A Stains, un chantier pas comme les autres
L’association Bellastock se sert des dalles en béton d’immeubles démolis pour générer sur place des modules de construction prêts à l’emploi.
Village Potemkine d’une société (la nôtre) qui s’invente un avenir durable, ou signe tangible d’un changement de paradigme? Le clos Saint-Lazare à Stains est certainement un peu des deux, pour l’instant. Comme la plupart des projets issus de la mouvance architecturale alternative des dix dernières années, ce chantier de Bellastock oscille entre l’animation socioculturelle pour accompagner une ultime démolition imposée par l’ANRU1, et un mandat d’un nouveau type, capable d’inscrire durablement dans les usages une nouvelle façon de concevoir le réemploi dans une démarche constructive.
Car c’est bien de cela que le projet et ses acteurs se revendiquent. Appelés à intervenir dans une cité en rénovation, à deux pas de l’Université Paris 8 et des nouveaux locaux des Archives Nationales, Bellastock a su déployer, dans le contexte technocratique d’un chantier ANRU, tout l’enthousiasme d’un collectif de jeunes architectes engagés.
Leur mission? Développer une filière économique locale de réemploi du béton et la mise à disposition d’éléments prêts à l’emploi. L’action est tout à la fois exemplaire et inédite dans sa concrétisation. Conçu comme un dispositif de réemploi à grande échelle, le projet prévoit la récupération et la transformation d’éléments qui vont servir à aménager l’espace public d’une cité. Le collectif est à l’origine d’une très sérieuse analyse sur la question2, ce qui lui confère un certain savoir-faire dans la mise en œuvre de solutions de réemploi dans des projets de rénovation urbaine. Et pour s’assurer que les choses vont bien se faire, les futurs lots d’aménagement de l’espace public comporteront des prescriptions de réemploi, notamment pour les équipements et revêtements de sol.
Le projet s’active aussi sur un autre terrain, non moins essentiel: reconstruire du lien social autour d’un chantier ouvert et faire acte de pédagogie en expliquant les vertus du réemploi à ceux et celles qui regrettent de ne pas avoir, comme «tous les autres», droit à du neuf. Préfigurant les aménagements à venir, des fragments en béton ont été utilisés pour paver une allée de l’espace consacré au projet, un terrain d’expérimentation à l’entrée de la cité, censé faire le lien entre l’état actuel et celui en gestation. Plus important, ce chantier ouvert est devenu un passage obligé des écoles et des maisons de quartier du coin. On vient y jardiner, s’initier aux rudiments de l’écologie constructive et, qui sait, peut-être se découvrir une vocation dans les métiers liés à la culture du bâti.
Il est indéniable que la pratique alternative de l’architecture jouit ces dernières années d’une certaine reconnaissance officielle. De marginaux qu’ils ont été pendant longtemps, ces collectifs pleins de bonnes intentions sont devenus des interlocuteurs crédibles pour les maîtres d’ouvrage, municipalités et autres organismes impliqués dans la fabrique de la ville. ETC, Coloco, Encore Heureux, Bellastock viennent combler un véritable besoin de construire différemment. Leur approche civique apporte du sens là où le relativisme ambiant de notre époque peine à en trouver.
Si le projet urbain, perçu comme la manifestation du progrès, allait de soi au 20e siècle, il a aujourd’hui besoin d’être justifié, défendu, argumenté à l’aune des nouvelles préoccupations écologiques, et des diverses crispations sociétales face aux questions d’intégration. Quelle ville et pour qui? Telle est peut-être la question la plus délicate à laquelle ces collectifs répondent.
Ainsi, la place de la Nation fait l’objet depuis un an d’une tentative de reconquête avec l’aide des habitants. La réduction drastique de l’espace alloué à la voiture de sept à trois voies crée les conditions d’un chantier participatif, visant à briser une partie de la chaussée pour végétaliser ce gigantesque giratoire de l’est parisien. Si le résultat de ce work in progress est moins spectaculaire que l’aurait été un chantier de réaménagement conventionnel, la démarche lente de Coloco présente l’intérêt d’arrimer la transformation à l’action des habitants disposés à y prendre part.
