerne les matériaux, leur transport, le lieu de leur fabrication et leur durabilité est effectuée au cours des phases d’avant-projet et de projet, en collaboration avec les planificateurs locaux.» Les normes tant locales que suisses sont analysées sous l’angle de la faisabilité et adaptées en cas de besoin. Dans ce domaine, il s’agit avant tout de faire preuve de bon sens. Quoi qu’il en soit, les architectes se félicitent de la collaboration avec l’OFCL et profitent de son expérience de constructeur à l’étranger.

La recherche d’un équilibre culturel

Une thématique centrale, passionnante autant que complexe, découle de l’équilibre entre la diversité culturelle et les techniques architectoniques variées de l’Éthiopie et de la Suisse. Dans leur projet, les architectes prennent position, dans la mesure où ils se soustraient à une matérialisation et à une conception empruntées au romantisme colonial, loin des clichés de l’architecture africaine véhiculée par les Européens. Ils affichent leur intérêt pour l’architecture en terre et les techniques low tech, mais ne revendiquent pas que ces modes de construction soient plus authentiques dans le contexte africain qu’ailleurs.

Quoi qu’il en soit, les techniques vernaculaires auront leur place dans la réalisation. Les architectes proposèrent dans le concours une dalle dotée de hourdis en argile. Entre-temps, ils ont néanmoins visité la faculté d’architecture de la EiABC University à Addis Abeba (voir TEC21 21/2013) en vue de prendre connaissance des nombreuses applications de bâtiments pilotes sur le campus. Ces derniers sont le résultat d’une longue recherche sur la construction en argile, de telle sorte que les spécialistes possèdent une vaste connaissance sur la composition des sols, les mélanges d’argiles, les additifs, les caractéristiques de la matière première et les techniques de mise en œuvre. Les dalles de l’ambassade étant majoritairement porteuses, les parois intérieures peuvent être librement disposées. Elles sont construites en briques d’argile réalisées in situ, un mode de construction qui n’est pas courant, dans la mesure où, à Addis Abeba, les murs sont en règle générale réalisés avec des parpaings creux en ciment. Grâce au soutien de Rahel Shawl, du ­savoir-faire de la Suisse et de celui de la EiABC University, la faisabilité de la ­production de telles briques va pouvoir être étudiée.

Un regard vers le futur et vers le passé

Espérons que les éléments en argile connaissent un jour un développement pilote dans le cadre des ambassades représentatives et prouvent que ce matériau, outre les exemples ruraux modestes, peut se développer à un niveau de qualité élevé dans les villes africaines. Peut-être qu’alors, dans un avenir lointain, l’argile pourra contribuer de manière déterminante au développement durable dans le cadre de projets majeurs – ce qui est particulièrement important en Afrique de l’Est, caractérisée par une croissance importante de la population.

Entre-temps, Bühler se risque à un regard dans le futur proche: «Même après l’avant-projet, nous tenterons de ne pas perdre de vue la vision de la villa de Lina Bo Bardi, dont l’atmosphère nous inspire ; en collaboration avec RAAS Architects, nous sommes à la recherche de matériaux locaux disponibles, de manière à ancrer le projet dans le site et d’obtenir une expression analogue.» En lieu et place du sol en mosaïque bleu clair de la piscine de la Casa de Vidro doit être coulé un revêtement en terrazzo. Il existe un nombre important de sols de ce type en Afrique de l’Est et le marbre éthiopien mis en œuvre présente des veines d’une grande finesse. Cette technique, utilisée depuis l’Antiquité, fut ensuite perfectionnée par les Italiens et importée à la fin du 19e siècle en Abyssinie. Plus tard, la guerre entre l’Italie et l’Éthiopie éclata, alors que Lina Bo Bardi étudiait l’architecture à Rome à partir de 1934. Depuis l’Italie après un détour par l’Amérique du Sud, la trajectoire de l’inspiration s’achève dans ce pays réfractaire de l’Afrique de l’Est.

 

Note 

 

1.  OLBH, Office Leibundgut Bühler Hartmann (aujourd’hui fusionnés). Ils ont gagné le concours sous la dénomination ARGE Bühler Hartmann und Leibundgut Architekten.

Participants au projet

 

Maître de l’ouvrage: Confédération suisse, Office fédéral des constructions et de la logistique
Chef de projet: Jean-Paul Rausis

 

Architecture: OLBH GmbH (Office Leibundgut Bühler Hartmann, Zürich), RAAS Architects, Addis Abeba (Ethiopie)

 

Architecture du paysage: Goldrand GmbH, Zürich

 

Ingénieur civil: WaltGalmarini AG, Zürich, Afro-European Engineer., Addis Abeba (Ethiopie)

 

Physique du bâtiment, acoustique: Raumanzug GmbH, Zürich

 

Planification électrique: fux & sarbach Engineering AG, Gümligen et Sirhir Electrical Consult, Addis Abeba (Ethiopie)

 

Ingénieur CVCS: Aicher, De Martin, Zweng AG, Zürich et  Mepls Consult, Addis Abeba (Ethiopie)

 

Sécurité et incendie: HKG Consulting AG, Aarau

 

Mobilité: Nagel + Steiner GmbH, St. Gallen

 

Ingénieur assainissement: Süss und Partner AG, Zürich

FACTS & fIGURES

 

Concours de projet ouvert international (GATT/OMC), 2018

 

Utilisation: Ambassade (représentations : diplomatie [avec AU, ONU, Soudan du Sud], consulat [également représentant de Djibouti et du Soudan du Sud], DDC), résidence de l'ambassadeur

 

Réalisation: prévue octobre 2023-août 2025, livraison prévue en décembre 2025

 

Surface du terrain: 6800 m2

 

Volume bâtiments SIA 416: 8300 m3

 

Surface de plancher SIA 416: 2300 m2

 

Surface utile principale SIA 416: 1500 m2

 

Coût de la construction (CFC 1–9): (Selon estimation ± 25 %) 15 Mio CHF