Tas­se­ments, algues et sé­di­ments: la ré­no­va­tion du port de Che­vroux

Avec ses 1100 places d’amarrage, le port de Chevroux (VD), sur la rive sud du lac de Neuchâtel, est le plus grand port de plaisance en eaux fermées d’Europe. Construit en 1970, il a été entièrement rénové entre 2018 et 2020 à l’occasion du renouvellement de sa concession. Au-delà de la question des installations portuaires proprement dites, une intense réflexion a été menée en vue de résoudre la problématique de l’ensablement du bassin.

Date de publication
09-12-2022
Revision
08-12-2022

À la suite des travaux de correction des eaux du Jura, entrepris dès la moitié du 19e siècle, la rive sud du lac de Neuchâtel est, par endroits, « remontée » de plusieurs centaines de mètres vers le nord-ouest. Si cette exondation a donné naissance au biotope exceptionnel de la Grande Cariçaie, elle a aussi privé des villages comme Chevroux d’un accès direct au lac, à une époque où, faute de lignes ferroviaires, la navigation jouait un rôle fondamental dans le transport des biens dans la région des Trois-Lacs. C’est ainsi qu’il fallut prolonger le môle existant de 700 m pour aller chercher la hauteur d’eau nécessaire à l’accostage des bateaux. C’est sur la base de cette digue que s’est construit le premier véritable port de Chevroux, en 19041, puis le port actuel, en 1970. Ce dernier comporte une deuxième jetée, au nord-est, permettant de clore le bassin.

Cinquante ans plus tard, beaucoup d’eau a coulé sous les pontons et le vieillissement du port et de ses installations rendait nécessaire une rénovation d’ampleur, réalisée à l’occasion de la demande de renouvellement de la concession accordée par l’État de Vaud2. Le port de Chevroux se trouvant au cœur de la Grande Cariçaie, le projet de rénovation s’est fait en y intégrant les acteurs régionaux (pêcheurs, association de La Grande Cariçaie, club sportif, garde-port, etc.). «Les discussions constructives ont permis l’obtention rapide des autorisations de construire», tient à signaler Bernard Gret, ingénieur en charge du projet au sein du bureau CSD Ingénieurs. Pour lui, c’est un projet particulièrement intéressant, car il touche des sujets aussi variés que le béton, la construction métallique, la courantologie, l’hydraulique ou encore la biologie.

Les digues s’enfoncent, le bassin se comble

Les deux digues subissaient des tassements différentiels et de la fissuration en raison de leur enfoncement dans des sédiments limono-argileux présentant une faible portance. Ces ouvrages en béton et empierrement se trouvaient ainsi régulièrement submergés lors des épisodes de hautes eaux, noyant l’équipement électrique qui y était apposé. Les pontons métalliques ainsi que leurs pieux montraient des signes de corrosion et certains étaient endommagés par des chocs. Quant au bassin, il faisait face à un ensablement chronique, en raison des courants lacustres qui y emmènent des eaux chargées en sédiments qui se déposent dans les eaux calmes du port. Si les voies de navigation étaient draguées régulièrement, les sédiments s’accumulaient en revanche au niveau des pontons. Enfin, la végétation s’en mêlait : le bassin était également confronté à un problème de prolifération d’algues nécessitant un faucardage régulier. Enfin, la position du débarcadère de la Société de navigation sur les lacs de Neuchâtel et Morat (LNM), à l’intérieur du port de plaisance, imposait aux bateaux passagers de réaliser une manœuvre bloquant le trafic à chacun de leur passage.