Pour dire les choses plus simplement, l’aménagement ne précède pas, comme c’est habituellement le cas, le nouvel usage. Ici, c’est plutôt une nouvelle pratique du lieu qui doit lentement se concrétiser dans un nouvel aménagement. Le changement de paradigme est de taille et incarne un des principes fondamentaux du chantier ouvert: l’approche incrémentale, qui va aller puiser dans l’usage temporaire et dans le chantier même les éléments pour définir et orienter les travaux. D’un point de vue procédural, là réside la principale différence entre un chantier planifié classique et un chantier ouvert. Reste que cette approche demeure encore trop souvent cantonnée à des réalisations complémentaires: l’aménagement extérieur ou l’ouvrage relevant du 1% culturel. Perçue comme radicale, trop expérimentale pour s’étendre à l’aménagement du bâti, elle est rarement en œuvre dans la construction de logements.
Si le chantier du clos Saint-Lazare a le mérite d’envisager le réemploi à grande échelle, il reste, malgré la bonne volonté du bailleur social, en deçà de ce que pourrait être un chantier de réemploi appliqué à la rénovation des milliers de logements de l’ensemble historique d’Emile Aillaud.
Ce potentiel apparaît d’autant plus que Bellastock a fait de sérieux efforts pour démontrer que l’architecture du réemploi est capable d’autre chose que d’installations temporaires faites de palettes et de bois de coffrage. Un des modules a été construit avec des blocs en béton sciés dans les dalles d’un des immeubles détruits. La qualité tectonique de cette réalisation semble s’adresser autant aux habitants de l’ensemble qu’aux bailleurs sociaux, réfractaires pour la plupart à faire le choix de la radicalité écologique dans une rénovation à grande ampleur.
Force est de constater que les nombreux collectifs qui s’activent sur le terrain de la participativité et de l’écologie constructive ont atteint le degré de maturité qui leur permet de passer aux choses sérieuses. Dans certains pays moins réticents à expérimenter avec l’habitat (Allemagne, Belgique, Pays-Bas), la démarche participative, le réemploi systémique et l’expérimentation typologique ont droit de cité dans la production du logement. En France, malgré l’éloge qui en est fait dans le discours officiel, le réemploi à grande échelle reste difficile à mettre en œuvre, pour de vulgaires questions d’homologation. Réutiliser les huisseries anciennes de qualité ou des poutres en acier récupérées pour construire du logement collectif est quasi impossible. Aucun dispositif ne permet de garantir un matériau ancien. Si Bellastock tire son épingle du jeu, c’est en cantonnant le réemploi à des usages moins exigeants en termes de certification.
Le passage à la vitesse supérieure de l’écologie constructive appelle donc la création d’une nouvelle fonction : celle de l’ingénieur capable de certifier des matériaux qui ne le sont plus, ou qui ne l’ont jamais été, pour avoir été produits à une époque moins avide de certificats.
En attendant que cela puisse se faire, le deuxième décret d’application du permis de faire (lire Tracés n° 19/2017), l’article 88 de la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, permettra d’envisager des exceptions dans le règlement afin de laisser advenir des pratiques de réemploi dans la rénovation ou la construction de logements sociaux. Un début!
Notes
1. En France, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) finance des projets de rénovation urbaine dans les quartiers difficiles, selon des principes de démolition-reconstruction, réhabilitation et résidentialisation.
2. REPAR 1 et 2, programme de recherche et d’expertise de l’ADEME (APr Déchets BTP 2012-2014). Fabrique du Clos, incubation CDClab (Programme Architecture de la Transformation 2015) – Pilote Seine Saint Denis Habitat (SSDH). Référentiel pour le réemploi de morceaux de murs béton, CSTB-Bellastock.