Un dra­gon rouge sur fond vert

Avec ses murs rouges massifs, l’ambassade suisse à Nairobi, réalisée par Röösli & Maeder Architekten, affiche une élégance pleine de retenue. ­L’architecture ­écologique équilibrée est largement issue d’une coopération inhabituelle entre Kenyans et Suisses.

Date de publication
24-11-2020

L’itinéraire d’accès conduit à travers un petit bois, sans doute un vestige de la Karura Forest voisine qui délimite le quartier résidentiel. Le mur dépouillé d’une teinte rouge-brun inattendue,qui délimite la parcelle de l’ambassade suisse, se dresse à l’extrémité de la voie d’accès. Le nom de la nuance, «Coffee Soil Red», renvoie aux sols à base d’oxyde de fer du Kenya, qui colore le socle de toutes les maisons à la période des pluies. Les architectes ont utilisé le terrain en pente de manière à ce que, depuis l’extérieur, seul un niveau du bâtiment se dévoile.

Ce n’est qu’une fois apparu le rouge vif du drapeau suisse dans le jardin luxuriant qui s’étend derrière le mur d’enceinte et franchie la barrière de sécurité que le site révèle toute sa représentativité. Cette dernière repose sur les candélabres minimalistes imposants, la paroi de verre toute en hauteur qui s’ouvre sur le jardin tropical et le parquet élégant en eucalyptus massif, qui s’étend par-delà les marches aux niveaux intermédiaires inférieur et supérieur. Là se trouvent les locaux de la légation, avec leurs fenêtres d’une taille étonnamment importante pour le climat et la ville. Les espaces de desserte et de bureaux sont traités de manière à abolir toute hiérarchie – développement et coopération (DDC), consulat et diplomatie travaillent sous un seul et même toit. 

Un signal fort en Afrique de l’Est 

L’ambassadeur Ralf Heckner souligne l’importance régionale du Kenya: «Il s’agit du centre économique de l’Afrique de l’Est, où sont prises les décisions les plus importantes de toute la région. En outre, Nairobi héberge le Programme pour l’environnement des Nations Unies et l’agence ONU-Habitat. Le nouveau bâtiment souligne que la Suisse officielle souhaite renforcer sa présence sur le long terme.» Tout cela participe à l’architecture marquante, moderne, du nouveau bâtiment. Le signal ainsi envoyé par les Suisses a donné le ton – à moins que cela ne corresponde aux nécessités politiques et à l’esprit du temps: les Français et les Australiens ont eux aussi accordé une importance toute particulière à leurs nouvelles ambassades. Jusqu’alors, une telle démarche était loin de faire l’unanimité. La plupart des représentations diplomatiques de Nairobi sont implantées dans des quartiers privilégiés, et se caractérisent par leurs vitrages miroitants, les caissons des installations de climatisation et les entrées encadrées de chapiteaux corinthiens. L’architecture de la ­légation de Röösli & Maeder Architekten respecte le standard de la Confédération en matière de développement durable et remplit les conditions du Programme des Nations Unies pour l’environnement. Ce dernier point est crucial pour garantir la crédibilité de la Suisse dans le débat ­parlementaire des Nations Unies – ne
pas prêcher l’eau en buvant du vin en quelque sorte. 