2500 pieux

La digue nord, qu’emprunte la majeure partie des plaisanciers, a été renforcée et remise à niveau au moyen d’une passerelle métallique réglable afin de ne pas surcharger la structure en béton et l’empierrement. Elle a également été élargie afin de fluidifier leurs déplacements. L’ensemble des pontons flottants métalliques, leurs 90 pieux de maintien ainsi que pas moins de 2500 pieux d’amarrage en acier galvanisé ont été remplacés. Les nouveaux pontons flottants sont constitués de caissons en polyéthylène rempli de polyuréthane sur lesquels est dorénavant intégrée la distribution de l’électricité, l’éclairage et les prises d’eau. Ces installations suivent les variations du niveau du lac, empêchant leur ennoiement. L’ensemble des éléments en acier démontés de l’ancien port a intégré des filières de recyclage.

Un nouveau débarcadère

Afin de combler les inégalités dues au tassement et à la fissuration, le surfaçage en béton de la digue du môle a été rehaussé et refait jusqu’au niveau de l’ancienne station de pompage. La partie située plus en avant a quant à elle été démolie sur 15 m pour faire place à un nouveau débarcadère rendant obsolète la manœuvre des bateaux évoquée plus haut. Ce dernier, long de 114 m et large de 4 m, est composé d’une passerelle et d’une raquette de débarquement. La passerelle est constituée d’une structure métallique (40 t) fondée sur 42 pieux (longueur : 18-35 m; Ø : 0.4 m) vibrofoncés dans les sédiments et sur laquelle prennent place 17 dalles en béton préfabriquées (dimensions: 4 × 6 m ; poids : 17-22 t/pièce). La raquette suit le même principe constructif mais est ceinturée de l’appareil de choc destiné à amarrer bateaux de la LNM, notamment lors de conditions venteuses.

Empêcher l’ensablement

La nouvelle passerelle cache également un rideau de palplanches (GU 7N ; longueur : 40 m ; surface : 800 m2) accolée au môle. Il fait partie du projet développé pour réduire l’ensablement du bassin portuaire, notamment au niveau de la passe d’entrée. Car les vagues qui nuisent le plus au port sont invisibles : ce sont les dunes de sable qui se déplacent au gré des courants. Les simulations numériques effectuées dans le cadre d’une étude de courantologie ont mis en évidence que la géométrie des digues tend à faire entrer dans le port les eaux chargées en sédiments emmenées par les courants lacustres. À cet égard, la géométrie rectiligne du lac de Neuchâtel et la topographie de sa rive sud sont particulièrement défavorables. Le lac est en en effet orienté selon un axe NE-SO, soit celui des vents dominants (vent d’ouest et bise). La longueur du lac, 38 km, offre un fetch3 permettant déjà le développement de vagues conséquentes. De plus, la rive sud du lac est en pente très douce sur plusieurs dizaines/centaines de mètres, ce qui permet aux vagues et aux courants d’éroder et de mobiliser d’importantes quantités de sédiments, particulièrement lors des épisodes de bise. Le rideau de palplanches sous la passerelle du môle ainsi qu’un enrochement (600 t) à l’extrémité de la digue nord ont été conçus de manière à dévier ce courant chargé vers le large, où le lac atteint rapidement une grande profondeur. Le nouveau débarcadère est en effet positionné jusqu’au niveau de la rupture de pente sous-lacustre. En complément, les anciennes passes pour la circulation des eaux du port ont
été condamnées.

Pour éviter tout croupissement des eaux dans le bassin d’amarrage, une pompe de circulation des eaux a été implantée à l’extrémité du môle. Son débit peut varier de 0 à 250 l/s et peut être ainsi réglé en fonction des variations saisonnières de la température de l’eau. La crépine d’aspiration, implantée à l’extrémité du débarcadère à une profondeur de 3 m, permet de capter et d’injecter de l’eau froide dépourvue de sédiments en amont du port, réduisant ainsi fortement le développement algal et l’ensablement du port de plaisance. Le débit maximal permet de renouveler l’eau du bassin en l’espace d’une semaine.

