Structure à réemployer cherche maître d’ouvrage pour relation durable
Le démontage de la halle Cafag, à Fribourg, pourrait être un projet pionnier en matière de réemploi. Cette expérience à grande échelle permet de montrer le potentiel du réemploi de structures porteuses, et surtout les barrières auxquelles ce type d’initiatives peuvent se heurter.
Si le réemploi se concentre souvent sur les éléments secondaires, voire tertiaires de la construction, une expérience actuellement portée par des professeur·es de la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA-FR) a décidé de s’attaquer au cœur du problème: la structure primaire.
Sauver la halle Cafag
Édifiée dans les années 1950, cette halle située non loin du quartier de Pérolles à Fribourg a longtemps abrité les stocks de carton de l’entreprise Cafag. Elle se situe aujourd’hui au cœur d’un développement immobilier de grande importance. Comme elle ne figure sous aucun inventaire, la structure était vouée à une destruction certaine. C’était sans compter l’intervention de la HEIA-FR: en 2013, un groupe d’étudiant·es en première année d’architecture découvre la halle, à la suite d’un exercice d’observation. Ils et elles sont d’abord fasciné·es par ses proportions remarquables et ses détails, qui leur rappellent les projets de Jean Prouvé. D’une grande légèreté, elle est composée d’un assemblage sans soudure de tôles pliées de 1,7 mm d’épaisseur, boulonnées tous les 30 cm. Breveté sous le titre «Polynorm», ce type de structure est un système d’urgence développé dans l’après-guerre aux Pays-Bas. C’est a priori la dernière qui reste en Suisse. La préserver répond donc à deux impératifs : d’une part la sauvegarder, pour raison patrimoniale, mais aussi et surtout en faire un cas concret et emblématique d’un projet de réemploi d’une structure porteuse complète.
Qui paie?
«En architecture, prendre du seconde main n’est pas moins cher», explique Séréna Vanbutsele, l’une des initiatrices du projet, sous la charpente mise à jour de la structure. Nous sommes en septembre 2022, dans la courte fenêtre de six semaines allouée pour le démontage de la halle, soit un mois avant que les entreprises de démolition ne fassent place nette pour le chantier du futur quartier de logements. Les pièces filigranes de 9 m de long qui constituaient la façade reposent sur le sol; elles sont démontées par les membres de La Ressourcerie, une association qui développe et gère un centre de compétence du réemploi en ville de Fribourg. Dans un tel projet, pas de manuel d’utilisation: il a fallu décrypter les étapes de montage originelles et surtout étiqueter scrupuleusement les pièces – un travail long et donc onéreux. Converti en salaire horaire, le coût de l’opération pourrait avoisiner 250 000 CHF pour le démontage, contre 70 000 CHF pour la démolition. Un chiffre que les initiateur·ices conseillent de considérer avec prudence: «Il s’agit d’un projet pilote, l’objectif est d’améliorer les processus pour les rendre moins chers.»
C’est le calcul fait par l’entreprise de construction métallique Morand, partenaire de l’opération et responsable du démontage des portiques de la structure, qui seront stockés sur l’ancien site industriel AgriCo à Saint-Aubin (FR)1. Pour l’entreprise, c’est l’occasion d’acquérir des compétences en déconstruction et de se positionner sur une mise en œuvre de l’acier plus écologique. La Ville de Fribourg elle aussi parie sur ce projet pionnier puisqu’elle a accepté d’en financer une partie dans le cadre de sa politique de promotion économique (nouvelle politique régionale – NPR).
Si la structure Polynorm a été imaginée à une époque où la main-d’œuvre était moins coûteuse que l’acier, l’augmentation actuelle des prix des matériaux et leur disponibilité limitée laissent présager que le réemploi des structures porteuses pourrait gagner en intérêt.
Un futur usage
La halle aujourd’hui démontée n’est pourtant pas au bout de ses peines. La structure pourra-t-elle être remontée dans son intégralité? Satisfera-t-elle aux normes suisses actuelles? Et surtout, à quel usage sera-t-elle destinée? Pendant des années, la halle inoccupée a accueilli des usager·ère·s peu visibles comme des groupes de skateur·euses. Aujourd’hui, les porteur·euses du projet veulent en faire un démonstrateur, en hébergeant un programme public et en en faisant un lieu susceptible d’inspirer à son tour. «Notre objectif? Que cela devienne normal de déconstruire et de réemployer », dit André Jeker, professeur à la HEIA-FR. Selon lui et ses collègues, si le soutien de la Ville de Fribourg démontre la faisabilité du projet, il reste beaucoup de travail concernant les structures qui accompagnent ce type de projet, comme les calendriers de chantier – qui ne tiennent souvent pas compte des phases de déconstruction –, ou encore les polices d’assurance – un élément démonté est-il par exemple assuré à titre mobilier ou immobilier? «Il y a également des métiers et des filières à mettre en place, renchérit Séréna Vanbutsele, et il paraît évident que cela doit se faire de manière régionale.»
Note
1. Le site de Saint-Aubin a déjà connu plusieurs expériences de réemploi. Voir Sandrine Perroud, «EPFL students recycle an old industrial site of Fribourg», Actu EPFL, 31.05.2018
Démontage et réemploi de la halle CAFAG, Fribourg (FR)
Porteur·euses de projet: Nicolas Grandjean, Reto Mosimann, André Jeker, Séréna Vanbutsele, TRANSFORM (HEIA-FR)
Partenaires: Morand Constructions Métalliques, La Ressourcerie, Roth échafaudages, Loxam
Démontage: Août-septembre 2022
Surface: 31,7 × 21,7 m (688 m2)
Dimensions: 7 portiques de 9,5 m de haut
Coût démontage: 250 000 CHF
Calendrier: Validation du projet de recherche (mars 2022); lancement (juillet); chantier de démontage (août-septembre 2022)