Snozzi, l’ar­chi­tecte mi­li­tant

Hommage de Luca Ortelli à Luigi Snozzi

Le 29 décembre dernier, Luigi Snozzi est décédé à l’âge de 88 ans. Protagoniste de l’architecture tessinoise qui avait dominé la scène architecturale dans les années 1970 et 1980, Snozzi a enseigné à l’EPFL, d’abord en tant que professeur invité et par la suite en tant que professeur nommé jusqu’en 1997, année de sa retraite.

L’élément le plus caractéristique de son architecture est une forme de radicalité intransigeante accompagnée d’une passion profonde pour la ville en tant qu’expression inégalée de richesse et d’intelligence. Ses nombreux projets – dont seulement une partie fut réalisée – montrent toujours leurs objectifs avec extrême clarté. La recherche de formes élémentaires s’accompagne d’une extraordinaire capacité de «lecture» du territoire. Dans le sillon des meilleurs architectes de l’avant-garde du début du 20e siècle,

Snozzi était partisan d’une vision selon laquelle toute architecture est liée au territoire et contribue à en déterminer le caractère. Une telle prise de position, caractéristique de l’architecture pensée et réalisée par ses compagnons de route – Livio Vacchini, Aurelio Galfetti, Flora Ruchat et Mario Botta, pour ne citer que les plus célèbres – assume, chez Snozzi, une valeur paradigmatique, renforcée par le renoncement à toutes formes de spectacularisation. Toujours fidèle au béton armé, il en a fait un trait spécifique de son travail.

Les mots que l’architecte radical bâlois Hans Schmidt utilisait en 1934 pour décrire son propre travail pourraient bien s’appliquer à celui de Snozzi: «… l’espace doit toujours rester une unité, c’est à dire que chaque partie de l’espace doit communiquer avec l’espace entier, qui est, pour nous, pratiquement infini. Aucune chambre, cour, place, rue, quartier, ville, ne peut rester une partie isolée de l’espace mais doit être insérée dans l’espace général. Même le paysage est un élément de l’organisation de l’espace, c’est à dire que chambre, cour, place, etc., doivent être en relation avec le paysage et donc avec l’espace en général.». Et c’est toujours Hans Schmidt qui, en affirmant que « le territoire est plus important que la ville, de la même façon que la ville est plus importante que le bâtiment singulier » et que, par conséquent, ce dernier peut être «d’autant plus dépourvu de prétentions qu’il est connecté avec la ville dans son ensemble, et qu’une ville peut être d’autant plus simple qu’elle est liée à la campagne environnante» semble anticiper le credo de Snozzi.

Je ne sais pas si le Tessinois connaissait ces mots du Bâlois, mais l’affinité entre les deux architectes est évidente, tant en matière de projets qu’en matière d’engagement civil. Pour tous les deux, l’architecture était indissociable d’une vision plus large – une vision politique, dans le sens plus noble du terme – qui les amena à militer respectivement dans le Partito Socialista Autonomo et dans le Partei der Arbeit der Schweiz.

Une appartenance politique tellement affirmée est de plus en plus rare de nos jours, même si les jeunes générations semblent être sensibles aux visions architecturales engagées. Il est certain que les plus jeunes étudiants découvriront Luigi Snozzi, ses idées, ses projets. Et les étudiants architectes lausannois comprendront les mots figurant sur chacune des poutres des coursives du grand hall: «Répète ton élément… Répète ton élément… Répète ton élément…», fragment d’un de ses célèbres aphorismes: «La variété est le prélude à la monotonie, si tu veux l'éviter répète ton élément». Je ne peux pas m’empêcher de penser, encore une fois, à Hans Schmidt qui affirma, lors d’une conférence: «… la question de la monotonie n'est pas un problème purement esthétique, mais un problème social».

La question de la monotonie n’est qu’un exemple du positionnement intellectuel de Snozzi, architecte lucidement et obstinément contre-courant. A l’occasion de la leçon inaugurale à l’EPFL, il évoqua le fond politique et idéologique et la vaste aspiration socialiste qui animait son travail d’architecte et d’enseignant, en opposition à une vision utilitariste de la société. Il affirma, cependant, l’autonomie disciplinaire de l’architecture, argument aujourd’hui au centre du débat, avec toutes les difficultés imposées par la médiation nécessaire entre l’affirmation d’une autonomie disciplinaire et les forces préconisant la dimension trans- ou inter-disciplinarité.

Parmi les aphorismes, il y en a un qui constitue l’exemple extrême du politically incorrect: «Le jour où les diplômés d'une École d'Architecture ne pourront plus servir dans les bureaux, l’École aura fait un grand pas en avant». Il s’agit d’une provocation – telle est souvent la nature d’un aphorisme – qui nous oblige à réfléchir et nous demander quelle est la finalité ultime d’une formation qui serait trop à l’étroit dans une dimension uniquement professionnelle.

Luca Ortelli, Professeur EPFL

Autres témoignages

 

Olivier Fazan, étudiant puis assistant de Luigi Snozzi à l’EPFL de 1987-1997

 

Doris Wälchli, étudiante du professeur Luigi Snozzi de 1986-1987, et diplômée sous sa direction en 1988 à l’EPFL

 

Kaveh Rezakhanlou, étudiant puis assistant du Professeur Luigi Snozzi de 1991 à 1997

 

Anne-Catherine Javet, collaboratrice du bureau Luigi Snozzi à Lausanne entre 1989 et 1997 et assistante du professeur Luigi Snozzi à l'EPFL de 1993 à 1997 et à l'EPFZ en 2003-2004

 

Ariane Widmer, étudiante de Luigi Snozzi de 1984-1986 à l’EPFL

 

Patrick Berger, professeur honoraire EPFL

 

Luca Ortelli, professeur à l'EPFL

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