Ré­fec­tion du via­duc de Riddes

Les dégradations observées sur les bétons et la précontrainte du viaduc de Riddes ont nécessité, par mesure de précaution, sa fermeture au trafic lourd en été 2019. À peine deux ans plus tard, le trafic normal a pu être rétabli suite à d’importants travaux de renforcement et de réfection. Retour sur le chantier de l’un des plus longs ponts du Valais.

Date de publication
28-03-2022
Lionel Moreillon
Fondé de pouvoir bureau Ingphi | Chef de projet réfection viaduc Riddes
Claude Broquet
Directeur Ingphi | Chef de projet adjoint de la réfection du viaduc de Riddes


Le viaduc de Riddes, sur la route cantonale T9 Martigny – Sion, traverse la vallée du Rhône en franchissant la ligne CFF du Simplon, l’autoroute N09 et le Rhône. Au droit de l’autoroute, quatre bretelles forment une jonction en losange, permettant de relier le viaduc à la plateforme autoroutière. La longueur développée du viaduc, avec ses deux ponts parallèles de 1250 m et ses bretelles, atteint près de 3300 m, ce qui en fait l’un des ponts les plus longs du canton du Valais.

Le viaduc est un pont à caissons à travées multiples séparé en huit tronçons par des joints de chaussée. Les travées courantes ont une portée comprise entre 24 et 28 m. Le franchissement de la N09 est réalisé avec un caisson de même hauteur que les travées standards pour une portée augmentée à 40 m. Le franchissement sur le Rhône d’une portée de 53 m est réalisé avec un caisson à hauteur variable qui se prolonge sur les travées adjacentes au-dessus des berges.

Le tablier du viaduc principal, d’une largeur totale de 19,60 m, est constitué de deux caissons en béton armé et précontraint d’une hauteur constante de 1,45 m, qui accueillent chacun deux voies de circulation. Le tablier des bretelles est également un caisson dont la largeur est réduite à 8,45 m pour une voie de circulation et un accotement.

Les piles en béton sont de forme hexagonale avec une hauteur comprise entre 5 et 10 m. Chaque pile est fondée sur un pieu barrette d’environ 10 m de profondeur. L’ouvrage compte 132 piles au total. Chaque tronçon est un système statique de pont flottant dont la stabilité horizontale est assurée par quelques piles encastrées et une série de piles liées par une rotule en béton.

Le pont a été conçu par le bureau Compagnie d’Études et de Réalisations Techniques (CERT). Il est propriété de l’Office fédéral des routes (OFROU) et du Canton du Valais. Il a été construit sur cintre pour les travées courantes et par encorbellements successifs sur le Rhône. Le viaduc a été mis en ­service au milieu des années 1970, dans le cadre du contournement de Riddes1. Dans les années 1990, d’importants travaux d’entretien avaient été nécessaires pour le remplacement des bordures, de l’étanchéité et du revêtement, des joints de chaussée et de certains appareils d’appui.

En 2018, l’OFROU et le Canton du Valais ont mandaté le bureau Ingphi pour réaliser la mise en conformité de l’ouvrage dans le cadre du projet EP Martigny & Environs.

Un ouvrage en mauvais état

Dans le cadre de l’examen de l’ouvrage, des inspections visuelles ont été réalisées à l’intérieur des caissons, conformément à la norme SIA 269 Bases pour la maintenance des structures porteuses (2011). Ces inspections ont permis de constater des dégâts importants comme des fissures, des éclats de béton, des traces de corrosion d’armature et des venues d’eau. Des fissures – qui suivaient le tracé des câbles de précontrainte – ont même été mises en évidence. Afin de s’assurer de l’état de la structure, une importante campagne d’investigation a été initiée avec plusieurs sondages au droit des câbles de précontrainte, afin de vérifier le niveau de corrosion des aciers de précontrainte et la qualité physique et chimique du coulis d’injection. Des analyses microscopiques et mécaniques du béton ont également été réalisées afin de déterminer le niveau de développement de la réaction ­alcalis-granulats (RAG).

Ces inspections visuelles et les investigations ont mis en évidence des câbles de précontrainte attaqués par la corrosion, dont certains étaient sectionnés ou détendus et des venues d’eau contaminées par des chlorures le long de certains câbles. Dans certaines travées, il a été relevé que le caisson était anormalement fissuré, malgré un taux de précontrainte élevé.

Il a également été constaté que le béton était localement délaminé avec des armatures fortement corrodées au niveau de la dalle de roulement et de la dalle inférieure. La RAG était développée jusqu’au cœur des éléments à un niveau dit pathologique2 sur l’ensemble de l’ouvrage, y compris les fondations, avec une diminution des propriétés mécaniques de l’ordre de 25%.

Au niveau des infiltrations d’eau, il a été constaté que l’étanchéité de la dalle de roulement était défectueuse, que le système d’évacuation des eaux à l’intérieur des caissons présentait de nombreux défauts. Les investigations ont confirmé ce constat avec des teneurs en chlorures dans le béton qui étaient localement très élevées.

Des vérifications statiques ont été effectuées en considérant l’endommagement des matériaux. Ainsi, la perte de câbles de précontrainte due à la corrosion des câbles a été prise en compte en réduisant les sections d’acier et le développement avancé de la RAG a été considéré, en réduisant les caractéristiques du béton de la dalle de roulement. Des insuffisances locales de résistance à la flexion et à l’effort tranchant du tablier et de la dalle ont été mises en évidence, ce qui a conduit à interdire l’accès au trafic lourd de plus de 3,5 t en juillet 2019.

