Un geste fort pour les trans­ports pu­blics

Entretien avec Roland Kobel, chef de projet aux CFF

A Zurich, la Durchmesserlinie doit permettre de réduire les temps de trajet sur l’axe est/ouest du réseau ferroviaire suisse alors que la capacité de la gare centrale devrait être accrue d’un tiers. Chef de projet de la Durchmesserlinie aux CFF, Roland Kobel évoque ici les principaux enjeux et défis d’un projet d’infrastructures devisé à plus de deux milliards de francs.

Date de publication
14-05-2012
Revision
19-08-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

La planification des grands projets d’infrastructures est généralement une longue histoire. On imagine que la Durchmesserlinie n’a pas fait exception.

Effectivement, puisque c’est à la fin des années 1990 qu’a débuté le projet « fil rouge » qui visait à améliorer la desserte en direction d’Oerlikon par l’ajout de deux voies supplémentaires le long de la double voie existante. Ces voies devaient partir de la gare centrale vers Oerlikon en passant au-dessus du viaduc de Wipkingen. Cette solution aurait été économiquement plus avantageuse que celle actuellement en construction avec la gare traversante de Löwenstrasse et le Weinbergtunnel. Mais les habitants des 4?e et 5?e arrondissements de Zurich se sont élevés contre une probable augmentation des fréquences et les nuisances que cela aurait entraîné. A la suite de ce mouvement citoyen, la ville de Zurich s’est aussi impliquée, passant du camp des partisans à celui des opposants. Il est ainsi apparu qu’il serait impossible de construire «le fil rouge» sans engendrer de fortes résistances. Cela a abouti à une remise en cause du projet et à la recherche de solutions acceptables, puis au projet actuel.

De quoi ce projet est-il fait ?

Le tracé de la Durchmesserlinie peut être divisé en quatre parties. Il commence à l’ouest avec deux ponts situés entre la gare d’Altstetten et la Langstrasse, destinés aux trains des grandes lignes. Les voies plongent ensuite sous la gare centrale pour rejoindre la gare souterraine de Löwenstrasse (quatre voies) et s’engouffrer dans le Weinbergtunnel (près de 5 km) pour rejoindre la gare d’Oerlikon qui marque la fin du tracé. 
On ne disposait que d’une faible de marge de manœuvre, puisque les niveaux étaient fixés par des éléments existants. Le tracé devait passer sous la gare centrale mais aussi sous un tunnel routier inutilisé construit il y a plusieurs années en prévision d’une liaison autoroutière. De plus, la ligne ne pouvait plonger sous terre qu’après la Langstrasse. Sous la gare principale, il était évident que les voies devaient se situer dans la partie sud : elles ne pouvaient être construites ni au nord, où se situe déjà la gare de la Museumstrasse, ni dans la partie centrale, où cela aurait nui à la capacité de l’ensemble de la gare. Après la gare souterraine, le trajet se poursuit en passant sous la Limmat et le tunnel de Hirschengraben pour remonter à la surface à l’approche de Oerlikon.

Quand fut prise la décision de construire la Durchmesserlinie sous cette forme ?

Le projet d’une nouvelle voie d’environ 10 km souterraine à 60 % fut accepté par les autorités politiques en 2001. Il a ensuite été soumis à un référendum populaire plébiscité par quelque 82 % de votes favorables. On est ensuite passé par les différentes phases de projet (avant-projet, cahier des charges, projet de construction). Les travaux ont été mis en soumission en 2006 et ont débuté en 2007.

Qu’en est-il de son financement ?

En 2001, le Canton de Zurich et les CFF étaient les seuls commanditaires de la Durchmesserlinie. Au début des travaux, le financement incertain constituait un des points critiques du projet, puisque le plan de financement entre la Confédération, le Canton de Zurich et les CFF n’a été conclu qu’en 2008, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi sur les infrastructures. C’est à cette occasion que le projet Durchmesserlinie, à la demande du Canton de Zurich, a été étendu à la construction des voies 7 et 8 de la gare d’Oerlikon. Avec l’aménagement d’Oerlikon, le projet est devisé à 2,031 milliards de francs (base de prix de 2005). La construction simultanée de la Durchmesserlinie et des deux nouvelles voies à Oerlikon est financièrement opportune, puisqu’elle permet une économie d’environ 40 millions de francs.
Il faut en outre remercier le Canton de Zurich qui a permis un rapide début des travaux. Entré en vigueur le 1erjanvier 2008 seulement, le fonds d’infrastructure ne disposait donc pas immédiatement d’argent. Le Canton s’est engagé à préfinancer la participation fédérale à hauteur de 500 millions de francs, prenant notamment les intérêts à sa charge (cette conversation remonte au 13 décembre 2011. Entre-temps les cantons voisins et le canton de Glaris ont décidé de participer à hauteur de 37 % aux frais d’intérêts). Une attitude qui n’a pas forcément été du goût des autres cantons qui ont reproché à Zurich de s’être trop avancé. 

Du point de vue des autres cantons, ce reproche est-il compréhensible ?

La Durchmesserlinie constitue un geste fort du Canton de Zurich en faveur des transports publics. La ZVV (régie des transports de Zurich) est une organisation efficiente qui a une vision à long terme. Le Canton de Zurich a en outre établi des réserves conséquentes pour les transports publics, ce qui lui a permis d’assurer le préfinancement et, par suite, de faire en sorte que 2 milliards de francs soient investis pour la Durchmesserlinie. D’autres cantons pensent que leurs projets auraient, eux aussi, mérité un soutien. La construction se trouve certes à Zurich, mais son utilité s’étendra bien au-delà du seul canton de Zurich.