Un travail artisanal sur des éléments massifs 

Depuis le jardin, le bâtiment évoque un reptile rouge, qui se serait lové entre les arbres pour faire la sieste. La gestion thermique du bâtiment fait elle aussi écho au comportement de l’animal. Ainsi, les murs en béton massifs, sans joints, qui s’épaississent autour des fenêtres en brise-soleil coniques formant des caissons, présentent une masse suffisante pour stocker la chaleur diurne ou la fraîcheur nocturne. Il est ainsi possible de se passer de climatisation – du moins lorsque les utilisateurs ne se polarisent pas sur de faibles écarts de température. « Au cours de la saison froide, la température intérieure descend parfois à 18 degrés et, durant la saison chaude, s’élève à 25 degrés, mais il s’agit d’un nombre réduit de jours par année», précise Christian Maeder, qui a suivi la réalisation du bâtiment sur place. À ses yeux, la structure en béton massif, coulé sur place, est un choix majeur. Dans un premier temps, des machines à commande numérique 4-D-CNC ont découpé les motifs du coffrage des façades. Vu le résultat, certains affirmèrent qu’il n’était pas possible de réaliser des coffrages pour du béton apparent aussi complexes au Kenya. De plus, l’ambassade est située dans un quartier résidentiel dans lequel les camions ne peuvent entrer et sortir que ponctuellement, ce qui mettait en cause la livraison du béton. Plusieurs voix ont suggéré aux architectes de se rallier à la solution d’une maçonnerie enduite. « Je suis content que nous ayons maintenu notre idée de départ et que le maître de l’ouvrage ait apporté son soutien à cette démarche», précise Christian Maeder. L’entreprise générale kenyane accepta le défi. Elle nous stupéfia par ses coffrages précis, réalisés à l’aide d’une scie égoïne, ainsi que par la qualité de son béton, mélangé à la main sur le chantier. «Les murs méritent toute notre admiration. Les artisans kenyans sont dignes de notre ­respect», souligne l’architecte. Nombre de processus sont réalisés à la main, de manière artisanale – du gravier aux éléments des conduits de ventilation. «Il est dommage, ajoute Maeder, que tout ce ­savoir-faire se perde avec l’arrivée des produits finis importés. Ce phénomène est fréquent en Afrique de l’Est, à la différence de ce qui se passe en Suisse. Mais lorsque l’on explique clairement ce qu’on veut, on obtient finalement le résultat souhaité.» 

Les Kenyans ont été surpris lorsque quatre Suisses montèrent en moins d’une semaine les fenêtres munies de vitrages de sécurité triples, préfabriquées dans notre pays. Leurs volets de ventilation latéraux étroits sont dotés d’une fine grille métallique. On y trouve de manière discrète le motif de la croix suisse, interprété sous une forme ou une autre sur le plan architectonique dans toutes les légations de notre pays. 

Les fondations d’une profondeur de deux mètres, exigées par les ingénieurs suisses en raison de la portance réduite du sol, se sont révélées particulièrement complexes. Cette minutie suisse fait ­sourire le chef de chantier local Simon Johnson, qui affirme qu’une profondeur moindre aurait largement suffi. Il explique que le défi principal auquel ont été confrontés les bureaux de construction kenyans est celui de l’exactitude. Le béton est certes quelque chose de courant au Kenya, mais les tolérances de l’ordre du millimètre qu’implique le béton apparent coulé sur le chantier ne leur sont pas familières. Et pourtant, le résultat est là, et les ouvriers ont expérimenté un nouveau standard de qualité.

Agir en plantant 

Les eaux grises recueillies dans la partie inférieure de la parcelle sont filtrées à trois reprises avant de servir à l’arrosage du jardin. Les arbres qui s’y dressaient ont été dans la mesure du possible conservés. Röösli & Maeder Architekten avaient prévu dans leur projet de «développer» le bâtiment autour d’eux. «Malgré tout, deux grands arbres locaux ont dû être coupés en raison de leurs racines, qui auraient été trop proches des fondations.» C’est fort regrettable. En effet, leurs capsules, dont tombent des flocons de soie denses après leur éclatement, auraient selon les saisons couvert le jardin de blanc – presque comme la neige suisse. En revanche, de nombreux arbres ont été plantés sur la parcelle. À l’étonnement de nombreux Kenyans, une longue étude a été menée sur les variétés les plus adaptées à la toiture végétalisée, de manière à ce qu’elle ne se transforme ni en un tapis desséché, ni en une jungle luxuriante. L’activiste de l’environnement kenyane Wangari ­Mataai, lauréate du Prix Nobel de la paix, puis ministre, suscita l’incompréhension lorsqu’elle affirma: «Ce n’est que lorsque tu auras creusé un trou, planté, puis arrosé un arbre, l’aidant ainsi à survivre, que tu auras concrétisé quelque chose. Jusque-là, ce ne sont que des paroles.» Garder en tête une sagesse d’une telle modération peut également s’avérer utile chez nous en Suisse.

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