Dragage et élimination des sédiments

Les travaux de rénovation des installations portuaires se sont faits sur deux ans en deux étapes durant lesquelles une moitié du port était vidée de toute embarcation afin de libérer le plan d’eau pour les machines. Il a ainsi été possible d’effectuer un dragage en profondeur, surtout au niveau des pontons. Réalisé au moyen d’une dragline, il s’est déroulé sur une période totale d’un mois. Il a permis d’atteindre une profondeur de 2,7 m sous le niveau des eaux moyennes et l’excavation de 3500 m3 de sédiments. En raison du lessivage des peintures antifouling qui protègent les coques des bateaux, les sédiments portuaires peuvent présenter une forte teneur en métaux lourds, imposant une évacuation en décharge. Les analyses effectuées à Chevroux ont montré que les valeurs atteintes autorisaient leur élimination par noyage au large, sur les sites prévus à cet effet. Dans le cadre du renouvellement des installations portuaires, une place de carène sécurisée a été réalisée. Elle permet le nettoyage et l’entretien des bateaux en canalisant les eaux polluées pour leur traitement.

Si les plaisanciers ont dû patienter jusqu’en mai 2021 pour fêter l’inauguration officielle du port, ils disposent maintenant une d’une infrastructure prête à les accueillir pour les 50 prochaines années.

Notes

 

1. Le Bulletin technique de la Suisse romande décrit ainsi le port construit en 1904 : « Le port comprend un bassin ayant une largeur de 60 m utile, permettant à un des grands bateaux de la Compagnie de navigation de tourner sur place et à la flottille des bateaux de pêche de trouver un abri ; il doit permettre aussi le chargement et le déchargement faciles des marchandises. Il a été établi le plus près possible du village, de façon à diminuer la longueur de la chaussée à exhausser, sans demander des dragages trop onéreux. Il possède une estacade permettant l’accès des bateaux à vapeur.

L’accès des bateaux du côté du lac est constitué par un chenal dragué, ayant 30 m de largeur utile et balisé par des perches et des feux électriques.

La cote du dragage a été calculée en tenant compte qu’il fallait avoir 1,2 m d’eau dans les basses eaux ; celles-ci étant descendues à la cote 431,65 m, on a prévu le dragage à la cote 430,45 m, qui est celle du port de Neuchâtel.

Ces dragages, comme les autres travaux, ont été exécutés en régie, l’État n’ayant point trouvé d’entrepreneurs pour traiter sur une série de prix. Ils comportaient l’extraction de 30 000 m3 de sables et limons pour être mis en remblais pour l’exhaussement de la chaussée, la construction du plan incliné au fond du port et le solde emmené dans les bas-fonds du lac. » M. L. Deluz, «Le nouveau port de Chevroux sur le lac de Neuchâtel», Bulletin technique de la Suisse romande, 12/1904, pp. 249-251

 

2. Le projet de rénovation comportait également la construction d’un nouveau hangar à bateaux pour le compte d’Armasuisse, sur laquelle l’article ne revient pas.

 

3. Le fetch est la distance en mer ou sur un plan d’eau au-dessus de laquelle souffle un vent donné sans rencontrer d’obstacle depuis l’endroit où il est créé ou depuis une côte s’il vient de la terre. Cette notion permet de comprendre la hauteur des vagues et de la houle à un endroit donné. Toutes choses étant égales par ailleurs, plus le fetch est important plus la hauteur des vagues sera grande.

Rénovation du port, Chevroux (VD)

 

Maître d’ouvrage: Commune de Chevroux

Génie civil: CSD Ingénieurs, Lausanne

Travaux hydrauliques: Marti Arc Jura, Cornaux

Pieux et dragage: E. Bühler & Fils, Marin-Épagnier

Estacades: Hydrokarst Swiss, Suigiez

Construction métallique: Stephan, Givisiez

Courantologie: AquaVision Engineering, Ecublens

Travaux de GC: Grisoni-Zaugg, Domdidier

Durée des travaux: 2018-2020

Coûts totaux: 14 mio CHF

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