Prime à l’an­ti­ci­pa­tion

Aux Pays-Bas, plusieurs bureaux d’architecture se sont spécialisés dans la construction avec des matériaux réutilisables. Œuvre de RAU Architects, le siège de la banque Triodos, dont chaque élément est répertorié, est ainsi déconstructible selon le principe Cradle to Cradle.

Date de publication
18-06-2021

Aux Pays-Bas, le concept d’économie circulaire n’est pas nouveau, comme l’atteste un modèle séculaire visible sur tous les polders hollandais: le moulin à vent. Dès le 17e siècle, cette structure en bois servant à assécher les terres fut livrée en kits à assembler sur place et, Lorsqu’elle avait rempli son office, elle était démontée et réaffectée ailleurs. Le moulin était donc un bien des plus mobiles. Tout comme le nouveau siège de la banque Triodos, conçu par le bureau RAU d’Amsterdam. Fait d’éléments de bois jointés à sec, d’acier et de verre – assemblés par exactement 165 312 vis – le bâtiment est entièrement démontable. Chaque élément du bâti est répertorié dans une banque de données Madaster et réutilisable sans perte de valeur.

Atouts et obstacles

Considérée comme l’établissement financier le plus durable des Pays-Bas, il n’est pas étonnant que la banque Triodos soit à l’origine d’une telle commande. Avec ses succursales en Belgique, en Allemagne, en Espagne, en Grande-Bretagne et en France, la banque n’affecte les dépôts de ses clients qu’à des projets à plus-value environnementale, sociale ou culturelle. Sa fondation remonte à une manifestation organisée en 1980 à la villa De Reehorst, une propriété de campagne près de la bourgade de Zeist. En 2015, la villa historique a été détruite par un incendie, mais le domaine avoisinant demeure et fait partie du « noyau écologique » d’un réseau de sites naturels protégés. Pressée par un urgent besoin de liquidités en 2015, la fondation s’est alors tournée vers la banque Triodos pour lui demander si elle envisagerait d’édifier son nouveau siège sur le site.

À la recherche d’un nouvel emplacement depuis un certain temps, a priori dans un bâtiment existant, la banque ne trouvait pas chaussure à son pied. Le personnel d’une entreprise durable devant pouvoir rejoindre son lieu de travail en transports publics, l’accessibilité figurait parmi les priorités et, comme la gare de Driebergen-Zeist jouxte le domaine, la banque s’est laissé convaincre. S’en est suivi un processus d’étude semé d’obstacles, causé par la plainte d’une organisation environnementale qui attaquait la construction sur un site protégé. Finalement, la banque a proposé d’étendre le domaine de deux hectares en compensation. Elle en est ainsi ­devenue gestionnaire et œuvre maintenant à la revalorisation d’un bien-fonds quelque peu négligé jusque-là.

Vous pouvez en savoir plus sur l'économie circulaire dans notre e-dossier.

L’implantation du nouveau bâtiment a été dictée par les axes existants et la situation de la gare. Aujourd’hui, trois tours arrondies de deux, trois et cinq étages s’élèvent sur un socle à la lisière nord du domaine. Les tours se fondent l’une dans l’autre comme des gouttes d’eau et arborent des toitures végétalisées. Elles sont enveloppées par une façade en verre composée de 1280 panneaux, insérés dans des profilés en aluminium, qui articulent l’horizontalité du bâtiment.

Valeurs actualisées et BIM

L’entrée principale s’ouvre face à la gare et les personnes qui viennent à vélo peuvent abriter leur monture dans un garage souterrain. Quant aux automobilistes, ils doivent consentir cinq minutes de marche depuis le parking. La plus-value écologique de ce dernier est assurée par 120 bornes de recharge bidirectionnelles et un toit de 3000 m2 équipé de collecteurs solaires qui, avec des puits canadiens, fournit l’alimentation électrique du bâtiment.

