Le sol au ser­vi­ce du pro­jet de pay­sa­ge

En contexte urbain, le sol est généralement perçu comme un matériau terreux et non un milieu organisé et complexe qui possède son propre fonctionnement. La question du sol n’est généralement pas intégrée dans les réflexions sur la construction du paysage urbain, alors qu’il représente un élément essentiel pour assurer le développement des végétaux sur le long terme. La connaissance du sol en amont de la conception des projets de paysage offre la possibilité d’adapter les palettes végétales aux sols en place et de garantir ainsi la reprise racinaire et une croissance optimale des végétaux. 

Data di pubblicazione
06-09-2019

Vassili Vassilievitch Dokoutchaïev (1846-1903), considéré comme le père fondateur de la pédologie moderne, définissait le sol comme «le quatrième royaume de la nature avec les minéraux, les plantes et les animaux». Selon ses propos, le sol suit un cycle de vie : il naît, se développe selon ses lois complexes et peut également dépérir1. Cette approche nous invite à considérer le sol comme une entité à part entière, un volume vivant en constante évolution, mais aussi vulnérable. Cette vulnérabilité est d’autant plus marquée par les activités humaines qui induisent une perte progressive en sol. Aujourd’hui, la sphère scientifique définit le sol comme une ressource naturelle non renouvelable qu’il est nécessaire de préserver. Cette représentation s’est progressivement étendue à la société civile, comme en témoigne la récente initiative populaire contre le mitage du 10 février 2019. 

Cependant cette conception du sol en tant que ressource reste fortement rattachée aux sols agricoles et naturels impactés par le phénomène d’étalement urbain. Le sol urbain en revanche est généralement réduit à la notion de « terre végétale » et demeure le parent pauvre des réflexions sur la construction du paysage urbain. Pourtant, les fonctions écologiques assurées par les sols urbains interviennent dans la fourniture de services socio-environnementaux2 et garantissent ainsi le bien-être des citadins. La conception de sols urbains fonctionnels représente donc un enjeu majeur pour maximiser le bien-être des habitants d’un territoire. La démarche présentée dans cet article s’appuie sur l’application du génie pédologique pour concevoir des sols urbains fonctionnels destinés à pérenniser les plantations et les services qui en découlent. 

1er cas d’étude : adapter les sols au projet de paysage

Pour ce premier cas d’étude, nous prendrons l’exemple d’un projet d’aménagement comprenant un volet paysager et dont l’emprise a été établie sur un espace ouvert (friche urbaine, zone boisée voire zone agricole). Suivant cet exemple, le projet paysager a déjà été défini, notamment le choix des essences arborées qui composeront le projet. L’objectif est donc de proposer une voie de valorisation des matériaux pédologiques qui seront impactés par les opérations de terrassement en réemployant ces matériaux dans le projet. 

La première étape se traduit par un diagnostic agro-pédologique des sols en place et s’inscrit en amont de la phase travaux. Il s’agit de connaître la nature des sols en termes d’atouts et contraintes agronomiques pour supporter des plantations arborées. Les obser-vations pédologiques peuvent être réalisées soit à la tarière manuelle (fig. 1) (intervention rapide, peu intrusive mais qui n’autorise pas une description exhaustive du sol)3, soit à la pelle mécanique (description du sol plus complète mais intervention coûteuse et qui nécessite une planification plus poussée). Les observations pédologiques sont réalisées sur l’ensemble de l’emprise du projet, de manière à obtenir une vision globale des sols et de leur fonctionnement.

Ces observations offrent la possibilité d’apprécier qualitativement les différentes couches du sol (horizons), c’est-à-dire leurs propriétés physico-chimiques. Dans le cas des plantations arborées, l’objectif est d’identifier les atouts et contraintes agronomiques de chaque horizon rencontré, de manière à évaluer leur potentiel de valorisation sur le projet paysager. L’idée est de réemployer des matériaux pédologiques permettant d’assurer la reprise racinaire des végétaux associés au projet ainsi que leur développement sur le long terme. 

La fertilité des horizons est estimée au regard de six principales propriétés : 

  1. La texture, qui correspond à la répartition des éléments constitutifs de la matière minérale suivant leur géométrie (argiles, limons et sables). Cette propriété conditionne la pénétration racinaire, influence le régime hydrique du sol et la teneur en éléments nutritifs. 

  2. L’acidité, qui influence la nutrition minérale des végétaux. 

  3. La teneur en matière organique, source de nutriments indispensables pour la croissance végétale. 

  4. La porosité, qui favorise la circulation des fluides (eau, gaz) et la pénétration racinaire.

  5. L’épaisseur de l’horizon, qui conditionne le volume de prospection racinaire. 

  6. L’humidité, qui renseigne le régime hydrique du sol. 

Suivant les essences végétales définies par le projet de paysage, le diagnostic agropédologique permet d’identifier les différents horizons qui pourront être valorisés pour reconstituer les sols des fosses de plantations. Le choix des matériaux pédologiques repose sur un travail bibliographique préalable établi sur la base de données d’autécologie4. L’objectif est de reconstituer des sols dont le fonctionnement se rapproche au plus près des conditions édaphiques5 naturelles des essences sélectionnées. Cette démarche porte l’ambition d’assurer un développement optimal de l’arbre sur le long terme. 