Comment les travaux sont-ils organisés ?

Les constructeurs désignés sont les CFF. L’ensemble du projet a été divisé en quatre parties, chacune étant dirigée par un responsable de section des CFF auquel répondent les bureaux d’ingénieurs et les entreprises. Selon les phases des travaux, ce sont de 500 à 700 personnes qui collaborent au projet.
De plus, le chantier de la Durchmesserlinie se fait entièrement en milieu urbain. Les nuisances entraînées par les travaux font que nous ne pouvons pas travailler 24 heures sur 24, mais devons en principe œuvrer uniquement de jour, avec une seule équipe dont les plages de travail sont réparties dans une semaine de cinq jours. Il existe bien sûr des exceptions, notamment pour les travaux qui concernent les voies, ou pour le tunnel, dans lequel deux à trois équipes de travail se relaient quotidiennement.

Est-ce que cela a eu des conséquences en terme de planning et de coût ?

Bien sûr, mais d’autres paramètres ont aussi joué un rôle important. Il fallait, par exemple, pour des raisons environnementales, que les matériaux d’excavation du Weinbergstunnel soient évacués vers des décharges par train. La seule possibilité d’évacuation était de passer par la gare d’Oerlikon, qui voit déjà passer 800 trains par jour : nous n’avons ainsi pu disposer quotidiennement que de sept trains supplémentaires, ce qui correspond à 7 000 tonnes de matériaux. Combiné avec la dimension de la section d’excavation et le poids moyen de la molasse à percer, cet impératif lié au transport des matériaux nous a conduit à définir un avancement de 15 m par jour. A noter que cette limitation s’est révélée financièrement avantageuse, puisque la recherche d’un avancement journalier maximal constitue rarement la solution la plus économe.
Toujours concernant le tunnel, l’autorisation de l’OFT délivrée en décembre 2006 exigeait que la distance entre les issues de secours soit réduite de moitié. Le projet déposé initialement prévoyait un espacement de 1 000 m alors que les huit issues de secours sont aujourd’hui toutes distantes de moins de 500 m les unes des autres. Dans un premier temps, nous voulions rester fidèles au projet d’origine. A l’automne 2007, nous avons discuté avec l’entreprise qui nous a dit qu’il faudrait compter avec un semestre de plus. L’entrepreneur avait déjà offert une variante avec des galeries parallèles d’évacuation et de sauvetage qui a été à la base de la réalisation finale. En revanche, cette modification signifiait qu’en plus d’être retravaillé, le projet devait à nouveau être approuvé par l’OFT, une procédure qui dure en principe environ un an. Pour gagner du temps, nous avons présenté le projet aux responsables et résolu directement avec eux tous les problèmes, ce qui nous a permis d’obtenir le permis de construire en moins de quatre mois. Cette modification de commande a naturellement engendré des frais supplémentaires, mais il n’y a pas eu de retard.

La phase de construction rencontre-elle des difficultés particulières ?

Oui, notamment en raison des conditions géologiques. Des sondages effectués dans le secteur de Brunnenhof à hauteur de la Bucheggplatz ont révélé que, localement, le niveau supérieur de la roche consolidée pouvait se trouver bien plus profond que prévu. Les matériaux non consolidés situés au-dessus de la roche étaient saturés en eau et nous avons abaissé le niveau de la nappe pour éviter des venues d’eau. Il en a été de même à proximité de la gare centrale, où le niveau des nappes a aussi été abaissé pour pouvoir construire la nouvelle gare souterraine à l’abri de l’eau.
Nous avons en revanche dû adopter une autre solution pour le passage sous la Limmat où le tunnelier (Tunnelbohrmaschine) a été transformé. Si l’abaissement du niveau de la nappe phréatique constituait la solution la plus économique dans la zone de Brunnenhof, on aurait aussi pu envisager de transformer le tunnelier. Cependant, lors du passage sous la Limmat, il était quasi certain que nous allions traverser des roches saturées en eaux et c’est cela qui a entraîné la décision de modifier le tunnelier. Ce dernier, prévu pour le percement de roches dures, a été équipé d’un bouclier étanche grâce auquel nous avons pu percer les derniers 280 mètres de roche.

Compte tenu de l’environnement urbain, y a-t-il eu des dommages ?

Il n’y a pratiquement pas eu de dommages dans les environs les plus proches. Il y a eu quelques tassements à Oerlikon où des fissures sont apparues sur quelques maisons que nous devons maintenant réparer. A proximité de la gare centrale, les éventuels mouvements des bâtiments, des voies et des terrains sont surveillés en permanence par un système avec 40 tachymètres qui observent quelques 4 000 points de mesure, afin que tout mouvement de terrain soit rapidement détecté. La fermeture de la place de la gare en avril 2009 était assurément imprévue et désagréable. Personne n’avait envisagé qu’une nouvelle machine puisse tomber en panne sous terre?. Le concept de gestion d’un tel événement élaboré pour faire face de tels imprévus, a fonctionné de façon irréprochable.

Les travaux ont commencé en 2007, à partir de quand les voyageurs pourront-ils en bénéficier ?

La gare de la Löwenstrasse et le tunnel de Weinberg seront ouverts au milieu de l’année 2014. Un nouvel itinéraire de S-Bahn entre la rive gauche du lac et le nord de Zurich sera alors disponible. Après son ouverture, les voies 51 à 54 pourront être démolies alors que les deux ponts direction Altstetten seront mis en service. Les grandes lignes pourront alors être directement reliées à la gare de la Löwenstrasse. La Durchmesserlinie sera opérationnelle dans son intégralité pour fin 2015.

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