Suite aux résultats de l’inspection, des zones du viaduc de Riddes ont été catégorisées dans la classe d’état 4 (mauvais: dommages importants sans incidence sur la sécurité structurale ou sur la sécurité routière, mais nécessitant une mesure à moyen terme) de l’OFROU. Selon le Rapport sur l’état du réseau des routes nationales 20203, seul 1 % des 16 000 ouvrages d’art – du petit mur de soutènement au pont de grande envergure – surveillés par l’OFROU entre dans la classe d’état 4, et aucun dans la 5. La problématique rencontrée sur le viaduc de Riddes est à ce titre exceptionnelle.

Intervention au moyen de matériaux à hautes peformances

Dans l’urgence, un projet d’intervention a été développé pour rétablir le trafic lourd sur l’ouvrage et freiner le développement des mécanismes de dégradation en optimisant l’investissement financier pour une durée d’utilisation restante réduite. Cependant, au vu de la taille du viaduc et pour limiter l’étendue des interventions, la circulation sur le viaduc principal a été modifiée, en réduisant le nombre de voies dans chaque sens de deux à une. Ceci a permis de mettre hors service les viaducs droits des passages sur les voies CFF, qui étaient en plus mauvais état.

Les interventions principales sur les tabliers conservés ont consisté en la mise en place d’une couche de renforcement et d’étanchéité en composite cimentaire fibré ultra-performant (CFUP) armé sur l’ensemble de la dalle de roulement, comme développé par Brühwiler4 et appliqué par Moreillon et Menétrey5, au moyen d’une couche de CFUP armé d’une épaisseur théorique de 50 mm. Un CFUP de classe UB-C120 selon la norme SIA 2052 Béton fibré ultra-performant (BFUP) – Matériaux, dimensionnement et exécution (2016) a été utilisé pour ce renforcement. Après fraisage et dégrappage du revêtement et de l’étanchéité, la surface totale de la dalle de roulement a été hydrodémolie sur une épaisseur de 20 mm afin de retirer le béton endommagé et créer une surface suffisamment rugueuse pour la liaison du CFUP. À proximité des bordures, des saignées ont été réalisées afin d’accrocher la couche de CFUP aux armatures existantes.

Pour compléter la réfection du viaduc, c’est l’ensemble du système d’évacuation des eaux de chaussée et des revêtements qui a été reconstruit. C’est un asphalte coulé (MA) d’une épaisseur moyenne de 80 mm mis en place sur le viaduc et les bretelles qui a été appliqué directement sur la couche de CFUP après un traitement préalable de la surface par jets d’eau à très haute pression.
Les dalles inférieures des caissons qui étaient fortement dégradées ont été remises en état au moyen d’une couche de CFUP armé d’une épaisseur de 60 mm. Ces réparations sont nécessaires pour reconstituer les sections indispensables à l’équilibre des efforts de flexion, en particulier avec un renforcement de la dalle supérieure des zones d’appui. Le CFUP, posé à la main, a été acheminé par des trappes réalisées dans la dalle de roulement.

Les travées de rive des bretelles à chacune des extrémités ont été renforcées longitudinalement à la flexion. La résistance en travée est augmentée par des lamelles de polymère renforcé de fibres de carbone (PRFC) collées en sous-face de la dalle inférieure.
Des travées du passage sur la N09 étaient critiques au niveau résistance, car elles lient les amorces des bretelles et sont de ce fait surchargées. Pour trois zones particulières, une précontrainte extérieure additionnelle a été mise en œuvre pour compenser les pertes des câbles corrodés avec un câble de sept torons suivant un tracé trapézoïdal à l’intérieur du caisson.

Les travaux principaux se sont déroulés en moins d’une année, permettant de rouvrir le viaduc au trafic lourd en décembre 2021: un exploit rendu possible par la maîtrise des solutions techniques de tous les intervenants. L’exploitation du viaduc est dès lors conditionnée à la mise en place d’une surveillance spécifique et d’un monitoring afin de gérer les risques résiduels.

Réfection du viaduc de Riddes (VS)
Intervenants
OFROU Filiale de Thoune
Service de la mobilité – État du Valais

 

Auteur de projet et direction locale des travaux
Ingphi, Lausanne

 

Entreprise
Consortium VEMA 111 (Jean Weibel, Walo Bertschinger, Dénériaz, Evéquoz)

 

Durée des travaux
Février 2021 à juin 2022

 

Coût des travaux
25 mio CHF

Notes

 

1 Plaquette d’inauguration «Déviation de Riddes», Département des travaux publics du Canton du Valais, 1976

 

2 Jean-Gabriel Hammerschlag et Christine Merz, «Réactions alcalis-granulats (partie 1 / partie 2)», Bulletin du ciment, 2000

 

3 Rapport sur l’état du réseau des routes nationales 2020, OFROU, Berne, 2021

 

4 Eugen Brühwiler, «Rehabilitation and strengthening of concrete structures using Ultra-High Performance Fibre Reinforced Concrete», Proceedings of the 3rd International conference on Concrete Repair, Rehabilitation and Retrofitting (ICCRRR), 2012

 

5 Lionel Moreillon et Philippe Menétrey, «Rehabilitation and strengthening of existing RC structures with UHPFRC: various applications», Proceeding of International Symposium on Ultra-High Performance Fiber-Reinforced Concrete, Marseille, 2013

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