Un exemple de reconstitution de sol adapté au frêne commun (Fraxinus excelsior) est présenté en page suivante. Les conditions édaphiques optimales du frêne commun (fig. 2, à gauche) sont indiquées pour chacune des propriétés pédologiques précitées. L’interprétation de ces données d’autécologie permet de définir un schéma de reconstitution de sol (fig. 2, à droite), à savoir : un sol épais, carbonaté (pH basique à neutre), riche en matière organique en surface, peu compacté et présentant une texture fine. Suivant la nature des sols observés sur l’emprise du projet, la démarche consiste à sélectionner les horizons pédologiques présentant des propriétés similaires au modèle proposé en figure 2. 

2e cas d’étude : adapter le projet de paysage aux sols en place

Contrairement à leurs homologues agricoles et naturels, la majorité des sols que l’on retrouve en zone urbaine résulte des processus de création d’espaces urbains (terrassements, mélange de matériaux terreux d’origines différentes, compactage, apport de matériaux de construction, etc.). La diversité de ces processus induit une très forte hétérogénéité spatiale des sols urbains6, d’où la nécessité de recourir à des investigations pédologiques pour connaître la nature des sols susceptibles d’accueillir un projet paysager. 

Pour ce second cas de figure, la connaissance du sol est utilisée pour nourrir la réflexion sur le choix d’une palette végétale relative à un projet paysager. L’objectif est de sélectionner des essences adaptées aux sols en place et donc de garantir une reprise racinaire et un développement optimal du végétal sur le long terme. Au même titre que dans le premier cas de figure, des observations pédologiques (sondages à la tarière manuelle, profil à la pelle mécanique) sont menées pour décrire les sols suivant six propriétés (texture, pH, teneur en matière organique, compacité, épaisseur, humidité). En fonction de la nature des sols en place, une palette végétale indicative est proposée à partir d’un travail bibliographique (données d’autécologie). Cette étape permet notamment de sélectionner les essences les plus adaptées aux sols en place. 

Pour illustrer nos propos, nous partirons de l’exemple proposé en figure 3, à gauche, soit un espace ouvert présentant un sol épais de texture moyennement fine en surface et fine en profondeur, riche en carbonates, organique en surface, compacté et possédant une assez bonne capacité de rétention en eau. À partir de ces informations, une palette végétale indicative est proposée (fig. 3, à droite) au regard des attentes du projet paysager.

Dans ce cas de figure, l’enjeu est d’identifier les facteurs pédologiques potentiellement limitants pour la croissance arborée. Dans cet exemple, la compacité et la teneur en carbonates peuvent représenter des contraintes agronomiques pour des essences calcifuges7 et sensibles à la compaction. L’intérêt d’une telle démarche est d’éviter toute incompatibilité entre le sol et les plantations arborées afin de pérenniser le végétal en zone urbaine. 

Au-delà des enjeux socio-environnementaux, cette démarche présente un intérêt économique pour le gestionnaire puisqu’elle permet de réduire les coûts d’entretien des végétaux sur le long terme (arrosage, remplacement d’arbre, etc.). De plus, la connaissance des atouts et contraintes agronomiques des sols permet également de nourrir la réflexion sur d’autres aspects du projet comme la gestion des eaux de surface par exemple. En effet, la localisation préalable de sols présentant une faible capacité de rétention en eau peut orienter la récupération des eaux grises vers les fosses de plantations en question. •

 

Notes

  1. L. Boukharaeva, M. Marloie. « Vassili V. Dokoutchaiev et l’écologie urbaine » in Étude et Gestion des Sols 20/2013, pp. 117‑126.
  2. Support d’espaces récréatifs et de paysages identitaires, limitation des inondations et des îlots de chaleur urbains, régulation du climat global (stockage du carbone), épuration des eaux, support d’agriculture urbaine. 
  3. Le sondage à la tarière manuelle permet d’extraire une carotte de sol contrairement au profil à la pelle mécanique qui autorise une observation du sol dans son ensemble. 
  4. Sous-discipline de l’écologie qui étudie les rapports entre une espèce végétale et son milieu. 
  5. Qui concerne le sol et plus largement le substrat.
  6. C. Cheverry, C. Gascuel, Sous les pavés la terre, Paris, Omniscience, 2009.
  7. Qualifie une essence arborée qui ne tolère pas un excès d’ions calcium.
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