St-Mar­tin 16-18

En mettant l’espace public et la typologie des logements au cœur de sa réflexion, le bureau Alain Wolff architectes remporte le concours St-Martin 16-18. Lancé par la Fondation lausannoise pour la construction de logements (FLCL), ce dernier soulève la question de la pertinence des outils de planification généraux pour des programmes et des contextes urbains aussi particuliers

Date de publication
22-07-2015
Revision
22-10-2015
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

Les rapports de jury sont la plupart du temps des documents dont le contenu administratif et le verbiage professionnel utilisé découragent plus d’un lecteur. Comme me l’a dit un jour un haut fonctionnaire de l’arc lémanique, peu lus mais beaucoup feuilletés, ils ne servent aux professionnels qu’à humer le «zeitgeist » pour nourrir leurs propositions des concours à venir.
Mais la lecture attentive de deux rapports de jury publiés dernièrement m’a fait découvrir le rôle politique que pouvaient revêtir ces écrits. Lors du concours «Route de Vernier 115» lancé par la fondation de la Ville de Genève pour le logement social et la Ville de Genève, portant sur la construction de logements, d’équipements pour la jeunesse et pour le sport et d’une auberge, le jury a décidé d’attribuer le mandat d’étude à un projet ayant été exclu des prix en raison de sa non-conformité au plan localisé de quartier. Même si ce «tour de force» est légalement autorisé grâce à l’attribution de la mention (art. 22 du règlement SIA 142), il condamne le plan localisé de quartier soulignant ainsi son inadéquation au contexte.
Dans le concours qui nous intéresse plus directement ici, le jury relève aussi – de manière plus explicite – un dysfonctionnement: «Le jury s’interroge également sur la pertinence de la rigueur d’application d’un plan général d’affectation (PGA) dans le cadre d’un concours. La confrontation avec l’interprétation que font les projets du PGA qui, lorsqu’il est appliqué de façon stricte, ne permet pas d’atteindre la conformité, met en évidence les limites de celui-ci. En effet, pourquoi certains projets reconnus par le jury pour leur justesse et leur qualité d’insertion urbaine, se tenant parfois en deçà des droits à bâtir devraient être pénalisés»1
A la lecture du programme du concours et du PGA de la Ville de Lausanne, nous ne pouvons que donner raison aux membres du jury.
Ce concours d’architecture en procédure ouverte a été lancé suite à une note adoptée en 2012 par la Municipalité de Lausanne. Cette dernière approuve la construction d’un nouvel immeuble aux numéros 16 et 18 de la rue St-Martin pour y abriter de l’hébergement d’urgence, des logements sociaux et de nouveaux locaux administratifs. Composé de deux parcelles situées au centre de la capitale vaudoise – l’une en zone urbaine et l’autre en zone de parcs et espaces de détente –, le terrain comprend le charmant et méconnu parc de la Solitude et s’étend sur une surface de 7590 m2. De ces 7590 m2, le PGA et le plan de zone n’autorisent la construction que sur une bande de 2105 m2 longeant la rue St-Martin. Les organisateurs ont intelligemment intégré le parc au concours, demandant de repenser les liaisons piétonnes et visuelles entre la rue St-Martin et la rue César-Roux. Dommage qu’ils n’aient pas poussé leur logique jusqu’au bout en exigeant des équipes pluridisciplinaires architectes et paysagistes.
C’est donc sur un site au contexte stimulant – la possibilité de réaliser un bâtiment en plein centre-ville se fait de plus en plus rare –, à la topographie intéressante mais au périmètre de réalisation très restreint et contraignant, que les participants ont dû proposer un projet devant intégrer pas moins de cinq programmes différents:

  • des locaux pour accueillir en alternance «l’Espace», un lieu d’accueil de jour et d’orientation des populations vulnérables et la soupe populaire;
  • des logements sociaux de 1, 2, 3 et 4 pièces;
  • l’hébergement d’urgence (sleep-in) et des logements communautaires;
  • un hangar d’entretien pour les véhicules des services communaux des routes et de la mobilité et des parcs et domaines;
  • un parking souterrain de 16 places automobiles, 25 places pour 2 roues et 38 pour vélos.