En pénètrant dans la banque, on se trouve dans un espace baigné de lumière ouvert au public, avec un restaurant et une vue panoramique sur la forêt. Au centre, on reconnaît le cœur de la structure, fait de membrures courbées en bois massif multicouches ­débouchant dans des plafonds à lamelles en bois – comme si l’on se tenait sous un champignon géant, dont le pied renferme les escaliers, des puits de lumière, les sanitaires et des kitchenettes. Aux étages des bureaux, qui accueillent des espaces de travail flexibles pour 600 personnes, le bois et le verre donnent aussi le ton. Aucune trace de placoplâtre ou de revêtements muraux, car le mélange de matériaux a été largement exclu.

Madaster
Madaster est une plateforme d’intérêt général, qui inventorie, structure et traduit en passeports matériaux les données relatives aux ressources intégrées dans le bâti. Ce nouveau standard permet à la branche de la construction d’aborder la transition vers des modèles d’affaires circulaires. Les membres peuvent s’appuyer sur ces données pour réemployer des matériaux et investir dans des concepts favorisant la fermeture des cycles de matières et évitant le gaspillage de ressources.

À l’exception du sous-sol en béton, des profilés alu et de la poutre circulaire en acier qui porte les façades vitrées, le bâtiment est fait de bois, qui a été jointé à sec au moyen de triples assemblages à dents collées et de vis de 25 à 50 cm de long. Un volume de 2632 m3 de bois, majoritairement issu de forêts allemandes, a été mis en œuvre. Tout cela est documenté à l’unité près, puisque tous les matériaux sont répertoriés sur la plateforme Madaster, avec le passeport matériaux indiquant la valeur de chaque élément après démontage. Et cela en temps réel, car la valeur de la construction est établie quotidiennement sur la base de données boursières actualisées.

La durabilité devient tangible

Cette plateforme est aussi due à une initiative de RAU Architects, motivée par le constat que la démolition d’un immeuble de bureaux coûte quelque 200 000 euros et ne laisse que des déchets qui, en Hollande, finissent pour la plupart en remblais sous les autoroutes. En parallèle, la branche de la construction génère 40 % de la consommation de matériaux du pays. RAU Architects ne veut donc plus voir les bâtiments comme des biens de consommation, mais comme des banques de matériaux actives. Avec le passeport, les aspirations à la durabilité deviennent tangibles et mesurables.

Bien sûr, cela impacte le processus d’étude, car la circularité doit être d’emblée intégrée au projet. C’est ce que Thomas Rau appelle cela «penser en amont et non après coup» (vordenken statt nachdenken). Une fois la réflexion menée, la réalisation est rapide, selon un processus de construction entièrement standardisé : après avoir bétonné le sous-sol semi-enterré, on a érigé le noyau auquel les étages sont suspendus. Les parois sont en panneaux de bois lamellé-croisé de 200 mm d’épaisseur, les planchers en bois d’épicéa laminé de 120 à 150 mm. Livrés en camion par paires, les éléments CLT sont élevés à leur place et assemblés ; en deux semaines, le noyau du bâtiment, avec cages d’escaliers, puits de lumière et sanitaires, était achevé.

Désormais, ce qu’on appelle la «cathédrale de bois» guette l’avenir à l’orée de la forêt. L’avenir nous dira si son potentiel de réemploi se concrétise un jour. Pour l’heure, la banque Triodos affiche sa foi en une économie circulaire avec un siège emblématique évoquant la rondeur d’une goutte.

Participants au projet

 

Maître d’ouvrage : Triodos Bank, De Reehorst

 

Architecture : RAU Architects, Amsterdam

 

Génie civil : Aronson, Rotterdam et Luning, Arnhem

 

Gestion des coûts : BBN Adviseurs, Amsterdam

 

Intérieur : Ex Interiors, Nieuwegein

 

 

Facts & Figures

 

Surface utile : 12 994 m2

 

Volume : 49 203 m3

 

Année de construction : 2019

 

Coûts du bâtiment : non communiqués

Commandés par l'Office fédéral de l'environnement, les numéros spéciaux suivants sur l'économie circulaire ont été publiés par Espazium - Les éditions pour la culture du bâti :

 

No. 1/2021 «Architecture circulaire : Bâtiments, concepts et stratégies d’avenir»

 

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