L’espace public au service du programme

Septante-sept projets ont été scrutés par le jury dont le choix s’est porté à l’unanimité sur la proposition «le manteau» du bureau Alain Wolff architectes de Vevey.
Elle s’articule autour d’un bâtiment détaché en forme de U irrégulier. Pour l’architecte, ce choix, qui est également celui de deux autres projets primés (voir les projets primés ici), est d’abord contextuel: «Le tissus urbain de la rue St-Martin est relativement hétérogène dans cette zone. A l’imposant bâtiment des Retraites Populaires, qui constitue un front bâti, succèdent une urbanisation discontinue, avec les hangars de la ville et deux bâtiments des années 1970 implantés perpendiculairement à la rue. Ces constructions sont séparées par une succession de vides, formant des poches transversales. Elles font place, ensuite, à un nouveau front de rue formé de bâtiments plus anciens. Il nous semblait intéressant de nous inscrire dans ce contexte plutôt que de chercher la continuité avec le bâtiment des Retraites Populaires». Ce parti pris, souligné par le jury, permet d’aborder avec sérénité et intelligences les problématiques urbaines liées aux programmes. Le choix de la discontinuité permet à Alain Wolff de donner à l’espace public une importance fondamentale. L’espace généreux entre le bâtiment des Retraites Populaires et le futur bâtiment, au sud, offre une perméabilité, une relation physique et visuelle avec la promenade de la Solitude. Il n’est pas considéré comme un espace interstitiel mais – comme le démontre le langage formel de cette façade pignon identique à celle de la façade principale à l’ouest – comme le prolongement de la rue St-Martin. Cet espace public enveloppant le projet permet d’organiser et d’affirmer clairement pour chaque programme son entrée tout en aménageant des liens et des espaces de rencontres.
L’accueil de jour, la soupe populaire et l’hébergement d’urgence occupent les trois premiers niveaux sur rue. Les parkings et le local municipal sont situés à l’arrière.
Les logements sociaux des quatre étages supérieurs sont organisés autour de deux larges cages d’escalier dont l’accès peut se faire côté rue ou côté promenade et qui distribuent cinq appartements par étage.
L’organisation et la typologie des appartement répond à l’une des grandes préoccupations des autorités: la sécurité. En effet, organisé en couronne autour des cages d’escalier, les appartements bénéficient presque tous des situations d’angles. Les logements au centre sont traversants. Dans une volonté d’assurer une certaine sécurisation de l’espace public par des contacts visuels et physiques, les pièces de vie et les espaces communs ont été systématiquement situés du côté de ce dernier.
Comme Martin le Miséricordieux qui offre son manteau, le projet d’Alain Wolff fait preuve d’une certaine empathie; il assume également la préoccupation sécuritaire des autorités, favorisant, grâce au dispositif typologique le contact, les échanges et le contrôle social des habitants. Deux points qui, à la lecture du rapport du jury, semblent avoir joué un rôle décisif dans son choix.

Des outils de planification appropriés?

A l’instar du premier prix et de son ingéniosité programmative et typologique ou de la belle proposition formelle du second prix proposé par P2L I Architectes, les projets primés sont tous d’une bonne facture. Mais, dans notre société, l’hébergement d’urgence devient un sujet de plus en plus présent dans la fabrique de la ville. Et, un programme complexe comme celui de St-Martin 16-18, aurait peut-être mérité mieux que ce que les outils de planification – en l’occurrence ceux de la Ville de Lausanne et de son PGA – permettent de proposer. Un concours d’architecture basé sur quelques règles urbanistiques et architecturales simples, suivi d’un plan partiel d’affectation, aurait donné aux architectes une plus grande liberté dans l’intégration contextuelle. Ces derniers auraient probablement également des propositions plus innovantes pour un bâtiment dont le programme déborde très largement des mûrs dans lequel il est contenu.

 

Note

1. Ville de Lausanne, FLCL, Rue Saint-Martin 16-18 à Lausanne. Construction d’un bâtiment de logements sociaux, locaux administratifs et ateliers. Rapport du Jury, mai 2015, p. 14

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